Avant même d'être formulé, le programme du candidat socialiste est hypothéqué par l'évaluation des agences de notation. Conséquence logique des changements de gouvernements imposés aux Grecs et aux Italiens, les Français doivent se préparer à voter selon Fitch, Moody's ou Standard & Poor.
Le vrai rôle de ces trois organisations ne consiste pas, comme beaucoup le croient encore, à évaluer les capacités de remboursement des Etats endettés. Ce rôle est assumé beaucoup plus efficacement par les écarts, selon la fiabilité des pays emprunteurs, entre les taux d'intérêt exigés par les prêteurs. De la même façon que le vrai rôle des "instituts" de sondage est d'influencer l'agenda de la vie publique et la sélection des élites politiques, les agences fonctionnent comme des moyens de pression sur les opinions publiques via les personnages qui exercent le pouvoir et ceux qui prétendent l'exercer.
L'escamotage des "fautes" chiraco-sarkoziennes
Sans même se pencher sur les éventuels effets de soutien à la croissance des initiatives envisagées par le candidat socialiste, les trois agences de notation dégraderont la dette de la France, au prétexte que ces mesures supposeront un accroissement de la dépense publique supérieur, dans un premier temps, à l'accroissement des recettes fiscales. Alors que depuis 2002, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont spectaculairement aggravé l'endettement du pays, François Hollande est d'ores et déjà ciblé comme celui qui fera perdre à la France le très symbolique mais, justement, sacro-saint AAA.
On reconnaît, dans ce scénario, les vieilles arguties d'une droite qui se prétend économiquement qualifiée et budgétairement vertueuse et qui disqualifie une gauche dépensière. Grâce à l'influence médiatico-politique des agences de notation, la droite chiraquo-sarkozienne réussit à camoufler ses "fautes" budgétaires et ses turpitudes financières. (On verra plus loin que ces "fautes" sont bien des erreurs délibérées).
Une vision machiavélique de la dette
Cet escamotage n'est que la séquence tactique d'une vision de la dette beaucoup plus machiavélique.
Après avoir subi le "New Deal" - qui a été pour eux un véritable traumatisme idéologique - les penseurs de l'ultra-libéralisme ont apposé sur la figure de Roosevelt l'annotation "Plus jamais çà".
Obligés de supporter la sociale-démocratie pendant trente ans comme contre-feu européen au communisme, ils ont testé les thèses de l'Ecole de Chicago et de l'Ecole de Fribourg dans les dictatures d'Amérique du Sud. Puis Reagan et Thatcher ont converti ces théories en action politique dans des démocraties représentatives. Quelques années plus tard, l'effondrement de l'URSS et la disparition du communisme rendaient la sociale-démocratie inutile aux yeux des fondamentalistes de l'ultra-libéralisme.
C'est entre 1979 et 1991 que s'est produit le grand basculement à l'origine de l'actuelle domination idéologique de la droite ultra-libérale.
La concomitance des baisses d'impôts et de la dérégulation conduit automatiquement à l'endettement car ces deux choix libéraux impliquent moins de recettes et moins de contrôle. Moins de recettes fiscales: l'Etat est progressivement paralysé. Moins de contrôle: les puissances financières privées font ce qu'elles veulent, notamment avec les produits spéculatifs dérivés. L'Etat-Providence démantelé, la régulation neutralisée, la spéculation peut se déchaîner sans vergogne et sans risques. Les organisations qui s'y livrent sont en effet "too big to fall" , trop grosses pour tomber. Dès lors, quand elles perdent à leurs propres jeux, les Etats sont obligés de les aider avec de l'argent public. Alors, forcément, les Etats s'endettent.
L'endettement est en fait, pour les fondamentalistes libéraux, une arme de dissuasion idéologique.
Plus la spéculation privée aggrave l'endettement des Etats, moins les gouvernements de gauche peuvent mettre en oeuvre une politique d'inspiration sociale-libérale.
Ce rapport de forces idéologique condamne par avance le programme économique de François Hollande.