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Billet de blog 18 avril 2016

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En Allemagne, les gauches se font disputer leurs électeurs par l'extrême-droite

Les dernières élections législatives régionales qui se sont déroulées en Allemagne ont été marquée par la percée du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD), un mouvement d'extrême-droite qui va chercher ses électeurs là où, à priori, on ne l'attendait pas.

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Le 13 mars dernier, les habitants des länder (états fédérés) allemands du Bade-Wurtemberg, Rhénanie-Palatinat et Saxe-Anhalt votaient pour renouveler les Landtage, parlements locaux. Ces trois scrutins ont été marqués par une forte poussée de l'AfD, parti fondé en 2013 comme mouvement anti-euro, mais qui évolue depuis vers un modèle de parti de droite radicale conservatrice et anti-immigré classique. En pleine dynamique depuis sa fondation, les manifestations xénophobes du mouvement Pegida et la crise migratoire actuelle dopent sa popularité. L'AfD réalise ainsi l'exploit de percer dans des länder aussi divers que le prospère Bade-Wurtemberg (moins de 4 % de chômage et un PIB par habitant défiant toute concurrence), la rurale et viticole Rhénanie-Palatinat et la Saxe-Anhalt, Land de l'ancienne RDA sujet au chômage de masse et au déclin démographique, avec respectivement 15,1 %, 12,6 % et 24,2 % des suffrages exprimés.

Cette montée en puissance électorale de l'extrême-droite, inédite en Allemagne depuis l'instauration de la République fédérale, a contraint les partis traditionnels à innover en matière de coalitions. Dans le Bade-Wurtemberg, l'Union chrétiene-démocrate (CDU) de la chancelière Angela Merkel s'est montrée ouverte à la formation d'une coalition "verte-noire", en tant que partenaire minoritaire des écologistes conduits par le ministre-président sortant Winfried Kretschmann, l'appui de son ancien allié social-démocrate ne lui permettant plus d'atteindre la majorité absolue des sièges dans le Landtag (parlement de l'état fédéré). En Rhénanie-Palatinat, le SPD, les Verts et le Parti libéral-démocrate (FDP) sont en négociations pour tenter de constituer une coalition "feu tricolore", configuration qu'on avait plus connu à l'échelle d'un Land depuis 1995. Enfin en Saxe-Anhalt, CDU, SPD et Verts n'ont d'autre choix que se mettre d'accord pour gouverner ensemble, formant une coalition "noire-rouge-verte" inédite, rejettant dans l'opposition l'AfD et l'autre paria du système politique allemand, le parti de gauche radicale Die Linke.

D'où viennent les électeurs de l'AfD ? L'institut de sondages Infratest Dimap réalise pour chaque élection en Allemagne une projection des transferts de voix d'une élection à l'autre. La rigueur de la méthode est reconnue dans le milieu universitaire, plusieurs ouvrages et articles scientifiques y faisant référence. Voici les détails des études conduites par ces instituts pour l'élection des trois landtage évoqués dans cet article.

En Bade-Wurtemberg, le premier bataillon des électeurs de l'AfD est constitué d'anciens abstentionnistes : 209.000 électeurs qui s'étaient abstenus lors de l'élection du Landtag précédent ont voté AfD le 13 mars dernier. C'est ensuite la CDU qui fournit le plus important contingent d'électeurs : 190.000. Viennent ensuite les électeurs qui s'étaient portés sur d'autres partis que les partis parlementaires, 151.000, incluant notamment les petits partis d'extrême-droite "Les Républicains" et NPD. Mais beaucoup d'électeurs de l'AfD sont aussi issus des rangs de la gauche : 90.000 sont d'anciens électeurs SPD, 70.000 sont d'anciens électeurs des Verts et 22.000 d'anciens électeurs de Die Linke. Soit un total de 182.000, presque autant que la CDU.

En Rhénanie-Palatinat, la tendance est encore plus nette : 80.000 voix viennent d'anciens abstentionnistes, 50.000 de la CDU et 45.000 des partis extraparlementaires. A gauche, 37.000 voix viennent d'anciens électeurs du SPD, 12.000 de Die Linke et 5.000 des Verts. Soit un total de 54.000, un peu plus que la CDU, même si la plupart des électeurs de l'AfD viennent tout de même des rangs de la droite si l'on tient compte des 8.000 voix "prises" au FDP.

C'est en Saxe-Anhalt que le phénomène de siphonnage des voix des gauches par l'extrême-droite se fait le plus sentir. Ici l'AfD "prend" 101.000 voix à l'abstention, 54.000 aux partis extraparlementaires, dont une bonne partie provient certainement du parti néonazi NPD, en fort recul, et 38.000 à la CDU. Mais le parti d'extrême-droite reçoit aussi le renfort de 28.000 anciens électeurs de Die Linke, 20.000 du SPD et 3.000 des Verts. Soit un total cumulé de 51.000 voix provenant de la gauche, donc plus que la droite, même en tenant compte d'un transfert de 6.000 voix de la part du FDP.

L'examen détaillé de ces transferts de voix met en évidence un caractère "attrape-tout" de l'AfD qui, globalement, prend des voix chez la droite, chez la gauche, et attire ceux qui avaient pris l'habitude de déserter les urnes. Mais le fait qu'il en prenne autant à gauche n'a rien d'anecdotique tant les postions qu'il exprime sur les questions de société et d'immigration sont éloignées de celles tenues par les partis de gauche en général, et par Die Linke et les Verts en particulier.

L'AfD semble être le receptacle de ceux qui sont éloignés de la vie politique. Le parti arrive en tête parmi les primo-votants en Saxe-Anhalt. Il obtient des résultats élevés dans toutes les classes d'âges en dehors des électeurs âgés de 70 ans et plus, les plus participationnistes. Bien qu'il soit fortement présent dans toutes les catégories sociales de la population, il obtient ses résultats les plus élevés parmi les ouvriers et les chômeurs (jusqu'à, respectivement, 35 et 36 % en Saxe-Anhalt).

L'ascension de l'AfD représente donc un défi pour les gauches, et pour Die Linke en particulier, car ce parti revendique aussi une forme d'opposition au système politique en place, bien que sa participation aux exécutifs de certains länder orientaux ait suscité beaucoup de déceptions. Il est avéré que dans le périmètre de l'ex-RDA, où Die Linke obtient traditionnellement ses meilleurs résultats, son succès repose avant toute chose sur la fédération des mécontentements, de ceux s'estiment laissés pour compte. Aujourd'hui, ce parti semble dépassé par une force d'extrême-droite qui semble mieux incarner le rejet du système et capter les mécontents.

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