La tribune en défense d'Eric Woerth publiée dans Le Monde par Simone Veil illustre la tragédie de cette figure, si populaire dans la société française.
Cet tribune est signée de son titre de présidente d'honneur de la Fondation pour la mémoire de la Shoah ce qui déconsidère cette institution et accentue le malaise face à un texte de mauvaise foi qui ose évoquer le « populisme » et la « chasse à l'homme »
On peut certes sonder les motivations profondes de cet appel et noter sa concordance avec l'offensive médiatique des communicants chargés de défendre le pilier du sarkozysme et des finances UMP.
Au-delà, force est de constater que tout au long de sa carrière politique, Simone Veil a eu à se confronter dans son camp, celui de la droite parlementaire, à des attaques et des cas de conscience dont elle ne semble pas en capacité de saisir la mesure et la cohérence.
Son autobiographie « Ma vie » mentionne d'ailleurs certaines de ces affaires
1) La loi sur l'IVG en 1973 (votée grâce aux voix du PC et du PS et avec une petite minorité de voix de droite) « Ma tâche me paraissait d'autant plus lourde que la profession médicale, dans l'ensemble, m'acceptait avec réticence. Il ne sert à rien de travestir les faits : face à un milieu au conservatisme très marqué, je présentais le triple défaut d'être une femme, d'être favorable à la légalisation de l'avortement et, enfin, d'être juive....
Plus nous nous rapprochions de l'échéance du débat, et plus les attaques se faisaient virulentes. Plusieurs fois, en sortant de chez moi, j'ai vu des croix gammées sur les murs de l'immeuble...on avait inscrit sur la porte de mon domicile : "Veil = Hitler" »
Mais S.Veil ne précise pas que des députés de la droite l'ont attaquée tout aussi abjectement.
2) Raymond Barre et le "lobby juif "
Elle raconte encore : « ...Dès 1978, un dérapage verbal en Conseil des ministres avait bien failli mettre le feu aux poudres.
Raymond Barre avait évoqué le « lobby juif » dans des termes que j'avais jugés déplacés.
Après le Conseil, j'avais déclaré au président(Giscard) qu'en cas de nouvelle sortie de son Premier ministre sur le prétendu « lobby juif », je quitterais aussitôt le gouvernement en disant pourquoi. Giscard était intervenu, et Barre avait ensuite doctement expliqué ce qu'il avait voulu dire ; à l'entendre, j'avais mal interprété ses propos.
Deux ans plus tard, après l'attentat de la synagogue de la rue Copernic, sa langue avait à nouveau fourché. Alors que son ministre de l'Intérieur, Christian Bonnet, évoquait l'hypothèse d'un coup monté et que le président de la République s'abstenait de toute déclaration, Raymond Barre avait déploré la mort, à côté de juifs, de « Français innocents »... »
S. Veil participa aux cortèges de protestation contre l'attentat, mais ne démissionna pas du gouvernement Barre. Elle siégea d'ailleurs dans le même gouvernement que Maurice Papon de 1978 à 1979 (voir Raymond Barre : requiem pour un antisémite)
3)Avec le pétainiste Robert Hersant Simone Veil est à la tête d'une liste RPR-UDF aux élections européennes de 1979]
Elle raconte : « La composition de la liste m'a presque totalement échappé. En particulier, la présence de Robert Hersant, dont le passé vichyssois était désormais connu de tous, ne me faisait aucun plaisir, c'est le moins que l'on puisse dire.
On m'avait expliqué qu'il était difficile de se mettre à dos le propriétaire du tout-puissant Figaro. Une fois encore, la politique l'emportait ainsi sur les principes moraux. Ma seule échappatoire se référait à l'ancienne appartenance du patron de presse à la FGDS, le groupuscule politique qu'avait naguère dirigé François Mitterrand. J'avais donc tout loisir de renvoyer les socialistes qui m'attaquaient sévèrement sur ce sujet à leurs propres contradictions, ce que je ne me suis pas privée de faire.
Il reste que, pour la première fois de ma vie, j'avais accepté, pour de basses raisons d'opportunité, un compromis qui avait à mes yeux l'allure d'une compromission... ».
Cela ne la conduisit pas à démissionner ni à préciser que Robert Hersant avait été placé sur cette liste afin de lui garantir une immunité parlementaire pour ses manœuvres financières.
4) La candidature Sarkozy de 2007. Elle est présidente de son comité de soutien.
À l'annonce de la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale par le candidat de l'UMP au cas où il serait élu, elle déclare » "Je n'ai pas du tout aimé cette formule très ambiguë. J'aurais préféré parler d'un ministère de l'immigration et de l'intégration"
Comme on lui demande si elle a fait part de son désaccord à Sarkozy, elle répond : "...Il est très difficile à joindre en ce moment. Mais je compte bien lui en parler. Je lui ai toujours dit ce que j'en pensais".
Voici comment de leur côté Sarkozy et ses proches ont vécu et analysé cet épisode, certains que S.Veil ne romprait pas. Selon le livre Histoire secrète de la droite, 1958-2008 rédigé par des journalistes sarkozystes et qui décrit la genèse de la création d'un ministère de l'Identité nationale, ensuite confié à B. Hortefeux, la scène suivante dévoile l'enjeu : « Le jeudi 8 mars 2007 . [...] face à la remontée de S. Royal dans les intentions de vote du second tour, une prompte décision s'impose. Pourquoi ce "coup de mou"que rien ne laissait présager ? L'analyse est fournie, une fois de plus, par P.Buisson (conseiller de Sarkozy issu de l'extrême droite ndlr) lors d'une réunion convoquée d'urgence.
- Nicolas est en train de se notabiliser, attaque Buisson. J'y vois la conséquence du choix de Simone Veil pour présider le comité de soutien.[...]
Puis, s'adressant à Sarkozy : - Tu as percé parce que tu incarnes une transgression par rapport aux tabous de la politique traditionnelle. Il faut, sans tarder, envoyer un signal fort à toutes les couches nouvelles qui ont déjà basculé dans ton camp ou qui sont prêtes à le faire.
Or, le tabou des tabous, c'est l'immigration. La transgression majeure, elle est là. Pas ailleurs. Il faut en remettre un coup sur le thème de l'identité nationale. Le silence, alors, est à couper au couteau. Seul Guaino intervient pour soutenir Buisson. Puis, après un nouveau silence, Sarkozy lui-même :
Patrick a raison. Je vais proposer la création d'un ministère de l'Identité nationale. Quant à Simone, je la gère. Elle doit comprendre. Elle comprendra."
(voir notamment Identité nationale:comment l'idée vint à Eric Besson)
Simone Veil assumera jusqu'au bout son soutien à Sarkozy. Elle ne relèvera pas non plus les diatribes de Sarkozy et Guaino contre la « repentance » à propos de Vichy et de la collaboration, ni la répression contre les sans-papiers
4)La mémoire des enfants juifs. En février 2008 Sarkozy déclare lors du dîner du CRIF que les élèves de CM2 auront la charge de perpétuer la mémoire des enfants juifs assassinés pendant la Shoah. Simone Veil proteste vivement et déclare que cette proposition lui a « glacé le sang » (voir Sarkozy et la Shoah : analyse d'une manipulation" ) Le projet sera retiré.
. Au total il apparaît que malgré sa vie exceptionnelle et la richesse de ses combats et ses engagements Simone Veil demeure prisonnière de sa solidarité avec sa classe sociale et de ses options idéologiques qui incluent une intense hostilité à la gauche. Cela la conduit à défendre les graves dérives du régime actuel.
Albert Herszkowicz pour MEMORIAL 98 http://memorial98.over-blog.com