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Billet de blog 27 janvier 2012

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Hollande innove avec la suggestion déductive

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Personnage proprement inommable pour François Hollande, Nicolas Sarkozy devient la projection en négatif du candidat socialiste. Un registre inédit dans la rhétorique politique: François Hollande suggère, les citoyens déduisent.

Première démonstration: le député de la Corrèze déclare benoîtement qu'il veut être un "président normal". Ricanements des gens de droite, soupirs de déception dans la caste médiatique qui craint sans doute de ne rien avoir à raconter si...Personne n'a repéré la redoutable technique de communication testée avec la mobilisation de l'épithète "normal", confondu à tort avec "banal".

Il y a trois "explosifs sémantiques" à retardement dans le mot "normal".

Une apparence physique "normale"

Le premier correspond à l'apparence physique de François Hollande. Si la gestuelle de l'orateur ressemble (encore) trop à celle de François Mitterrand, sa silhouette est pluôt celle de Georges Pompidou, le plus normal des présidents conservateurs. Le plus terrien, le plus solide, le plus redoutable aussi. Confronté à cette référence, l'actuel président fait figure de président atypique. Glissement sémantique terrible pour l'électorat de droite: atypique = pas dans la norme des présidents de droite.

Le "sale mec" et le brave type

Deuxième essai "balistique": la subtile énonciation de la notion de "sale mec". François Hollande n'a pas explicitement traité Nicolas Sarkozy de "sale mec". C'eut été contraire au personnage calme et rassembleur qu'il était en train de construire. Il a placé cette insulte entre guillements dans la bouche de Nicolas Sarkozy se livrant, simple hypothèse à l'époque, à un acte de contrition devant les Français. Or, surprenante prescience, c'est exactement ce que le président sortant est en train de faire en regrettant publiquement certains comportements du début de son septennat. Mais surtout, le "sale mec" est la première projection inversée, en négatif, du "brave type" que le candidat socialiste veut incarner avec ses résonances positives: calme, réfléchi, adepte du compromis, de la solution acceptable plutôt que de conflit, rassembleur.

Juppé transformé en faire-valoir

Deuxième piège tendu à ses adversaires, qui se sont rués dedans. Le réseau sémantique déployé par "normal" et "brave type" affiche, dans l'imaginaire de la polémique, des caractéristiques péjoratives telles que: banal, fallot, mou, faible, flasque, quelconque...D'où l'effarante certitude des courtisans de l'Elysée selon laquelle le candidat socialiste allait s'effondrer à la première pichenette médiatique. Pour ce faire, ils envoient curieusement au premier face à face télévisé de la pré-campagne, non pas le premier ministre, mais le ministre des affaires étrangères. A la grande surprise de millions de téléspectateurs et des piètres journalistes apparemment impressionnés (à moins qu'ils commencent déjà à ménager leur avenir), François Hollande a été très calme, terriblement maître de lui. Et c'est Alain Juppé qui s'est égaré dans des provocations sournoises, réminiscences de ses faux-pas de premier ministre en 1995. Le résultat est qu'un ministre des affaires étrangères agressif, professoral mais qui manquait parfois d'arguments économiques, a été le faire-valoir "sarkozé" d'un candidat socialiste solide, sans sectarisme ni agressivité. Un "brave type" qu'il ne faut pas trop "chercher" quand même...

Le non-dit surligné

Un non-dit "surligné" constitue le noyau d'une stratégie de communication qui apparaît de plus en plus robuste et subtile au fur et à mesure qu'elle se déploie. C'est là, dans ce qu'il refuse de dire, que François Hollande innove. En s'acharnant de manière ostensible, spectaculaire parfois, à ne pas nommer Nicolas Sarkozy, il amènage en creux, dans l'esprit de ceux qui l'écoutent, la place pour une image mentale qu'il s'est contenté de suggérer: "le président sortant est anormal."

Cette force de suggestion fonctionne d'autant plus qu'elle est quasiment subliminale et qu'elle laisse de la place à la capacité déductive des citoyens: "Je suis calme" / "Il est agité"Je suis un brave type" / "Il est un sale mec" / " Je suis cohérent" / "Il est désordonné"Je suis un homme de solutions" / "Il crée des problèmes"Je suis rassembleur" /  'Il divise", "Je suis normal" donc "Il est anormal". Mais ce n'est pas Hollande qui le dit, ce sont les citoyens qui le pensent, par déduction logique.

Tout le travail de dénigrement est accompli, non pas par François Hollande mais par les citoyens. Notamment par la fraction des électeurs de droite qui rejettent le président sortant. Faire dénigrer son adversaire par ceux qui le soutiennent, c'est nouveau.

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