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Billet de blog 2 mai 2022

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Présidentielles, 25 Aprile, et ironie du sort

[Rediffusion] Lundi 25 avril, l’Italie célébrait la Résistance et descendait dans les rues pour le soixante-dix-septième anniversaire de sa Libération. De l’autre côté des Alpes, un jour plus tôt, l’extrême droite française battait des records. Synthèse d’une amertume, ou pourquoi il est primordial d’avoir une conscience politique.

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Lorsque j’ai rencontré l’œuvre d'Italo Calvino, il y a quelques années, j’ai aussi fait la connaissance de Pino. Pino, ou Pin pour la version originale, est un enfant de dix ans du Sentier des nids d’araignées. Un jour, Pino vole un flingue, se retrouve en prison, en sort, et par une suite de péripéties rentre dans la résistance, et quand on est résistant à dix ans, on n’est sans doute plus vraiment un enfant. L’histoire de Pino, c’est une brèche au travers de laquelle notre génération peut encore apprendre sur les partigiani, ces mêmes partigiani qui ne se distinguent pas par des qualités héroïques, mais par la fermeté d’un non ; des vraies gens qui ont pris le parti d’un monde plus juste. C’est parce que l’on peut aujourd’hui se prononcer pour la paix et contre la récurrence du fascisme qu’existe la célébration du 25 avril en Italie. C’est parce qu’on peut de nouveau descendre dans la rue librement pour s’exprimer et s'opposer qu’on le fait ; ne serait-ce que pour s’assurer qu’on le pourra encore.

Lundi dernier était bruyant et flou de fumigènes, bariolé de drapeaux. Sous les banderoles se sont avancés sur plusieurs kilomètres et ce, sur tout le territoire, des cortèges hétérogènes et multigénérationnels. Aussi, dans les messages véhiculés par les chants et les pancartes, se lovait une affirmation plus implicite. Celle de l'importance pour chacun•e d'avoir et d'entretenir une conscience politique propre. Il y a  du beau dans la manifestation, aussi bien dans le fait d'avoir des convictions que dans le souci de les défendre. Mais il y avait Lundi 25 avril autant de beau qu'il y avait d'ironie dans la situation politique transalpine. Le président sortant est réélu pour cinq ans, mais avec un record historique qui dépasse les 40% au deuxième tour Le Pen n'essuie pas de défaite. Cette année encore, les taux d'abstention étaient considérables : 28,2% au second tour, ce n'est pas sans rappeler les 28,4% des élections de 2002 qui opposaient Chirac et Le Pen père. En 2017, c'était 74% des 18-24 ans, 69% des ouvriers, et 68% de celleux qui gagnent moins de 1250 euros par mois qui s'abstenaient. Ainsi l'amertume jaillit tout d'abord d'un système qui crée de plus en plus de non-votants pour ensuite les invisibiliser, d'un système qui exige depuis plusieurs mandats le sacrifice du front populaire puisqu'il survit du vote utile, puis qui ferme les yeux sur l'importance de comptabiliser le vote blanc, d'un système selon lequel personne n'est responsable mais qui se tait consent. C'est peut-être ça la redondance de l'Histoire, le goût du 'déjà-vu', ou pour le moins celui du 'déjà-entendu' ; une rengaine qui a du mal à passer. 

Peut-être le Rassemblement National, ancien Front National, a-t-il été si souvent qualifié de parti fasciste qu'on a décrédibilisé le risque. Si le Front National fut bien créé par le mouvement ouvertement néofasciste Ordre Nouveau, le terme fasciste maintient un sens précis qu'il convient d'employer avec précision. La question quant à la justesse - ou non - de l'adjectif fasciste pour qualifier le parti semble avoir tant monopolisé le débat qu'elle a laissé l'espace nécessaire à une stratégie de dédiabolisation qui, aujourd'hui plus que jamais, porte dangereusement ses fruits. L'idée que l'Histoire se répète suggère une correspondance parfois bien trop ambiguë entre passé et présent qui exigerait presque de l'un et de l'autre qu'ils soient identiques. Si l'on s'en tient à l'analogie parfaite entre Front National et fascisme, on tombe rapidement dans la rhétorique du démentir ; autrement dit en énumérant toutes les raisons pour lesquelles le parti ne peut être décrit comme fasciste, on nie les raisons pour lesquelles il est fascisant. 

Si la politique est vraisemblablement la carotte qui fait avancer l'âne, les élections la promesse illusoire qu'on ne touche jamais du doigt, comment ne pas comprendre les 28,2% qui s'en détournent ? Et pourtant, l'intérêt à la politique ne pourra être vain ne serait-ce parce qu'il permet la critique, et qu'il permet, lorsqu'on descend manifester dans la rue, de savoir pourquoi. En témoignant d’une lutte partisane faite de doutes et d’acteur•rices ordinaires, de gens comme vous et moi, et même de gens comme Pin, Calvino traçait une trajectoire directe depuis l’histoire résistante vers aujourd’hui. Le portrait réaliste des résistants au fascisme et à l’Occupation en Europe nous confronte directement aussi bien à la banalité de ses protagonistes qu'à la versatilité avec laquelle l’Histoire peut effectivement reproduire une similarité de schèmes. A la veille des législatives qui prennent un tournant historique avec l'alliance des Insoumis et des Verts, là et toujours, la résistance, par celleux qui avertissent des grandes lignes et non de la symétrie, celleux qui se distinguent par un parti pris — celui, aujourd’hui, de l'esprit critique. 

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