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Billet de blog 23 décembre 2022

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Entretien avec Gilles Simeoni Président de l’Exécutif de Corse

Mafia et violence politiques sont-ils des obstacles à des négociations entre le gouvernement et les dirigeants de l’Assemblée de Corse ? Quid d’une « Mafia » et quels sont les freins à un statut d’autonomie, suggéré par le ministre de l’Intérieur ? Pour le président de l’Exécutif régional : « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue, que celui d’un processus au bon niveau, qui réussit ».

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Entretien réalisé le 22 décembre 2022

On dirait que personne à l’Assemblée de Corse ne croit qu’il existe une mafia ?

« Il peut y avoir une discussion sémantique autour du concept de Mafia, au-delà de cette discussion je pense qu’il y a unanimité pour dire qu’aujourd’hui, il y a un phénomène de criminalité organisée et de dérive de type mafieux qui préoccupe les corses . »

 Pourquoi aujourd’hui, qu’est- ce qu’il y a de nouveau finalement ?

« Je ne pense pas qu’on s’en aperçoive aujourd’hui, je me rappelle qu’en 1990, si ma mémoire est bonne, j’allais manifester dans la rue dans le cadre de manifestations organisées par l’ANC (Accolta Nazionale Corsa, mouvement dirigé par Pierre Poggioli. NDLR) autour du thème ‘Mafia No’ ». Cette notion est prégnante depuis longtemps, mais aujourd’hui avec l’évolution de la société corse, l’accélération de certains phénomènes : la spéculation immobilière, l’augmentation du trafic de drogue et l’augmentation de ces facteurs avec des assassinats marquants et traumatisants, il y a une prise de conscience et une expression publique qui s’est renforcée et structurée ».

Illustration 1

Une Mafia, une vraie, c’est une espèce de triangle : des voyous, certains politiques, certains milieux entrepreneuriaux. Est-ce que c’est la situation que vous observez en Corse ?

 « Il y a plusieurs définitions, c’est la raison pour laquelle on a une discussion pour savoir s’il y a une mafia ou pas, en Corse. Votre définition peut être complétée par  la loi italienne qui définit l’organisation mafieuse par l’omerta, ça couvre aussi une dimension économique et une organisation pyramidale etc, etc… Ce qui est certain, c’est qu’il y a aujourd’hui en Corse des éléments qui laissent craindre une convergence ou une interpénétration  ou un risque d’interpénétration entre la sphère du politique, la sphère de l’économie et la criminalité organisée ou des pressions  de tous ordres. Donc c’est un phénomène dont il faut se préoccuper. »

 L’assemblée ne risque pas d’échapper à ces pressions, peut-être même est-elle déjà concernée ?

« On sait qu’aujourd’hui, il peut y avoir des pressions partout en Corse, la problématique c’est de ne pas tomber dans un phantasme, de ne pas être dans une surestimation du risque mais en même temps il ne faut pas l’ignorer. »

 Par exemple, sur quoi pourrait porter une pression sur l’Assemblée de Corse ?

 « Il y a trois catégories de revenus de potentiels importants pour la criminalité organisée et pour des groupes dans une logique mafieuse. C’est premièrement la spéculation immobilière. Il peut y avoir des pressions dans tous les domaines liés à l’urbanisme. Deuxièmement, les terres  et leurs demandes d’acquisition etc etc.Il y a les marchés publics et certains secteurs potentiellement à risque, je pense notamment au secteur des déchets.

Et enfin le troisième point, c’est la question de la drogue qui est aujourd’hui un commerce extrêmement lucratif, qui malheureusement touche la jeunesse qu’elle soit urbaine ou rurale. »

 Vous avez, en tant que nationaliste, critiqué le système claniste, est-ce qu’il a préparé  -directement ou indirectement- depuis au moins le 19ème siècle, ce qui arrive aujourd’hui ?

 « Non je pense que ce serait un procès, à postériori et rétroactif beaucoup trop sévère. Le clanisme, par contre, a historiquement participé à empêcher l’émergence d’une véritable culture démocratique en Corse et  parce que la culture démocratique est un des antidotes les plus sûrs contre les dérives mafieuses. Le système claniste historique porte une part de responsabilité  qui est indirecte. »

Illustration 2

L’État n’a-t-il pas laissé faire, historiquement, certaines choses et aujourd’hui que peut-il faire ?

 « Historiquement, je pense que l’État a une responsabilité qui est très importante, sur le temps long et même sur un temps plus court. Le temps long c’est sur deux siècles de présence. A partir du moment où il n’a jamais créé les conditions de la démocratie, du développement économique réel, source de richesse par le travail, de répartition  d’une société solidaire, il a aussi objectivement préparé le terreau à l’émergence de ce type de phénomène. »

 Aujourd’hui que doit-il faire ?

