Faire semblant de ne pas comprendre ce que Guéant veut dire et à qui il s'adresse est une des contorsions médiatiques les plus significatives de l'époque.
En utilisant le mot "civilisations" Guéant active un réseau sémantique précis et familier.
C'est un nuage de mots dont la texture est irriguée par des liens implicites. Le mot "civilisations" est relié au mot "religions" et au mot "sociétés". "Sociétés" est en liaisons latentes avec ""Cultures", "Peuples" et "Races".
Ceux à qui Guéant s'adresse confondent spontanément ces notions. Leurs connexions neuronales, peu nombreuses, vont directement de "Civilisations" à "Races".
La transposition affleure à peine dans l'esprit des gens un peu cultivés. Elle s'impose comme une évidence dans l'imaginaire rance et gluant des disciples de Jean-Marie Le Pen: "Toutes les races ne se valent pas."
Ce fut la justification des colonisateurs au XIXème siècle: "Nous apportons, disaient-ils, la civilisation à ces peuples (races) attardé(e)s, inférieur(e)s." Ce fut aussi la rhétorique, initialement voilée, des idéologues du national-socialisme. Ils ont d'abord parlé par euphémismes afin d'installer dans l'imaginaire du peuple allemand des réseaux sémantiques polarisés sur les "êtres inférieurs". Il a suffit, ensuite, d'activer ces nuages de mots connectés, en les faisant passer de l'implicite à l'explicite.
Guéant a bien prononcé le mot "civilisations". Il n'a pas dit "races". Ceux auxquels il s'adresse ont eu, par glissements sémantiques formatés, le ressenti racial, but inavouable de cette grossière litote.