alain.coltier
Runner congénital et accessoirement journaliste (ex-Libé, ex-L’Équipe)
Abonné·e de Mediapart

9 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 janvier 2021

alain.coltier
Runner congénital et accessoirement journaliste (ex-Libé, ex-L’Équipe)
Abonné·e de Mediapart

Moi Hermès, toi Jane (Birkin)... et par ici la bonne soupe (de crocodiles). 2/4

Crocodile rebel Blues - 2/4. Second volet d’une descente en 4 temps records et raccords au coeur nucléaire du procès dit ‘Contrefaçon-Hermès’. Procès savoureux au détour duquel le fantôme de Spaggiari a même côtoyé son ombre... Un proverbe faussaire affirme que le diable se cache dans les détails alors autant s’employer à les soigner sans pour autant essayer de refaire le match.

alain.coltier
Runner congénital et accessoirement journaliste (ex-Libé, ex-L’Équipe)
Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

    Le sac Birkin, késako au juste ? Á toute légende, tout honneur… Sachant qu’une légende ça vaut c’que ça vaut, puisque c’est une légende. Logique ! À part ça, c’est la rencontre, ou plutôt un télescopage placé sous le signe du crocodile. Au début des 80’s, sur un vol (en avion), notre Jane Birkin nationale tente alors d’entasser à la va vite dans un sac-barda ses effets personnels semés façon Petit-Poucet aux quatre coins de l’Airbus. La suite ? Au gentleman qui tente de l’aider dans son opération, l’ex-de Gainsbourg s’apprête à revisiter St Exupéry avec un ‘dessine-moi un sac’ bien senti mais son interlocuteur l’a devance : « Demandez-moi le sac de vos rêves ». Et là, personne va croire mais la légende, si, si… la légende prétend que Jane a répondu, texto, comme ça, du tac au tac : « Le jour où Hermès m’en confectionnera ‘oune’ avec des poches, je serais preneuse. » Et ça tombait super bien car le gentleman en question n’était autre que le PDG de… Hermès, connu à la base comme le Dieu des voyageurs (Hermès pas le PDG). Chez les gens d’en haut, le hasard fait toujours hyper bien les choses. Et les désirs deviennent réalité. De la pure magie. Un ange passe.

Bardot parade-t-elle en Birkin ?

   Défi tenu, Hermès lance en 1984 le sac Birkin. De son côté, Serge Gainsbourg écrit et compose en 1987 le morceau ‘dispatch box’. Réponse du berger à la bergère ? En valeur marchande, aujourd’hui, ce sac représente quoi ? Celui en cuir Taurillon ou Togo s’écoule à hauteur de 7000 euros. Pour les sacs en peaux (la partie ventrale) de crocodiles marins, le Porosus aux écailles plus douces et régulières, il faut compter pas en dessous de… 30.000 euros. Pour ceux qui n’ont pas encore percuté, on rappelle qu’il s’agit là de matière noble - et non pas de simili-cuir ou d’un sac Barbes zippé à grands carreaux. Ce qui explique le prix assez délirant. Tout se paie. Vite devenu objet de tous les fantasmes mais aussi de toutes les convoitises, ce sac pourtant bien rococo est désormais le plus vendu et aussi le plus rentable (grosses marges de bénéfices) de la gamme du sellier français. Pour quelle clientèle ? Au départ, les BCBG s’en donnent à coeur joie. Puis ce fut au tour des nanas sans classe persuadées que le Birkin, comme le désignent les initié(e)s), leur apportera ce cachet qui leur fait tant défaut. Mais voilà, le charme, la classe, la personnalité, on l’a ou on l’a pas ! Et ce n’est ni un sac à main ou des pompes à 10.000 euros (la paire) qui changeront grand-chose à l’affaire. L’affaire n’est pas dans le sac n’aurait d’ailleurs pas manqué d’écrire en son temps son Excellence San-Antonio. Toujours est-il que, encombrée de leur Birkin, toute cette clientèle en mal de sensations se demande si elle ne serait pas un peu quand même en train de devenir les nanas du XXIe siècle. Sur ce point, honnêtement, y a du boulot… Depuis quelques années, c’est au tour du rap réputé pour sa frime contagieuse de flasher sur le Birkin. Le Birkin ou le salaire de la rappeuse, il faut jamais contrarier personne. 

Illustration 1
© P.E.T.A.

