
Cela faisait quelque temps déjà que les athlètes étaient de nouveau sacrifié(e)s sur l’autel de la raison d’état. Que cela soit les joueurs de squash israéliens interdits de séjour en Malaisie lors du Mondial de la discipline ou, en octobre 2021, ces boxeurs kosovars refoulés à la frontière serbe alors qu’ils se rendaient à Belgrade pour participer aux championnats du monde de la spécialité. En Australie où il venait défendre à Melbourne son titre sur la première levée du Grand Chelem, Novak Djokovic n’a pas échappé à la tendance : placé à deux reprises en détention et après moult tergiverses, le nº1 mondial fut finalement déporté tel un pestiféré.
Cette affaire bénéficia d’un traitement inique par la presse internationale. Celle-ci reprochant à l’unanimité au joueur serbe de ne pas être vacciné (contre le Covid) sans reconnaître toutefois qu’il ne réclamait là pourtant aucun passe-droit ! D’ailleurs, son visa (dit de Class GG subclass 408) était parfaitement valide. Tout comme le feu vert délivré par la fédération australienne de tennis. Alors, qu’est-ce qui a bien pu valoir à celui surnommé pour l’occasion Novax DjoCovid d’être traité ainsi sans sommation en paria ?
L’expulsion de Djokovic relevait du gouvernement australien. Et penchés sur le recours du joueur déposé à la Cour fédérale de Melbourne, les trois juges ont qualifié cette décision de ‘non irrationnelle’, en précisant que leur avis était purement formel et dénué de toute considération morale. Il faut savoir qu’en Australie, de part la constitution, le ministre de l’immigration a effectivement le droit d’interdire à n’importe qui l’entrée sur le territoire national. En général, il use de ce pouvoir discrétionnaire à l’encontre de ceux ou celles qui propagent des discours d’incitation à la haine. Dans le cas qui nous intéresse, le ministre Alex Hawke s’en est servi uniquement à des fins politiques au moment où le pays peinait à surfer (les rayons des magasins étaient quasi-vides) sur la vague Omicron. Il l’a du reste reconnu : « Le risque sanitaire posé par le joueur était négligeable. » Et bien qu’il n’était pas obligé de le faire, Hawke a cependant voulu justifier son fait de prince : « En sa qualité d’icône du sport et le modèle qu’il représente, la présence de Novak Djokovic sur nos terres aurait pu exacerber des sentiments anti-vaccins au sein de certains pans de la communauté. » Limpide.
À la lueur de cette explication technique on peut se demander si Hawke avait conscience qu’avec ce prisme d’analyse, chaque organisation pouvait se sentir légitime à l’avenir de faire le tri des athlètes en fonction de leurs opinions politiques, de leur orientation sexuelle ou de leurs croyances religieuses. “Il est effectivement inédit qu’un tel argument ait été avancé, analysa le professeur de droit Jack Anderson (Université de Melbourne) pour le magazine Sport et Vie. Cela sous-entend qu’un sportif de renommée internationale est aussi investi du devoir moral de ne pas montrer le moindre désaccord avec les valeurs en vigueur dans le pays d’accueil.” Ce principe marque tout simplement la fin de l’universalisme sportif (une notion sur laquelle certes il y aurait beaucoup à redire). Et c’est d’ailleurs ce qui s’est produit ensuite avec le conflit en Ukraine.
En 1966, Jacques Lanzmann écrivait pour Jacques Dutronc le morceau ’On nous cache tout, on nous dit rien’. Soit l’attitude qu’adoptèrent alors les médias (pas uniquement bien-pensants) au mois de janvier 2022 et encore quatre mois plus tard ! Quant à Médiapart, malgré les ingrédients de base du métier rappelés et servis à la louche par son chef étoilé sur le sobre plateau de Thinkerview (23/2/2022) « le journalisme, c’est un rapport à la vérité de fait », sur la dite affaire Djokovic, ce journal en ligne ne fut vraiment pas très sport, au propre comme au figuré, en donnant sans chipoter le mercredi 19 janvier dans un article (à six mains !) destiné à vanter savamment par le menu, tambouille (quelque soit sa qualité) accommodée avec une sauce grasse, épaisse et de fort mauvais goût, le nationalisme ‘exaserbé’ (dixit Béru) de ’Nole’ le végétalien. Le lièvre (toutefois plus coriace) à soulever se situait peut-être ailleurs ? Quelle drôle d’idée que de vouloir jeter de l’huile sur le feu dans un moment pareil, surtout à la lueur des commentaires ‘à serbes’ (dixit Béru), et d’une grande profondeur, qui s’ensuivirent. Des commentaires parfois aux relents de Sarkozysme bon teint… « Va t’faire vacciner, pauv’ con ! ».
Pour l’anecdote, à l’autre bout du monde, l’instrumentalisation politique au mois de janvier de cette affaire n’a toutefois pas suffit à maintenir à flot le gouvernement australien conservateur de Scott Morrison. Celui-ci est bel et bien resté en cale sèche au côté d’ailleurs des fameux sous-marins Made in France de la discorde. C’était hier, l’effet boomerang...
Source :
- Court Fédérale d’Australie/ Djokovic v Minister for Immigration, Citizenship, Migrant Services and Multicultural Affairs [2022]/File nºVID 18 of 2022/Date du jugement : 16 janvier 2022.