Mon cher confinement, je vais te regretter...
Oui, je redoute, comme beaucoup peut-être, la fin du confinement.
Pas tant par crainte des défoulements, des prises de risques inconsidérés, des manifestations d’une liberté retrouvée ou autres comportements inadaptés au maintien d’une vigilance sanitaire.
Non, ce n’est pas ça ! C’est juste que, depuis bientôt deux mois, nos vies ont changé. Ce maudit virus, nous a contraints à remettre en question notre vie d’avant.
Et c’est tant mieux : je n’ai pas envie de retrouver tout de ma vie d’avant !
Bien évidemment, je ne mésestime pas les ravages du confinement, tant sur les plans humains (tellement de morts et de malades gravement atteints), économiques (avec la nécessité absolue, pour un très grand nombre, de se remettre au travail afin de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille) et sociaux (avec en particulier, le besoin impérieux de renouer des liens avec les êtres chers, trop éloignés voire isolés).
Je ne mésestime pas non plus la gravité de la situation dans laquelle ce terrible virus nous a plongés : un chômage record, d’innombrables faillites de petites entreprises, des personnels médicaux éreintés dans l’attente d’une hypothétique deuxième vague destructrice, des citoyens contraints d’affronter les transports en commun et un travail dans des conditions très anxiogènes, des enfants désœuvrés, des parents débordés et excédés, des enseignants révoltés, des caissières épuisées, des scientifiques très divisés, un gouvernement et des élus désorientés, tentant de combler les failles au fur et à mesure qu’elles s’ouvrent, béantes.
Je sais tout cela et j’en suis bien évidemment affecté, même si nous mêmes et nos proches ont été parmi les moins touchés.
Je me tiens au courant de l’état du monde.
Je lis, comme beaucoup, les prévisions sombres de nos économistes, sociologues et autres historiens.
Je baigne comme tout un chacun dans un océan de chiffres terrifiants, de courbes plus ou moins en cloches après avoir été exponentielles, de statistiques sombres et de doctes analyses redoutablement pessimistes.
Faut-il alors être économiste, sociologue, historien, voire homme ou femme politique, pour avoir un avis, des idées, peut-être même une « analyse » (quel prétentieux !) et pour oser l’exprimer ?
Certes, je n’ai ni la formation, ni la culture, ni le talent de tous ceux dont les pensées, maintes fois reprises, diffusées, discutées, influencent – pour ne pas dire conditionnent – la façon de penser et d’imaginer notre avenir commun.
Mais, jusqu’à preuve du contraire, j’ai encore un cerveau !
Un peu plus d’égalité
Ce confinement a été un exemple unique (à l’exception des dernières guerres, peut-être) où l’ensemble du corps social a été soumis à la même règle, dure, contraignante et sans échappatoire : rester chez soi ! Que tu sois M. Arnaud ou M. Dupond, c’est du pareil au même : tu restes chez toi, tu ne vas pas au restaurant, tu ne vas pas au spectacle, au stade, au bord de la mer, tu ne vas pas faire ton sport, tes courses, tes apéros, voir tes amis, ta famille, tu ne prends pas ta voiture pour un oui ou pour un non, encore moins l’avion, tu ne pars pas en vacances ou en weekend, tu ne pars pas te balader, tu ne peux pas aller à l’hôtel, tu ne vas pas à la messe, à la mosquée ou à la synagogue, tes enfants ne vont pas à l’école ni à l’université...
Quelque part, il y a là une nouvelle forme d’égalité ! Enfin presque...
Je sais bien (j’ai un cerveau, je vous dis !) que les confinements des uns n’ont rien de commun avec ceux des autres. Les uns, doigts de pieds en éventail au bord d’une piscine, les autres confinés nombreux dans un espace restreint. Les uns profitant de ce moment de « rien » pour se reposer, ranger, écrire, attendre des jours meilleurs, ... les autres devant travailler malgré tout, affronter les risques, subir des horaires infernaux, des déplacements difficiles. Les uns assurés de voir leur compte en banque alimenté en fin de mois, les autres dans l’angoisse de ne plus avoir de quoi subvenir aux besoins de leur famille.
Il n’empêche que nous avons tous, milliardaire ou vulgum pecus, été amenés à vivre dans des conditions extraordinaires, soumis à une même règle très contraignante.
Nous avons donc tous expérimenté une forme d’égalité rarement imposée auparavant.
Cerise sur le gâteau : chacun a pu prendre conscience, à sa façon et avec toutes les nuances qu’imposent les différences liées aux modes de vie antérieurs, qu’il était possible de survivre dans ces conditions radicalement nouvelles. Moins d’offres, beaucoup moins de demandes et surtout, moins de besoins. Un confinement qui a contraint nombre d’entre nous à expérimenter cette sobriété heureuse dont nous parle depuis longtemps Pierre Rabhi.
Beaucoup plus de fraternité
Chacun l’a constaté : les conditions de vies imposées par la présence du virus ont été à la source d’innombrables témoignages de fraternité. À croire que nous tous aspirions à vivre une situation qui nous permette de manifester notre besoin naturel de fraternité.
Inutile de tenter de faire une liste de tout ces gestes, petits ou grands, qui nous ont, au quotidien, émerveillés, réchauffés les cœurs et enchantés les oreilles.
Il n’est que de constater combien, lors des rares sorties autorisées, les regards croisés et les sourires échangés étaient infiniment plus chaleureux que d’habitude.
Alors oui, on peut craindre la fin du confinement !
Craindre que nous retrouvions, peut-être même davantage qu’avant, nos comportements égoïstes, notre envie de compétition, de toujours plus, toujours mieux, nos faux besoins, notre appétit à consommer pour rattraper le temps perdu, bref, que nous retrouvions nos conditions de vies individualistes, peu soucieuses des autres et totalement déconnectées des réalités écologiques qui obèrent gravement notre avenir et celui de nos enfants.
Pour résumer ce long discours, ne peut-on considérer qu’il est acceptable de restreindre un peu certaines de nos libertés (restrictions que nous venons d’expérimenter et qu’il ne s’agit pas de pérenniser mais bien de moduler) au profit d’un peu plus d’égalité et d’une vraie fraternité ?