   En attendant que le Birkin, qui s’arrache comme des petits pains et qui n’est pas (ça, vous l’avez compris) à la portée de toutes les bourses, ne devienne un folklore, sa trajectoire a déjà essuyé une zone de turbulence. Âmes sensibles s’abstenir car on rentre là direct dans le vif du sujet. Il y a une demi-douzaine d’années, P.E.T.A. (People for the Ethical Treatment of Animals), l’une de ces organisations de défense des animaux d’Outre-Manche qui emmerde royalement son monde, fait circuler un reportage sans concession. Sur la vidéo en question, on y voit des sauriens dessoudés brutal avant d’être dépecés souvent encore vivants. Le courage des crocodiles… Hermès, mais aussi Louis Vuitton, sont plongés dans l'œil du cyclone - et tant pis si l’Académie française désapprouve l'usage de cette expression. Des images ‘ouery ouery shocking’ pour Jane. Confronté(e) à tant de barbarie, on est tenté de remettre au goût du jour le slogan de Spaggiari condamné à perpète pour son casse : ‘Avec armes, avec violence’ Avec haine ? Le jury ne s’est pas encore prononcé. Car avec ou sans haine, un tel slogan ne mettra pourtant jamais ni Hermès ou Louis Vuitton au ban de la société. 

    Toujours est-il qu’en 2015, il y a de l’eau dans le gaz, non pas entre le jazz et la java (paroles, Claude Nougaro), mais entre les deux partenaires. On s’en doute, Jane Birkin ne veut plus que son nom soit associé à ce sac sanguinolent. Tour de passe-passe, ruse de sioux, et la boucherie intolérable se transforme d’un coup de baguette magique en pratique éthique et durable selon la formule consacrée. Hermès s’applique à sagement recoller les morceaux. Extraits grosso-modo du communiqué que pond alors la prestigieuse maison du Faubourg St Honoré, après avoir, à la manière d’un Christian Estrosi des grands soirs, déclaré à la presse du monde entier qu’Hermès avait isolé le problème : « Jane Birkin vient de nous confirmer qu’elle approuve les mesures prises par Hermès. Nous respectons et partageons son émotion car nous avons aussi été choqués par les images récemment diffusées (…) Une enquête est en cours dans la ferme incriminée (...) Tout manquement avéré sera corrigé et sanctionné. (…) Les déclarations de Jane Birkin n’entament en rien l’amitié et la confiance qui lient la chanteuse et notre maison de luxe depuis de nombreuses années". En matière de communication, Hermès entre là dans sa phase Dalida : Paroles, paroles…

Je t’aime, moi non plus   

    En résumé, Jane veut bien qu’on bute du croco à tout va. Mais pas dans de mauvaises conditions. Nuance ! Plus de peur que de mal dans le meilleur des mondes, tout ceci n’étant finalement qu’une question de perspective… C’est marrant tout de même car dans un passé pas si lointain, militante déclarée des Droits de l’homme, Jane, elle semblait en connaître un rayon sur l’activisme. Souvenez-vous : 25 septembre 2007, sur le plateau du JT de la 2, une Jane quasi-éplorée en appelle à l’humanité toute entière pour soutenir sa ‘copine’ Aung San Suu Kyi, la prix Nobel de la paix alors assignée à résidence forcée. Face à un David Pujadas d’une infime délicatesse, elle réclame le boycottage des Jeux olympiques (Pékin 2008), une prise de conscience de la sulfureuse société française (Total) implantée en Birmanie, l’intervention des l’ONU, etc. Un peu tout ça en vrac… Au final, Jane, elle savait pas trop. Exception faite qu’en quête d’un éventuel coup de pouce, dès le lendemain, elle devait rencontrer l’incorrigible Président de la République Française. ‘Vazy Sarko’ ! Et puis, la dame de Rangoun fut libérée le 13 novembre 2010. Et puis, on a commencé à persécuter les Rohingyas. Et puis, on n’a plus entendu l’accent de Jane. Silence radio, par exemple, sur ce qui pourrait s’apparenter à un génocide des crocodiles marins boostés, en plus, par la bacitracine de zinc, facteur de croissance notoire. L’activisme à mi-temps… passons.

