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Billet de blog 24 février 2022

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Jane Fonda : California no dreamin’

Il y a 40 ans sortait en forme d’apostolat cette vidéo dédiée à une nouvelle religion bientôt synonyme de « casse du siècle », les trois quart des pratiquantes finissant sur le billard... L’Aérobic story ou quand la connerie dépasse vraiment les bornes, un enfumage maison à vocation forcément politique.

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Nous sommes à la fin des années 70, l’ex-madame Roger Vadim est alors mariée à Tom Hayden, fondateur d’un mouvement embryonnaire qui détonne dans le paysage américain: le CED (Campaign for Economic Democracy).

Hayden veut diversifier l’offre politique aux Etats-Unis en y créant un parti de gauche. Activiste radical, il ambitionne de se faire élire au Parlement de Californie. Sauf que les caisses du parti sont vides ! Comment les renflouer ? Le couple envisage toutes sortes de fumeuses stratégies, comme d’exploiter le filon de la restauration ou (curieusement) celui des... garages automobiles. Au bout du compte, et par le plus grand des hasards, l’aérobic va devenir l’espace d’une demi-douzaine d’années la vache à lait providentielle du CED.

L’anecdote est connue, on peut cependant la rappeler : en 1978, après s’être fracturée un pied lors du tournage du The China Syndrome, Jane Fonda doit cependant enchaîner avec un autre long métrage, California Suite. Un film où le scénario réclame qu’elle apparaisse en bikini. Pour tenter d’éliminer les kilos superflus emmagasinés pendant sa convalescence, et au lieu d’imiter ses pairs d’Hollywood qui n’auraient pas hésiter une seconde à se gaver d’amphétamines anorexigènes pour accélérer le processus, elle préfère suivre les conseils de sa belle-mère et pousse les portes du Century City Studio californien, salle de fitness appartenant à Gilda Marx (apparentée non pas à Karl et son Capital mais plutôt aux Marx Brothers).

À une époque où surpoids et sédentarité commencent à constituer un enjeu de taille, le pape de la remise en forme s’appelle Kenneth Cooper. Il est colonel dans l’armée de l’air américaine, médecin du sport, et ne jure que par le jogging. Quelques années auparavant, il avait commis un livre appelé Aerobics qui s’était écoulé à trente millions d’exemplaires dans le monde entier.

Un beau jour, il reçoit la lettre d’une jeune femme, Jacki Sorensen. Celle-ci donne alors des cours vaguement de danse basés sur des mouvements copiés-collés du cheerleading et elle s’interroge : « Pourrait-on imaginer une méthode préventive qui ne fasse pas appel au jogging mais plutôt à la danse ? »

Le père du fameux test de Cooper l’encourage dans cette voie. Voilà comment naquit un programme de remise en forme qui porte déjà le nom d’aérobic quand, chez Marx, Jane Fonda en découvre une version archaïque et plus chorégraphiée sur un fond sonore constitué des tubes du moment. Et grâce à cela, elle a retrouvé sa taille de guêpe. Fin du premier épisode.

Illustration 1

L’aérobic est dans l’air du temps. Reste à commercialiser le produit. Sans complexe et sans rire, en mai 1979, l’actrice ouvre sa propre salle d’aérobic à Beverly Hills : le Jane and Leni’s Workout. Il faut dire que notre femme d’affaires a débauché Leni Cazden, l’instructrice en chef de chez Marx. Puis dès le mois de septembre, exit Cazden, place au Jane Fonda’s Workout.

Vu sous cet angle, c’est tellement plus simple... En s’appuyant sur un sens aigu des affaires, comme l’aimait Tapie (‘elle se bouge le cul’), et des médias très très complaisants, Jane Fonda devient ainsi la figure emblématique de l’aérobic. Aussitôt sa petite entreprise se targue d’accueillir 200 clients par jour, soit une clientèle annuelle de 70.000 personnes à hauteur de 100 dollars (une fortune à l’époque!), somme nécessaire pour avoir l’infime privilège de participer aux cours donnés par Jane Fonda en personne ! Direct du producteur au consommateur...

Les touristes ne s’y trompent pas ; ils affluent du monde entier, l’endroit se visite tel un monument. En 1981, l’actrice et sa quarantaine frétillante porte le coup de massue fatal à la concurrence avec la sortie du Jane Fonda’s Workout book. Le premier livre (écrit en réalité par Femmy Delyser) d’une longue série qui la conduira sans transition sur les plateaux... d’Apostrophes où un Bernard Pivot bien marabouté négligera (presque) ses autres invités.

Et cette ’success story’ ne va surtout pas s’arrêter là ! Le dénommé Stuart Karl, pionnier du marché des cassettes VHS, élabore une vidéo à partir du livre. Dès sa sortie, en avril 1982, cette vidéo (pourtant hors de prix) se place en tête des ventes et y restera trois années durant. D’autres suivront. Il s’en écoulera la bagatelle de... 17 millions sur la planète, ajoutant quelques zéros aux revenus du business de Jane Fonda, évalués à environ 20 millions de dollars annuels. Tout cela grâce au marketing et à la répétition en boucle de quelques slogans puérils, mais manifestement sublimatoires, tels que “No pain, no gain” (“il faut souffrir pour être beau”), “Do the Burn” (“faut que ça brûle”) ou encore “Great ideas originate in the muscles” (“les idées géniales naissent dans les muscles”). En 1982, Tom Hayden profite des retombées de cette manne financière inespérée pour se faire élire au Parlement de Californie. Fin du deuxième épisode.

