Afin que leurs valeureux sujets ne noircissent pas trop de coupables desseins, il arrivait que nos rois leurs accordent quelques gâteries passagères. Au sein de la maison Hermès, c’était du kif. Chaque année, les employés avaient le droit souverain de se fabriquer clés en main leur sac Birkin. Un sac en cuir vaché en tous points semblable à ceux que l’on trouve en vente dans les boutiques. Une sorte de 14e mois hypocrite. Rémunéré légèrement au dessus du SMIC, l’employé devait débourser quand même à hauteur de 500 euros en fourniture. Et si celui-ci pointait à l’atelier de coupe, il devait remettre la main à la poche pour dédommager le monteur. L’assemblage de ce sac délivré en kit représentant environ 20 hrs de boulot.

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Maintenant, mettez-vous dans la peau d’un ouvrier avec quarante ans de maison. Dès la première année, celui-ci se retrouve ainsi avec son sac Birkin d’une valeur de 7000 euros prêt-à-emporter. Oui, mais pour quel usage ? Le gars crèche en banlieue, une barre d’immeubles. Il imagine mal son épouse aller faire le marché avec un Birkin. Quant à la belle-mère… Au bout du compte, il l’offre à son chef d’atelier espérant qu’il lui accordera une augmentation. Le dit chef d’atelier, lui, s’arrangera pour l’écouler sous le manteau. Ni vu, ni connu… Les ‘Bons perso’ ou le prélude à la Traviata ? Avouez que pour avoir mis une telle pratique au point, à la grande chefferie Hermès, ils ont dû être formatés dans l’une des 13.000 écoles de commerces qui polluent le globe. C’est pas possible autrement ! Comme si le Dieu du voyage ne connaissait pas la musique. Ces sulfureux ‘Bons du personnel’ ne représentaient, ni plus ni moins, qu’une bombe à retardement. Surtout avec un système mis en place, en apparence, hors de tout cadre juridique. On frise la provoc. Il suffit simplement que le loup soit introduit dans cette bergerie exposée aux quatre vents pour que…
Et quand on parle du loup… revoilà, Romain Chollet-Ricard ! Cet animal-là n’est pas né de la dernière pluie. N’oubliez pas qu’il a fait ses ‘universités’ à la joliment nommée Cité Bleue (Clamart). Pour lui, l’occasion fait le larron. Aie ! Alors très vite, neurones en action, il pige tout le parti à tirer d’une telle situation. Condition sine qua none : s’arranger pour devenir délégué du personnel. Ceci afin de ne pas éveiller les soupçons en organisant, au sein même de l’entreprise, un réseau tentaculaire de rabatteurs. Trois petits tours et puis s’en vont, la bombe à retardement vient de péter au visage d’Hermès ! À partir de 2004, l’entreprenant Romain a la monopole des quelques 250 ‘Bons perso’ Birkin alors en ‘circulation’. Envahie par un désastreux pressentiment, la direction du géant du luxe à la française pousse le raffinement à remettre le couvert de la bêtise, cette fois sous la forme d’une étoile filante référence censée désormais identifier à la fois l’artisan à l’origine du sac, son usine et la date de production. On peut dire qu’ils en ont de bien bonnes à la direction d’Hermès ! Why ? Tout simplement parce que ce petit stratagème de dernière minute atteste la provenance du sac et permet ainsi à ce petit futé de Romain de les écouler encore plus aisément. Á chacun son étoile… Les ‘Bons perso’ où comment le Dieu du voyage s’expédie une méchante rafale dans les pattes. En matière d’auto-mutilation, difficile de faire aussi affligeant. Et à propos de notre opportuniste toutes catégories, on serait tenté de citer là l’ancien résistant Dominique Ponchardier (nom de plume, A.L.Dominique) : «Il était tout naturellement malhonnête - selon la loi, et tout naturellement honnête humainement parlant. » (Le Gorille dans le cocotier). D’ailleurs, devant Madame le juge Claire Thépaut, Romain Chollet-Ricard n’a jamais avancé avoir commis une erreur de discernement ou essayé de se poser en victime d’un malencontreux… accident du travail, au point de vouloir en référer aux Prudhommes. Oi! oi!… Lui, il assume au grand jour, à la manière des Red Skins ou des Ducky Boys en maraude dans les artères de la capitale - même rue d’Assas. C’est dire…
Racheter en sous-main 250 ‘Bons du personnel’ est une chose. Les écouler, en est une autre ! Du Birkin de cette qualité, ça ne se vend pas sur Ebay. Et encore moins aux puces de Clignancourt (Saint-Ouen). Pour de tels sacs, on ne pratique pas de prix ‘tox’. Reste les fourgues au savoir ancestral. Ensuite, sans chercher à se perdre en conjonctures, cela devient surtout une histoire de rencontres. Ou plutôt de télescopages. Un peu comme celui de Jane Birkin avec le PDG de Hermès. Quand on a quelque chose à vendre et que la demande est là (on verra demain, ici même, le pourquoi du comment), la McMafia n’est jamais très loin. Toujours en embuscade. À l'adresse de la direction de l’empire du luxe, on ne saurait trop lui conseiller la lecture de l’ouvrage suivant : McMafia, au cœur de la criminalité internationale (Misha Glenny, Denoël, 2009). Aux parents qui envisagent envoyer leurs rejetons dans l’une des 13.000 écoles de commerce, sachez toutefois que la lecture de ce livre ne figure pas au programme…
En toute logique, on peut affirmer que si Hermès n’avait pas introduit ces ‘Bons perso’ à la mords-moi-le-noeud et mis du même coup les pieds à l’étrier du diplômé de la Cité Bleue, celui-ci ne se serait jamais retrouvé en position de pouvoir, un jour, improviser à la va-vite un réseau (façon coopérative) de contrefaçon alors encore inconnu sur l’échelle de Richter des faussaires de génie.
De cause à effet… dans le même élan que l’arrestation du cerveau et de ses acolytes, Hermès mit fin à cette funeste pratique des ‘Bons perso’. Sans toutefois jamais être sport, sans jamais vouloir reconnaître ses torts. Une forme d’indécence, voire de lâcheté, chez ces braves gens (chers à Georges Brassens) qui n’hésitent pourtant jamais à revendiquer haut et fort leur autorité morale.
Pour l’emballage final, on s’attardera sur cette alliance obligée entre nouveaux riches frustrés (et pressés) et vrais pauvres frustrés (sans horizon). Un couple contre nature dont la gageure fut de faire un très bel enfant dans le dos à un establishment ronronnant et trop suffisant. Tout ceci sous le regard attendri et bienveillant de la bonne fée McMafia.
Et selon la formule consacrée, chantée par Sixto Rodriguez : « But thanks for your time/ Then you can thank me for mine. »