La dernière enquête de l’institut Elabe (pour Les Echos et Radio Classique, 22 septembre 2016) est éloquente de ce point de vue.
En effet les instituts de sondage français prennent généralement le parti pris de présenter les résultats de leurs enquêtes d’intentions de vote sous forme de chiffres redressés, la plupart du temps en fonction des résultats des élections précédentes. Or, la simple lecture de la notice de l’enquête suffit à apprendre que cette clé de lecture n’est pas pleinement satisfaisante. Pour son sondage, Elabe avertit le lecteur dès la quatrième page :
Les rapports de force électoraux présentés dans ce document sont calculés sur la base des personnes ayant exprimé une intention de vote et se disant certaines ou quasiment certains d’aller voter, soit 500 à 600 personnes selon les hypothèses présentées dans ce document. Ainsi, pour un pourcentage observé de 25 %, la marge d’erreur est au maximum de +/- 3,8 points avec un niveau de confiance de 95 %. Ceci signifie que pour un résultat à 25 %, il y a 95 % de chances pour que le résultat réel soit compris entre 21,2 % et 28,8 %.
Comme vous pouvez le constater, la marge d’erreur est donc considérable ! Quand deux candidats se détachent nettement des autres, cette précaution de lecture peut paraître superflue. Mais quand les résultats sont serrés, c’est une toute autre histoire !
Prenons par exemple l’hypothèse 4 d’Elabe, avec Nicolas Sarkozy comme candidat LR, opposé à Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon, François Bayrou, François Hollande, Nicolas Dupont-Aignan, Cécile Duflot, Nathalie Arthaud et Philippe Poutou. Confrontés à cette hypothèse d’offre politique de premier tour, les répondants expriment des intentions de vote qu’Elabe présente de la façon suivante :
- Marine Le Pen 25 %
- Nicolas Sarkozy 18 %
- Emmanuel Macron 15 %
- Jean-Luc Mélenchon 15 %
- François Hollande 12,5 %
- François Bayrou 8 %
- Les autres candidats obtenant des intentions de vote inférieures ou égales à 3 %.
C’est une manière de présenter les résultats. Mais il y en a une autre. Ces intentions de vote peuvent aussi être présentées sous forme de fourchettes. En nous fiant au tableau de marges d’erreurs fourni par Elabe, les résultats peuvent aussi être présentés de cette façon :
- Marine Le Pen : entre 21,2 et 28,8 % d’intentions de vote
- Nicolas Sarkozy : entre 14,5 et 21,5 %[1]
- Emmanuel Macron : entre 11,9 et 18,1 %
- Jean-Luc Mélenchon : entre 11,9 et 18,1 %
- François Hollande : entre 9,4 et 15,6 %
- Aucun autre candidat n’est en mesure d’accéder au second tour
En somme, si un second tour Le Pen/Sarkozy est du domaine du possible, d’autres scénarios de second tour sont crédibles. Marine Le Pen est assurée d’être présente au second tour, car un seul candidat, Nicolas Sarkozy, obtient un potentiel maximum d’intention de vote dépassant son propre minimum potentiel. Mais le challenger de la candidate d’extrême-droite peut tout aussi bien être Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon ou François Hollande. Pourtant, dans le sondage en question, aucun scénario de second tour Le Pen/Macron, Le Pen/Mélenchon ou Le Pen/Hollande n’est testé… Cela aurait pourtant sans doute été intéressant !
Le résultat de la primaire de la droite pourrait donc avoir de lourdes conséquences pour le déroulement de l’élection présidentielle en elle-même. Lorsqu’il teste la candidature d’Alain Juppé sans la concurrence de François Bayrou, le candidat LR obtient 26 % des intentions de vote, contre 27 % à Marine Le Pen, 14 % à Emmanuel Macron, 13 % à Jean-Luc Mélenchon et 12 % à François Hollande. Dans ce cas de figure, même avec la prise en compte des marges d’erreurs, seuls Marine Le Pen et Alain Juppé sont assurés d’être présents au second tour. On peut en déduire l’hypothèse qu’une victoire de Nicolas Sarkozy à la primaire de la droite pourrait indirectement servir les intérêts d’Emmanuel Macron, de Jean-Luc Mélenchon ou de François Hollande.
Agrandissement : Illustration 1
[1] Elabe ne communiquant pas de marges d’erreurs pour un résultats de 18%, nous avons retenue celle du résultat le plus proche pour lequel cette information est donnée, soit 20 %. Pour François Hollande, c’est la marge d’erreur correspondant à 15 % qui a été retenue.