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Billet de blog 2 mai 2017

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Le front républicain marche sur la tête

En ce premier mai bien timide, il n'aura échappé à personne que cet entre deux tours ne ressemble en rien à celui de 2002. Il s'agissait à l'époque de rattraper un terrible accident, de laver l'honneur de la France, de vaincre le mal. Qu'on en est loin ! C'est peu dire que le "front républicain" peine à prendre forme. Et pour cause.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour qu'il y ait un front, il faudrait déjà que le principal concerné le souhaite.

 Macron a débuté le 2e tour par une séquence incroyable d'impréparation, depuis le premier soir et toute la semaine, et qui pose sérieusement la question de la fiabilité de ce type. Depuis des mois qu'on lui prédit un deuxième tour contre Le Pen, il n'avait manifestement préparé aucune stratégie d'entre-deux tours. C'est le sentiment d'infaillibilité des élites personnifié. Bref, vendredi je lis cette dépêche AFP qui résume son intervention la veille sur TF1, au cours de laquelle, au lieu de tirer des leçons des quatre derniers jours complètement ratés, il exprime de façon pure et parfaite son péché d'orgueil :

"Les Français ont décidé qu'il y avait deux offres: Mme Le Pen et celle que je représente. C'est l'alternative démocratique. Il faut donc se positionner. Ne pas se positionner, c'est décider d'aider Mme Le Pen" (...)

Ca commence très fort, vu que les Français ont placé quatre offres dans un mouchoir de poche, et que son "projet" a recueilli, pour une bonne part, des votes utiles et non des votes d'adhésion, à la différence de ses trois adversaires. La suite est à l'avenant.

M. Macron a ensuite tendu la main aux électeurs de certains de ses adversaires du premier tour, reconnaissant que seuls 24% des électeurs se "sont exprimés en (sa) faveur": "Je ne prends pas le vote qui sera en ma faveur comme un chèque en blanc", a-t-il martelé.

"Je respecte les électeurs de François Fillon qui voulaient plus de réformes économiques en leur sens, qui voulaient une autre société. Je leur dis simplement : est-ce que vous vous retrouvez dans le projet de Mme Le Pen ? (...)

"Je parle aussi à celles et ceux qui ont voté pour Benoît Hamon, pour Jean-Luc Mélenchon. Je sais très bien qu'ils ne partagent pas nombre de réformes que je défends. (...) J'entends la question démocratique, la question écologique, à laquelle ils étaient sensibles. Je vais leur expliquer que dans mon projet il y a une part de réponse. (...) Il y a dans le projet que je porte des réponses aux problématiques qui sont les leurs (..) en terme de pouvoir d'achat, en terme de justice, en terme d'écologie".

La conclusion tombe comme un couperet.

"Je ne prendrai pas ce vote comme un chèque en blanc. Par contre, j'ai besoin d'avoir le maximum de force pour aller au bout de la refondation de notre vie politique et construire ce camp progressiste qui demain devra affronter le Front national (...) J'ai besoin de votre vote. J'ai besoin de votre adhésion pour nous rendre plus fort", a-t-il conclu.

Vous avez bien lu : je ne prends pas votre vote comme un chèque en blanc, et en même temps, je prends votre vote comme un chèque en blanc ! Seul Macron est capable de ces envolées contradictoires démentes, "et en même temps", il n'est pas seul, cette déclaration irresponsable concluait une séquence hallucinante qui a vu tout son entourage faire collectivement la démonstration de son autisme.

Dès dimanche soir, en conclusion de la soirée électorale (sur le service public), la conclusion est offerte à Nathalie Saint-Cricq, chef du service politique de France 2 qui, extatique, s'émerveille de l'exploit de son poulain, à tel point que Léa Salamé, qui n'est pourtant pas un modèle, l'interrompt : "il y a quand même le second tour", ce qui déclenche un grand rire de Saint-Cricq : "ahahah oui vous avez raison… Enfin bon quand même :))))". Son indécence est représentative d'une sphère médiatique décidément bien peu choquée par la présence de Le Pen.

Lundi matin, les bourses se sont "soulagées" dès l'ouverture : +4%, dont +8% pour les valeurs bancaires. La "main invisible" ne pouvait pas se simuler pendant quinze jours au lieu de se caresser frénétiquement, dans une démonstration pure et parfaite de son court-termisme structurel.