 « Si on se situe sur un temps plus court, je pense que tout le monde sait, que tout le monde dit, y compris des hauts magistrats, que dans les années 80 et pendant plus de trente ans, l’appareil d’État qu’il soit judiciaire ou policier s’est concentré uniquement dans la lutte et la répression contre les nationalistes, en délaissant la lutte contre la criminalité organisée et quelquefois    -et c’est prouvé- en la soutenant directement ou indirectement, pour l’instrumentaliser contre le mouvement national (nationalisme corse-NDLR). »

 Cela, c’était l’historique, mais sur l’actualité l’État peut-il et doit-il faire quelque chose ?

 « L’État a, aujourd’hui, les pouvoirs régaliens, en matière de police et de Justice il lui appartient de mettre en œuvre, sur la durée, sans excès mais avec fermeté une politique pénale qui permette de lutter contre tout type de dérive.

Vous savez qu’il y aussi des discussions sur le thème : faut-il renforcer des dispositifs particuliers au nom de la lutte contre la Mafia ou les dérives mafieuses, faut-il renforcer des procédures d’exception de certaines juridictions ? C’est un débat qui est posé. Deux associations qui se sont constituées contre la Mafia disent clairement oui. La Ligue des Droits de l’Homme dit non. J’ai tendance à dire que, même s’il faut que l’État se doit de protéger la société contre ce type de dérives, il y a dans le droit pénal des instruments répressifs et suffisamment de moyens, s’il y a une volonté politique pour, dans la durée, répondre de façon efficace. »

 Est-ce que cette peur de changement de règlements judiciaires n’est pas portée par la peur que ces nouvelles lois puissent servir plus à poursuivre des nationalistes que des voyous, aujourd’hui ?

 « Nous avons quand même subi une police et une Justice d’exception, sans parler des dérives et des méthodes barbouzardes, des attentats, qui ont visé des militants nationalistes »

 Mais la situation a changé, aujourd’hui il y a d’abord et avant tout un problème de grande criminalité

 « Même quand il y a des dérives réelles, une société doit rester dans une logique démocratique. Par conviction et par expérience professionnelle, on voit que lorsque l’on fait un texte d’exception, l’exception tend à contaminer le principe et tend à conduire à des dérives. Oui, par certains côtés, au renforcement, mais non à la création de dispositifs qui pourraient représenter des dérives pour les libertés. »

 Vous  savez que la criminalité organisée et les mafias s’insinuent partout, il n’y a pas de raisons que le nationalisme y échappe. Est-ce que la problématique d’une certaine violence politique et la grande criminalité  ne crée pas une confusion dans les esprits ? D’une certaine façon, il est indéniable que, aussi, des nationalistes ont participé à la grande criminalité.

 « C’est possible qu’il y ait eu des personnes qui, individuellement,  soient passées d’un monde à l’autre. Mais je crois qu’aujourd’hui et depuis très longtemps les choses sont claires. C’est la raison aussi pour laquelle, pour éviter tout soupçon et tout risque, je crois qu’il faut s’assurer qu’il n’y a pas d’autres chemins comme méthode et comme objectif. »

 Venons à l’actualité. On ressent une espèce de menace agitée par les indépendantistes, en disant « si l’État se comporte, comme il se comporte, il empêche toute négociation sur un processus d’autonomie ». Est- ce que cela ne veut pas dire, en fait nous l’autonomie ça ne nous intéresse pas, on veut plus ?

 « Non, moi je ne pense pas. Pour comprendre ce qui se passe actuellement, il faut se replacer avec plus de recul. Objectivement, le FLNC a annoncé l’arrêt définitif de la violence clandestine, derrière il y a eu les victoires électorales des nationalistes. Il y a eu une volonté de l’ensemble des nationalistes, y compris des indépendantistes radicaux, premièrement de s’inscrire dans une logique de démocratie, deuxièmement d’être dans la construction de solutions politiques qui passaient aussi par un statut d’autonomie. »

 On sent des résistances. Qu’est ce qui empêche, alors qu’il y a un gouvernement qui dit « chiche », en Corse on dise aussi « chiche », en Corse on vous prend au mot ?

 « Je pense que d’abord, pendant près de sept ans (depuis l’arrivée au Pouvoir régional des « nationalistes » NDLRD) les gouvernements successifs  ont méprisé le résultat des urnes en Corse… »

 Mais aujourd’hui, depuis la phrase de Gérard Darmanin (sur une autonomie possible) ?

