alainrallet

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 13 mai 2020

alainrallet

Abonné·e de Mediapart

Du bon usage des données de contact tracing

Le débat sur les applis de contact tracing doit être replacé dans le problème plus général du pistage des contacts qui est à la fois intrusif et légitime. L’usage d’une appli doit être limité aux brigades médicales et les fichiers immédiatement détruits après usage. Alain Rallet et Fabrice Rochelandet, Université Paris Saclay et Sorbonne Nouvelle

alainrallet

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les applications de contact tracing pour combattre la pandémie du Covid-19 donnent lieu à de furieuses polémiques et d’intenses débats techniques. Au-devant, domine une sorte d’ « équilibre de la terreur »  : crainte d’un pistage généralisé de la population (société de la surveillance) versus crainte d’une reprise incontrôlée de la pandémie. A l’arrière-plan, s’agitent des intérêts : la « souveraineté numérique » des Etats versus le messianisme sanitaire intéressé des grandes plateformes américaines.

C’est cependant voir les choses par le petit bout de la lorgnette numérique. Il faut replacer ce débat dans ce qui en est la matière : le « contact tracing ». Comme pour beaucoup d’autres choses, le numérique n’a rien inventé. Le dépistage des personnes infectées et le pistage de leurs contacts suivi de la mise en quarantaine des personnes concernées est une méthode pratiquée de longue date dans les épidémies. C’est faute de ne pas l’avoir systématisée dès le début de l’épidémie actuelle, en articulation avec les autres moyens préventifs, que l’épidémie a pu flamber aussi vite et mettre à l’épreuve le système hospitalier de notre pays. On en connaît les causes : il n’y avait ni masques, ni tests, ni brigades de détection, ni structures de confinement. On en connaît le résultat : le confinement total de la population par défaut et une défiance profonde et tenace à l’égard d’un gouvernement mensonger.

Aujourd’hui, la question est à nouveau posée pour empêcher le rebond de l’épidémie et un nouveau reconfinement. Il n’y a à vrai dire pas le choix : le dépistage des contaminés, le pistage des cas contacts et leur confinement constituent actuellement, avec le port systématique du masque et les gestes barrière, la seule méthode susceptible de prévenir le retour du confinement généralisé.

Première question : les moyens (tests, brigades, structures d’isolement, masques) de cette politique existent-ils réellement ? Rien n’est moins sûr.

Second problème : la contradiction entre d’un côté le caractère très intrusif du dépistage puisqu’il s’agit d’enquêter sur le milieu familial, d’ouvrir les agendas, de reconstituer les trajets et de fournir les coordonnées des cas contacts et, de l’autre côté, le laxisme de son débouché puisqu’il n’y aura nulle obligation de quarantaine, laissant dans la nature les personnes contaminées selon leur bon vouloir. On se dit alors : tout ça pour ça ? Jusqu’ici la personne présentant des symptômes repartait incognito de sa visite médicale avec un doliprane contaminer sa famille. Elle repartira désormais la contaminer avec un test en bonne et due forme avec cette différence qu’on aura accumulé des données sur elle et sur d’autres au passage et mis en péril le secret médical.

L’incontestable différence est la collecte de données personnelles et la constitution de fichiers de données sensibles. C’est un domaine où l’impérium de l’Etat se déploie en majesté. Les structures de confinement et les masques ne sont pas disponibles mais les fichiers ont déjà des noms. La grande crainte est que toutes ces données se dispersent au vent, aboutissent entre des mains non désirées, viennent garnir les poches gargantuesques des GAFAM ou servent à l’Etat pour d’autres propos, sachant que nous vivons désormais entre 2 états d’urgence. Quelle performance avérée de la gestion étatique de la crise sanitaire peut-elle être aujourd’hui mise en face de ce risque ? 

Même problème pour une appli de tracing. On comprendrait son usage au sein des brigades de santé pour suppléer la mémoire défaillante des personnes ou le croisement d’inconnus sous le contrôle, on espère, d’une interprétation médicale située des données recueillies. Déconnectée de ce cadre, lancée dans la population en général, venant à la place de toute relation humaine, l’appli se transformera inévitablement en son contraire : une mécanique de surveillance entre les mains d’une technostructure obscure, celle qui a dilapidé les masques. Il faut partir de là : il n’y a pas de confiance, il ne peut y avoir de confiance. La seule confiance qui peut être accordée à la collecte et l’exploitation de données, c’est dans le cadre d’opérations localisées sous contrôle médical avec des équipes assermentées, les fichiers étant immédiatement détruits après usage.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.