Lundi après-midi, dans le silence radio du candidat, Hollande appelle à voter pour lui, ce qui ne manque pas de rappeler combien Macron est comptable d'un bilan honni. Ne pouvait-il pas se draper quelques jours de plus dans le silence institutionnel ?

Mardi, les responsables politiques se succèdent pour expliquer qu'ils sont prêts à gouverner avec Macron (noble sacrifice de ces professionnels de la politique au bord du chômage) ou pour fustiger Mélenchon, dont les Insoumis s'expriment aujourd'hui sur leur plateforme, conformément aux engagements pris il y a un an (tenir parole : quelle horreur !). Ils sont invités à se prononcer librement dans le cadre d'une seule consigne, martelée clairement : "pas une seule voix à Le Pen". Honte sur JLM, les brebis imbéciles sont perdues ! Continuez tous à insulter l'intelligence des électeurs, c'est un excellent pari.

Mercredi, c'est le grand chelem : pendant que Macron, daignant enfin sortir de chez lui, se fait enfumer chez Whirlpool par une Le Pen plus perfide que jamais, Attali explique sur un plateau télé que le sort de cette entreprise est une anecdote. Ses mentors, eux aussi, devraient sérieusement se retenir.

Jeudi matin, Dupont-Aignan ne s'est toujours pas prononcé, il annule une conférence de presse car il est en train de négocier sa place avec Le Pen et un soutien financier. Mais tout le monde s'en fout, il faut croire que 1,7 million de voix, presque 5%, ce n'est rien. Silence général du monde politico-médiatique, on n'entend pas grand-monde intimer NDA à la sagesse et à l'unité. Pourtant, son ralliement au Front républicain aurait été un signal très fort, plus encore après les propos de Sens Commun, de Christine Boutin ou d'autres personnalités de droite. Mais non, la droite, elle, a droit à ses pudeurs de gazelle, elle a le droit d'hésiter à voter pour un sale gauchiste comme Macron.

Jeudi midi, Parisot se déclare prête à devenir premier ministre de Macron. Manifestement, il lui manque encore le sens du timing politique. On avait entendu le candidat, les médias, les banques et les politiciens, il ne manquait plus que le patronat.

Et donc jeudi soir, le candidat confirme, c'est projet contre projet. Faire front républicain en faveur d'un candidat qui a clairement affirmé que peu importe le programme, c'est le "projet" qui compte (subtile différence, qui permet de faire l'économie du programme jusqu'à un mois du premier tour), c'est déjà fort, mais il faut en plus faire front pour un candidat qui se dit ni de droite ni de gauche, mais dont on n'a pas le moindre début d'idée de l'équipe qui va gouverner avec lui, il préserve jalousement le secret des négociations, c'est le double chèque en blanc.

Ce sera donc lui ou le chaos.

On nous demande de sauver la démocratie, mais ce n'est pas un front républicain, c'est un plébiscite !

En demandant de voter pour son projet ou pour celui de Le Pen, c'est Macron lui-même qui fait le jeu de l'abstention. Il semble ignorer que si l'on accule les gens à une "alternative", il vaut mieux qu'ils n'en aient pas d'autres, or, l'abstention, ne lui en déplaise, est un choix possible.

Mais Macron n'est pas seul, et tant d'autres modèles de vertu appellent à la responsabilité.

Pour qu'il y ait un front, il faudrait que les appels à sauver la démocratie émanent de personnalités démocrates et responsables, plutôt que de coupables.

Sauver la démocratie ? Notre "belle démocratie" ? Mais qui s'en soucie ?

Certainement pas le gouvernement Chirac qui, en 2002, a aussitôt trahi le front républicain pour mener sa politique de droite... Et encore n'était-ce qu'une droite à la Chirac, bien timide. Voilà pour ce que vaut le front : chèque en blanc, effectivement.

Chirac, qui a son actif, portera pour l'éternité le référendum de 2005 sur la constitution européenne, la souillure ineffaçable de la démocratie.