    D’accord, on peut toujours épiloguer sur le fait que l'élevage en captivité est l’une des trois conditions remplies par les ‘marchands de croco’ pour être agréés par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (le CITES). On peut aussi rappeler que l’élevage en captivité participe à la sauvegarde de la lignée, réduit le braconnage. Et ainsi de suite… En revanche, à l’heure d’une pandémie sans précédent, on ne peut pas nier les risques associés à ce type de pratique. Et ces risques là, la dynastie des actionnaires aussi bien d’Hermès que de LVHM a choisit de les ignorer en optant d’investir dans des méga fermes, certaines capables de stocker près de… 50.000 crocodiles marins, dans deux états de l’Australie de Crocodile Dundee où la chasse est interdite depuis 1971: les territoires du Nord et le Queensland, d’ordinaire plutôt réputé pour ses treizistes et ses laines (voir Un Singe en Hiver, le film). De quels risques s’agit-il ? On sait que ce type d’élevages d’animaux exotiques à l’échelle industrielle sont de véritables réacteurs à microbes. Commodité gratuite au même titre que le charbon ou la raison d’État, dans son habitat naturel, le crocodile conserve une température corporelle oscillant entre 28 et 33 °C. Derrière les barbelés et les miradors de ces fermes, sa température de corps peut grimper jusqu’à … 36 °C. Conséquence : le système immunitaire du croco s’en trouve fragilisé. Et le risque de contracter des maladies augmente. CQFD. 

    Á ce sujet, voici le cri d’alerte que lançait le biologiste Benjamin Roche (pour celles/ceux qui auraient un peu zappé l’entretien en question, voir Médiapart du 28.12.2020), piqure de rappel : « Quand un virus arrive dans un élevage gigantesque, la transmission est extrêmement virulente. Car, pour le virus, il n’y a pas de coût évolutif à tuer son hôte, ce dernier étant remplacé automatiquement. (…) À cet égard, le développement de l’industrialisation et de l’intensification des élevages constitue un problème crucial. Si l’on ne fait rien pour ralentir cela, dans les prochaines années, c’est dans les élevages intensifs que l’on verra apparaître de nouvelles zoonoses. » Le zoonose est une maladie qui franchit les espèces comme on enjambe une haie sur une piste d’athlétisme en tartan. À l'appel des statistiques, quatre à cinq nouvelles zoonoses apparaissent annuellement chez les humains. Les zoonoses sont d’ailleurs une des principales sources de maladies émergentes : 75 % des nouveaux agents pathogènes proviennent des animaux ou des produits animaux. Forcément, on n’en cause pas beaucoup - un peu comme cette histoire de contrefaçon : cela pourrait faire désordre. ‘On nous cache tout, on nous dit rien’, chantonnait Dutronc (paroles, Jacques Lanzmann). Le monde est fou, les temps sont flous. Surtout en ce moment.

   Le risque en vaut-il la chandelle ? Destinées justement à cette industrie du luxe sans complexe, la calamité récente des productions de visons (en Europe) viennent nous le rappeler. « Le virus a circulé des humains aux visons, expliquait Benjamin Roche, puis a sauté à nouveau la barrière des espèces et s’est retrouvé sur les populations qui travaillent dans ces élevages, au risque d’introduire un nouveau variant génétique du SARS-CoV-2 contre lequel on ne sait pas si le vaccin sera efficace. » Don acte, surtout qu’en règle générale, l’objectif de ces élevages de crocodiles marins ne vise qu’un sac à main et ses produits dérivés. Le crocodile, sanctifié par le passé, existant depuis des centaines de millions d’années, aujourd’hui sacrifié au nom du Branding, le mal du XXIe siècle. Le pire dans tout ça, c’est que l’on peut obtenir des cuirs très raisonnables à partir d’eucalyptus, d’ananas ou de… champignons. Mais ‘oune’ champignon peut-il être assimilé à un cuir noble, pourquoi pas ?

     Demain, nous aborderons le dernier virage (assez serré quand même) avant l’emballage final. Vous connaissez ces directeurs de prison qui laissent les ghetto-blasters des détenus barbus jusqu’aux genoux propager dès 5hrs du mat les versets du Coran. Ces mêmes directeurs de prison qui après, en signe d’impuissance, lèvent les bras au ciel quand on leur parle de radicalisation exacerbée entre leurs murs. Dans un tout autre registre, Hermès du début des années 2000, c’était un peu ça avec les fameux ‘bons du personnel’. Ses dirigeants faisaient alors du hors piste. Et quand ils furent ensevelis sans prévenir sous une avalanche, leur premier réflexe fut de hurler comme des putois avant d’aller se constituer… partie civile. C’est bien ce qui s’est passé, non ? Á moins, là, de ne plus rien comprendre au jeu du cochonnet.

Et selon la formule consacrée, chantée par Sixto Rodriguez : « But thanks for your time/ Then you can thank me for mine. »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Bienvenue dans Le Club de Mediapart

Tout·e abonné·e à Mediapart dispose d’un blog et peut exercer sa liberté d’expression dans le respect de notre charte de participation.

Les textes ne sont ni validés, ni modérés en amont de leur publication.

Voir notre charte