« L’attitude de l’État a laissé croire (en Corse NDLR) que la démocratie ne fonctionnait pas. C’est une idée dangereuse, parce qu’on a rouvert un espace politique pour celle et ceux qui disent : en fait le chemin n’est pas le bon et l’État ne comprend que la violence. »

 Un Président,  comme vous, se doit de faire la synthèse, mais il n’y a pas un risque à force de vouloir être consensuel de noyer les responsabilités ? On entend tout le temps « c’est la faute de l’État », mais il faut balayer devant toutes les portes, y compris en Corse…

 « Je ne cherche pas le consensus à tout prix, j’ai pris des engagements devant les Corses, ils sont dans la continuité de ceux pris en 2015 et 2017 et la ligne est toujours la même. Il y a une question éminemment politique, économique, sociale et culturelle, institutionnelle. Il y a un peuple, il y a un combat qui dure depuis 60 ans. Il faut aujourd’hui créer les conditions politiques d’un véritable dialogue avec l’État pour construire une solution politique. Elle passe au niveau  institutionnel par un statut d’autonomie. »

 Est-ce qu’il n’y a pas des gens qui, alors que les choses arrivent, ont peur que le roi soit nu. Du coup annoncer qu’il faut mettre le problème des prisonniers avant le statut, pour régler le problème des prisonniers, est-ce que ce n’est pas un  obstacle qui est artificiel, car le statut réglera le problème automatiquement ?

 « C’est un problème difficile, je l’ai dit à l’Assemblée de Corse ; on ne peut pas gérer un processus (les négociations sur l’autonomie NDLR) avec des lignes rouges d’un côté ou des préalables de l’autre. On va dans un processus avec sa volonté politique partagée d’identifier des objectifs communs et les atteindre par le dialogue, des signes politiques, et par des avancées. Il faut créer les conditions politiques pour que ce processus soit au bon niveau et dans cette dynamique d’ensemble chacun doit prendre sa part. La Corse et les nationalistes ont pris leur part,  les indépendantistes ont pris leur part. Jusqu’à aujourd’hui l’État ne l’a pas fait, ou en tout cas pas suffisamment. Je ne suis pas là pour distribuer de bons et des mauvais points. Si l’on veut réussir, on sait très bien les uns et les autres qu’il faut donner des signes qui permettent de recréer la confiance et qui permettent d’aller vers une sortie par le haut. »

 Aujourd’hui, les planètes n’ont jamais été autant alignées, pour la première fois depuis 1982, il y a une majorité absolue,  qu’est- ce qui empêche que les choses se fassent, en Corse, comme à Paris?

 « Ce qui a empêché que les choses se fassent, c’est l’absence de volonté politique, de la part de l’État. Si l’État donne des signes clairs, s’il dit : « nous reconnaissons que la question corse est  économique, politique, sociale… nous respectons le suffrage universel, nous voulons construire une solution politique qui passe par la mise en place d’un statut d’autonomie qui est le droit commun de toutes les îles de méditerranée, on va le faire et on va le faire ensemble », je pense qu’il n’y aura plus de place pour le doute , le refus de dialogue et pour les logiques de conflit. »

 Tout est de la responsabilité de l’État ? N’y a-t-il pas quelques responsabilités locales, même au sein de la mouvance nationaliste ?

 « Je n’ai pas dit cela, j’ai dit qu’il y a une responsabilité première dans la fragilisation du processus (de négociation NDLR)  avec l’absence d’avancées politiques  de la part de l’État. Après, quand on est dans une logique de défiance, elle vient de part et d’autre… »

 Est-ce que vous craignez, aujourd’hui, un éventuel redémarrage de la violence politique  telle que celle que l’on a connue ?

 « Pour qu’elle disparaisse définitivement, tous les signaux étaient au vert, il suffisait d’être dans une logique de dialogue et de construction d’une solution politique ; pendant sept ans il n’y a rien eu, c’est la faute de l’État. Le processus est effectivement en danger, parce qu’il y a des blocages qui sont réapparus. Forcément quand il y a blocage politique, il y a un risque de tension et de conflit, tout le monde le sait, il faut le dire et en prendre conscience. Il ne faut pas dramatiser non plus. Il faut se dépêcher de sortir de cette mécanique là pour mettre en place une dynamique vertueuse. »

Illustration 3

Quel message faites-vous passer sur le dialogue ?

 « Il n’y a pas d’autre chemin que celui du dialogue, que celui d’un processus au bon niveau, qui réussit. Il appartient à toutes les parties. L’alternative c’est la stagnation, la régression et ce serait terrible pour la Corse, pour la jeunesse et les générations de demain. Ce scénario catastrophe personne ne le veut,  nous avons tous les moyens d’éviter sa survenance. Il faut se donner les moyens de réussir. La situation actuelle est difficile, elle est porteuse de dangers, mais il y a toute possibilité de reprendre le chemin du dialogue et de réussir cette solution politique, tourner la page d’un conflit qui dure depuis un demi siècle.  Il faut s’inscrire dans une relation nouvelle entre la Corse et l’État pour mettre en œuvre cette solution politique ».

 C’est le vœu de Noël ?

 « C’est la volonté de chaque jour et c’est aussi le vœu de Noël ».

       Propos recueillis par Alain Verdi le 22 décembre 2022

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