Avec Sarkozy en 2007, plus besoin de FN, ses valeurs étaient au pouvoir. Du débat sur l'identité nationale jusqu'aux derniers jours de sa campagne de 2012, la stratégie de vampirisation des idées extrêmes a porté ses fruits : difficile de mieux dédiaboliser le FN.

Avec Hollande en 2012, c'est la démonstration que les engagements politiques ne valent strictement rien : élu sur le "changement", Hollande, avec son principal aide de camp Macron, aura mené une politique économique ignorant résolument ses électeurs, conclue par l'ébouriffante loi El-Khomri, adoptée contre le parlement à coups de 49-3 successifs, dans la répression des manifestations et le mépris des syndicats.

Comment ne pas nommer dans ce portrait des coupables l'indécent Valls, qui a joué avec les libertés publiques comme nul autre avant lui, et qui s'est chargé de donner le coup de grâce à un PS que Hollande avait laissé pour mort : en trahissant ses engagements des primaires pour appeler à voter Macron, il a fini de démontrer ce que valait la parole donnée : rien. Si j'avais voté à la primaire je lui ferais un procès pour qu'il me rembourse les 2€ indument perçus...

Au-delà des personnes, il est difficile de se représenter combien la présence probable de Le Pen au 2e tour réjouissait les état-majors des grands partis de gouvernement. Par une sinistre alchimie, miser sur quelque 20% des suffrages exprimés (en réalité, moins autour de 15% des Français-e-s en âge de voter) leur permettait de récolter 100% du pouvoir !

Sauvons la Ve République, disent-ils ! Sauvons ce régime si démocratique qu'il a permis à un Fillon mis en examen de maintenir sa candidature, et avec quel respect pour les institutions démocratiques : "donnez-moi 20% et je serai lavé des poursuites des magistrats !" Donnez-moi 20% et, comme Macron, je pourrai sortir le champagne le soir du premier tour.

Le Pen est présentée comme un danger terrible car, comprenez-vous, les institutions de la Ve République donnent au Président tant de pouvoirs... C'est vrai ! Mais que faites-vous pour résoudre ce danger ? Il me semble que ce ne sont pas les propositions de réforme de la constitution qui manquent ? Ce ne sont pas les exemples étrangers qui manquent ? Quel engagement Macron a-t-il pris pour résoudre les défauts des institutions ? Aucun !

Enfin, le tableau des coupables ne serait pas complet si l'on oubliait l'autre grand leader politique de notre pays, l'Union européenne. En 2002, dans le prolongement de Maastricht, l'Euro naissait tout juste. Quinze ans d'austérité plus loin, quinze ans de morgue européenne plus tard, personnifiée par l'intransigeance aveugle du couple Merkel- Schäuble, et symbolisée par la nomination de Juncker aux commandes, on a pu constater l'ordre des priorités : des dizaines de milliards trouvées en quelques jours pour le sauvetage des banquiers (que je distingue bien du sauvetage des banques), suivi dans la foulée d'un étranglement sauvage du peuple grec. Le vote de 2005 n'était pas un accident isolé (les Hollandais, les Grecs, et tout récemment les Anglais peuvent en témoigner), et aujourd'hui les partis ouvertement positionnés sur une sortie ou une renégociation "dure" de l'Europe ont reçu 49,9% des suffrages au premier tour. Mélenchon ne s'y est pas trompé, c'était bel et bien une différence trop fondamentale pour la troquer contre un ralliement de façade avec Hamon. Devoir sauver une démocratie confisquée par la machinerie ultra-libérale européenne, c'est chaque jour davantage un grand écart mental.

Mépris initial du front républicain, banalisation de la pensée lepéniste, trahison de l'électorat, complaisance dans un régime présidentiel dangereux, et dilution assumée dans l'Europe, la démocratie que l'on est censée sauver est foulée aux pieds par ses premiers défenseurs, les membres du corps politique. Lesquels coupables courrent aujourd'hui les plateaux télé (les plateaux télé, il faudrait y consacrer quelques lignes également...) avec l'air grave pour nous expliquer qu'il faut que nous soyons, nous des citoyens responsables. Eux qui découvrent la "démocratie" une fois tous les cinq ans, se sentent d'un coup pousser des vertus. Grisés, ils oublient que pendant les cinq ans qui suivent, ce sont les Français doivent payer leur légèreté. Que ce sont eux qui conduisent les politiques qui causent la montée du Front National.

