Un conte (une fola) de fée, ou les éternelles fiançailles (ingaghjamentu)
Cette histoire se déroule dans une île, tellement belle, que beaucoup disent qu’elle est « de beauté ». Ce conte commence par une formule consacrée.
Il était une fois un jeune et éternel amoureux transi qui rêvait, jour et nuit, d’épouser la belle prénommée Autonomia.
Le père de la belle, qui habite de l’autre coté de la mer, était fort réticent. Dans cette île on le surnommait « U Statu », un surnom flanqué de plusieurs qualificatifs particulièrement désagréables, que la pudeur m’interdit de nommer ici.
L’amoureux éconduit pouvait compter sur le soutien d’une grande partie des habitants de cette -si belle- île qui étaient majoritairement de sa famille. Cependant, il devait se méfier de plusieurs de ses cousins qui convoitaient également la belle Autonomia et n’entendaient pas lâcher le morceau (u pezzu).
Tous ces amoureux, plus ardents les uns que les autres, décidèrent de se regrouper pour réclamer la main de la belle, de façon « collective ». Il fallait d’abord convaincre le père du principe d’un mariage. Après, la belle et l’ensemble de la famille auraient tout loisir pour choisir le prétendant. Un accord qualifié, par certains, de léonin car le jeune amoureux bénéficiait de l’antériorité.
Pour ce faire, ils décidèrent de protester sous les fenêtres du papa revêche et de se faire entendre bruyamment. Des centaines et des centaines de nuits se passèrent ainsi à manifester un mélange d’amour (pour la belle) et de haine (envers le père). Des milliers de pétards éclatèrent aux oreilles du Statu, lui faisant passer des nuits de toutes les couleurs : bleues, blanches… rouges.
Les années passaient et le vieux papa campait sur ses positions.
Récemment, les nuits agitées se multiplièrent devant les propriétés insulaires (nombreuses) du père rétif. L’agitation n’était pas plus forte que durant les années précédentes, les pétards n’étaient pas plus bruyants, mais un drame survenu au sein des familles, « demanderesses », sembla émouvoir U Statu. Ce dernier fit mine de faire un pas. Il envoya un "missi dominici" (le nom n’est pas originaire de l’île) discuter des conditions des fiançailles. L’affaire était loin d’être acquise, mais le père était passé du refus net, à l’accord de principe.
Les premières questions posées par le "missi dominici", ont sans doute, été de savoir quelle serait la nature du contrat de mariage (communautaire, mixte, réduite aux acquêts, séparation des biens…) et quel était le « véritable » amoureux : Le jeune éternel ou l’un des cousins ? Car il faut dire que dans le pays du papa, la polyandrie* n’est pas permise. Dans l’île non plus, in fine.
C’est là que les choses se corsent. L’éternel fiancé pensait bien décrocher le Pezzu, mais les cousins prétendaient également être de la partie. La question de la nature du contrat ne fût même pas abordée, vu que l’on ne savait pas avec qui il serait signé.
Les cousins continuèrent donc leurs « pétarades » et pour ne pas passer pour un bêcheur, le jeune amoureux participa aux « sérénades, un peu à contre cœur, mais on ne déchire pas un contrat léonin si facilement et puis il y a la force de l’habitude, suivre le mouvement…
Lassé et profitant de l’occasion, pour être conforté dans son refus historique, U Statu fit savoir à son "missi dominici" que les discussions pouvaient attendre. Le papa avait un mois d’Avril chargé et tout le monde sait que c’est un mois où il ne faut pas se découvrir trop tôt.
Réaction (non exprimée publiquement, car on a ses pudeurs) des habitants de la belle île : « c’est dommage, cela fait longtemps que l’on attend. Pour une fois que les planètes étaient alignées, que U Statu et les cousins étaient d’accord sur le principe. Il va falloir encore attendre ».
Une personne qui a assisté aux premiers contacts entre les prétendants et le "missi dominici", nous a fait part d’une indiscrétion, sous couvert d’anonymat. Alors que les conditions semblaient propices à « un pas vers des fiançailles », à la question d’un prochain rendez-vous, en vue de la publication des bans, le "missi dominici" se serait entendu dire : « je ne peux pas, j’ai piscine »…
La belle Autonomia ne sait toujours pas quel sera l'élu... de son cœur.
Timidité (timidita) ou orgueil (orgogliu), décidément, les hommes sont inconstants.
* https://www.cnrtl.fr/definition/polyandrie

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