À ce tarif là, au début des années 80, l’aérobic est un phénomène de génération. Et quarante ans plus tard, on l’associe encore aux jambières, tenues moulantes, shorts fluos, et autre chevelures bien aériennes et volumineuses. Quarante ans plus tard, on s’étonne également qu’une actrice de cinéma soit parvenue ainsi à se poser en grande prêtresse de la santé sans afficher la moindre qualification pour le job. Une jolie hérésie! Car tout Barbarella en lycra qu’elle est, et malgré sa minuscule formation de danseuse classique, Jane Fonda ne connaît rien à la physiologie. Et de ce fait, elle ne met aucune nuance dans son exhortation à se démener en musique, avec un acharnement sacerdotal, jusqu’à épuisement sur des rythmes frénétiques.

Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que l’espèce de tourbillon planétaire généré par l’aérobic provoque une casse sur grande échelle (1). Et c’est exactement ce qui se passa! Selon des études sérieuses, près de la moitié des pratiquants et les trois-quarts des instructeurs furent victimes de blessures lourdes dans les années qui suivirent: fractures de fatigue, tendinites, périostites, lombalgies, etc. (2). Gageons que l’actrice a dû se mordre méchamment les doigts de ne pas avoir pensé à investir en amont sur une clinique spécialisée dans le traitement de ces traumatismes.

Cette mauvaise publicité médicale commença à éprouver la popularité de l’aérobic. En désespoir de cause, ‘Citizen Jane’, championne toutes catégories en titre du marketing, tenta de relancer le concept, désormais si décrié, en déroulant un tapis de billets verts sous les pieds (nus) d’une très jeune professeur franco-espagnole hautement qualifiée dont le cours de danse, dit d’expression africaine, était, lui, loué par le corps médical sur la place de Paris. Cette classe inédite et enlevée se tenait au Centre Américain (Paris XIVe), encadrée par des percussionnistes surchoix.

Mais, danseuse congénitale, Jeanine Claes (3) envoya bouler grave l’actrice hollywoodienne, l’accusant texto de produire à la chaîne des petits robots, et cela par le biais d’une méthode qu’elle jugeait dangereuse pour l’organisme. Pis, une méthode dépourvue de toute forme de spiritualité !... Ajoutant au passage et sans concession : « De toute façon, vous, les Américains, ne connaissez rien à la danse. Vous l’appréhendez comme du sport alors que c’est un art.».

Dommage pour le compte en banque de Jane Fonda qui disait avoir même trouvé un nom, l’Afrobic, pour rendre ce concept encore vachement plus vendable. Peu importe car au cours des tractations, Jeanine Claes avait vite pris conscience qu'il lui aurait fallu ‘pécher’ car avec sa méthode de danse, il fallait non seulement connaître les pas de bases, mais les variations de base et être ensuite capable d’improviser à partir des dites variations. C’est-à-dire que la percussion était là à l’écoute des variations de la danseuse. Soit l’antithèse par excellence de l’apostolat véhiculé par Jane Fonda. Clap de fin.

Épilogue. Après avoir essuyé cette fin de non recevoir si cinglante, Jane Fonda s’éloigne des turbulences de l’aérobic consciente que ce mouvement avait atteint de toute façon ses limites dès 1982. Un mouvement dénué finalement de toute universalité (malgré les apparences et les chiffres). Depuis, l’actrice militante dit s’être super rapprochée de Dieu après avoir été rafistolée de partout. Il faut dire qu’à la suite de ces années aérobic, à son tour, elle avait sacrifié à un double remplacement des hanches, mais aussi des genoux. La totale, quoi !

Quant à cette quête de spiritualité sur le tard, celle-ci semble être le lot réservé à ces ex-chantres éphémères de l’aérobic. Vous souvenez-vous de cette pétillante émission Gym Tonic lancée avec fracas en 1982 sur Antenne 2 et animée par ce sympathique duo, chaussé en Reebok à gros lacets (empruntés d’ailleurs à la culture du Hip-Hop), Véronique et Davina ? Cette dernière a troqué son justaucorps pour une robe-chasuble safran et vit aujourd’hui cloîtrée dans un monastère.

Références:
(1) “Whatever Happened to Jane Fonda in Tights?”, New York Times, 20 février 2007
(2) Aerobic Dance Injuries: A Retrospective Study of Instructors and Participants, dans The Physician and Sports Medicine, 1985

(3) https://blogs.mediapart.fr/alaincoltier/blog/171020/jeanine-claes-letoile-fuyante-1947-2019

Et pour en savoir (pas beaucoup) plus :
- Jane Fonda, The private Life of a public Woman par Patricia Bosworth, Houghton Mifflin Harcourt, 2011
- Jane Fonda, My Life so far, Random House Inc, 2005


NB/genre boîte noire d’appoint : Cet article (signé par votre
serviteur, ici présent) a été décliné (sur un ton plus
‘académique’) dans le Hors Série no55 du Magazine (sans
pub) Sport et Vie sorti au mois de décembre 2021.

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