Millau le 9 mai 2020
Monsieur le Défenseur des Droits
Jusqu'où doit on accepter des mesures censées nous protéger quand celles-ci menacent nos libertés fondamentales ?
Sans aucun vote du parlement l'autorisant, sans aucun contrôle administratif ou réglementaire, des services de la police nationale font voler des drones au dessus de nos villes et captent des images de citoyens déambulant dans l'espace public un peu partout en France y compris jusque sur les plages désertées de la Bretagne mais pas encore, à ma connaissance, sur le plateau du Larzac ...
Sans autorisation de la DGAC, Direction Générale de l'Aviation Civile, au mépris des règles élémentaires de sécurité (que se passe t'il si un tel engin volant vient à tomber sur la tête d'un enfant ?) on fait voler des caméras UHD, à des altitudes non spécifiées ou normalisées, dans tous les cas non connues du public, embarquées à bord d'engins dont on ne connait ni le poids ni les normes ... De surcroit, nous ne savons qui contrôle la formation des pilotes finalement enrôlées dans des conditions aussi empiriques. Sont-ce des fonctionnaires assermentés ou des employés d'entreprises privées ?
Sur tous ces sujets, je souhaite vous faire part de mon interrogation et de mon indignation devant le déploiement de drones à Millau dans l'Aveyron, depuis que le confinement a été établi. Bien qu'en pleine connaissance de la crise sanitaire et des mesures de protection nécessaires de la population qui ont été prises, je n'ai de cesse de m'interroger sur la légalité de cette pratique.
En préalable aux questions de fond qui ne manquent pas de se poser, il faut rappeler un principe : lorsqu'on arrive dans une ville où des caméras de vidéo-surveillance sont installées, ou, lorsqu'on pénètre un périmètre vidéo-surveillé (espace commercial ou lieu d'accueil de public), un affichage m'informe que de tels moyens sont déployés. Je peux donc, en principe, décider librement de pénétrer, ou pas, dans un espace surveillé. Et je le fais en connaissance de cause. Mes droits d'accès et de recours semblent dans ces conditions sauvegardés, le service, garant du respect de la loi quand à l'utilisation des images, m'est connu. Je dois dire que je n'ai jamais admis, personnellement, le déploiement de centaines et de milliers de caméras de vidéo-surveillance dans les espaces publics. J'estime que cela empiète sur ma liberté de circuler sans avoir de compte à rendre à personne. Mais, la loi fait que j'ai toujours, à ma disposition, la connaissance des conditions d'exploitation et surtout, la réponse à ma question principale : qui utilise les images captées et à quelles fins ?
Mais ici, ce 24 avril 2020 à Millau, quand je suis sorti muni de mon attestation pour aller faire des achats de première nécessité, on ne m'a pas informé que j'étais susceptible d'être filmé, qu'un appareil volant pouvait me passer à basse altitude au dessus de ma tête ...
Des services de la police nationale, s'appuyant vraisemblablement sur la recherche de trouble à l'ordre public dans le contexte de crise sanitaire actuelle, font voler leurs drones au dessus de nos maisons, de nos enfants dans la rue, de nos aînées en leur jardin, des amoureux en ballade, de nos jeunes dans les ruelles … Qui autorise ces pratiques intrusives dans l'espace public ?
Dans quel cadre légal le commissariat de police a t'il décidé la mise en oeuvre de tels engins ? Pour quels raisons a t'on « fait » ces images ? Que fait on des images après enregistrement ? Qui les regarde ? Comment les « exploite » t'on ? Qui les conserve ? Combien de temps ? Sur quel support ? Les communique-t'on à des tiers ? Si oui, ceux-là sont ils assermentés ? Quel débat législatif a éclairé les décideurs d'une telle action ? Au delà, quel est le sens d'une telle pratique ? Quel lien est fait entre le moyen d'investigation, disproportionné, et le délit recherché ?
Tout le monde sait que les caméras qui équipent ce genre d'engin volant peuvent tout filmer avec une précision (UHD 4K ou 8K) où le moindre détail corporel ou vestimentaire, le moindre geste même furtif peut être capté, enregistré et conservé. Si un drone vole à hauteur des 1er, 2ème, 3ème étage etc, il peut, en vol stationnaire, pénétrer au plus profond de nos habitations, voir nos équipements, surprendre notre intimité … La question est posée : doit-on laisser s'installer une pratique empirique qui peut filmer des zones privées ?
Citoyen soucieux de notre droit constitutionnel, fondamental et inaliénable de liberté, je ne peux rester sans réaction devant cette pratique mise en place en dehors de tout contrôle de légalité.
Je vous sollicite ce jour afin d'éclairer la situation de votre qualité et de celles de vos services afin de répondre à cette intrusion dans l'espace de notre ville, sans aucune information préalable.
Je me tiens à votre disposition pour toute démarche que vous jugerez utile.
Vous remerciant de l'attention que vous porterez à ma requête,
Je vous prie de recevoir, Monsieur le Défenseur des Droits, l'expression de ma considération.
Alain Bellebouche