La campagne pour l'élection du président de la République s'annonce pauvre en options politiques, économiques, sociales et culturelles. A cause des pressions financières qui restreignent l'offre d'intentions. A cause, surtout, d'un protagoniste qui nullifie la vie publique.
Le néologisme "nullifie" accolé au nom de l'actuel président, arithmétiquement légitime, provient d'un glissement sémantique qui part de "annuler" pour arriver à "nul".
Ce glissement sémantique est lui-même le reflet d'une dévalorisation, par son actuel titulaire, d'une fonction - la fonction présidentielle - qui devrait situer le niveau des élites républicaines.
Depuis 1995 et plus encore depuis 2007, le niveau baisse.
Nullification, annuler, nullité, nul
Dans le vocabulaire juridique des Etats-Unis, la nullification est une disposition constitutionnelle controversée au nom de laquelle, simple exemple, le Texas pourrait se soustraire à une disposition fiscale adoptée par le gouvernement fédéral de Washington.
Nullification signifie là-bas "annulation".
De ce côté-ci de l'Atlantique, la nullification retrouve une de ses racines étymologiques en désignant les efforts déployés par les Prépondérants pour conduire la masse de leurs concitoyens au degré zéro de la vie publique.
Nullification signifie ici "aller vers la nullité".
Une pratique sans entrave et sans vergogne du pouvoir sont les objectifs évidents d'une entreprise de diversion citoyenne orientée vers la nullité.
En écartant toute célébration d'un passé mythique sur l'air de "c'était mieux avant" , force est de constater que de Georges Pompidou à Nicolas Sarkoz, la dégénérescence est impressionnante. (C'est autant par souci d'honnêteté que par commisération sardonique pour l'actuel président que Charles de Gaulle est tenu à l'écart de cet essai comparatif. Président normal et conservateur affirmé, Georges Pompidou incarne une aune intellectuelle plus raisonnable.)
De Paul Eluard à Stone et Charden
La chute est vertigineuse.
Naguère, un agrégé de lettres, auteur d'une anthologie de la poésie française et instigateur d'un centre d'art contemporain.
Aujourd'hui, un admirateur de Jean-Marie Bigard qui vient de décerner la légion d'honneur à Stone et Charden.
De Georges Pompidou, on pouvait contester la politique ordinaire tout en lui reconnaissant une vision de l'Histoire. On pouvait aussi et surtout saluer sa référence à Paul Eluard, "Mourir d'aimer", en hommage à l'enseignante Gabrille Russier, suicidée par la pression sociale.
De Nicolas Sarkozy, on ne retiendra qu'une déliquescence, celle de la notion de représentativité.
La représentativité suppose un minimum d'identification
La représentativité est beaucoup plus que 50,01 % des suffrages exprimés lors d'une élection. Ces éléments du rituel comptable ne sont que l'étiage de la légitimité.
La représentativité, c'est la possibilité offerte à un citoyen de gauche de se reconnaître, au moins partiellement, dans ce que pense, ce que que dit et ce que fait parfois un président de droite.
C'est, symétriquement, le fait que des citoyens de droite ont fini par se reconnaître, un peu, dans la stature de François Mitterrand. Parce qu'il avait, lui aussi, une vision de l'Histoire. Parce qu'il était, lui aussi, un homme de culture littéraire.
(Valéry Giscard d'Estaing a, dans une moindre mesure, flatté l'amour propre démocratique des Français, par ce qu'ils croyaient savoir de sa culture technicienne enrobée de modernisme.)
Quoi qu'il en soit, un élu qui se veut représentatif ne doit pas trahir la conception qu'ont les citoyens du vainqueur idéalisé d'une élection, abstration faite de leurs préférences idéologiques.
La représentativité a pour substance une forme plus ou moins consistante d'identification à l'élu.
La nullification politique, conséquence de la diversion citoyenne
La perte de substance a commencé avec l'élection de Jacques Chirac, amusant partenaire de banquets mais politicien inculte, cynique et malfaisant.
Nicolas Sarkozy accentue le desséchement de ce consensus démocratique minimum..
Ce qu'il est et ce qu'il fait interdisent la moindre ébauche d'identification citoyenne.
Sa présence à la direction du pouvoir exécutif est une insulte aux citoyens de gauche.
Elle est manifestement une gêne pour les citoyens de droite.
C'est la superposition de l'humiliation des gens de gauche et du malaise des gens de droite qui fait de cet individu le président le plus détesté de la Vème République. (Il est heureux pour lui que l'exécration ne se laisse pas mesurer en intensité.)
L'étiolement de la représentativité démocratique est la conséquence de la nullification politique enclenchée en 2007. Et il est impossible de ne pas établir un lien de cause à effet entre l'entreprise de diversion citoyenne menée par le complexe politico-médiatique et cette approche du degré zéro de la vie publique.