Car malgré cela, malgré "l'imperfection" du système, il faudrait sauver tout de même sauver les meubles, au nom des valeurs, non pas de la démocratie, mais de la République cette fois.

Mais où en sont-elles, les valeurs de la République ? C'est très, très dur à comprendre chez les élites, mais la République est aujourd'hui en ruines. Si les médias daignaient s'intéresser à autre chose qu'aux thèses béates de l'ultra-libéralisme, ils en tireraient le même constat.

En 2002, on pouvait penser que c'était un accident. Une campagne très courte et odieuse basée sur l'insécurité et conclue par le meurtre de papy Paul Voise, "récompensée" par une abstention prononcée (30,8% en comptant les blancs et nuls) et surtout caractérisée par une folle dispersion à gauche avaient mené à l'impensable.

Quinze ans plus tard, ce n'est pas une surprise, c'était annoncé depuis des années. C'est donc que la montée du Front National est la conséquence de certaines causes, que l'on connait et que les gouvernements se montrent incapables de traiter.

La liberté, c'est la liberté pour tous de quémander des emplois qui n'existent plus, et de joindre les deux bouts dans une société où se loger et se nourir consomme la quasi intégralité du revenu disponible. La liberté d'agir contre cela a été remplacée par l'obéissance aveugle aux absurdes dogmes économiques ultra-libéraux, imposés sans aucune contrepartie et comme nulle part ailleurs dans le monde par Bruxelles et Berlin.

L'égalité est plus que jamais une chimère, à l'heure où la croissance ne profite plus qu'aux riches, où jour après jour le études démontrent que les inégalités n'ont jamais été aussi marquées et aussi croissantes. Votre système produit de la richesse, c'est difficile à nier, mais celle-ci est captée par une poignée, au détriment des perdants qu'elle produit en bien plus grande quantité.

La fraternité, c'est la fraternité avec les banquiers, sauvés des eaux en quelques jours, tandis que le reste de la population est priée de se démerder, que chacun est dressé contre l'autre dans une pathétique course à la misère : le travailleur précaire contre le fonctionnaire, le CDI en burn out contre l'assisté, le vieux tricard en pré-retraite forcée contre le jeune diplômé qui se fait embaucher au smic et gagnera moins que ses parents... La fraternité, c'est que nous sommes tous des Grecs, et demain, selon l'expression consacrée, c'est chez eux que tous ensemble nous irons nous faire foutre. Et que dire du dernier clivage, islam contre reste de la société ? De quand date la montée de l'Islam radical en France ? Certainement pas de l'immigration des populations maghrébines. C'est leur paupérisation et leur austracisation que l'Islam a accompagné.

La présence de Le Pen au 2e tour, c'est la conséquence logique de la brutalité ultra-libérale. C'est la réponse des exclus du système. Vous pouvez toujours agiter le scénario-catastrophe de l'arrivée du FN au pouvoir, ceux qui votent FN : ils n'ont rien à perdre. Ils s'en foutent de l'Europe que vous avez construite, elle ne leur sert à rien. Ils n'ont plus rien, plus rien à perdre.

Continuer à voter pour les programmes qui sont la cause de la montée du FN, c'est le voir continuer à progresser.


Alors oui, on va faire front, on va le faire malgré vous. Mais si vous voulez vraiment que votre dernier joker fonctionne, voici quelques conseils.

Malgré son attitude suicidaire, malgré ses fautes impardonnables, le système politique a encore une chance de se préserver, pour cinq années de plus. Mais ça ne va pas être simple. Pour y arriver, trois petits conseils.

D'abord et avant tout, arrêtez de comparer les programmes. On a bien compris. On fait la différence. Ne prenez pas les gens pour des demeurés.

Le problème, c'est que le "programme" de Macron est très clair : moins de protection sociale pour tous ceux qui cotisent, moins de protection légale pour ceux qui ont un CDI (seulement 20% des contrats de travail signés ces dernières années), moins de services publics pour tout le monde... et les pauvres et les exclus sont priés de crier leur bonheur et leur impatience ?

Ce n'est pas sur les programmes qu'il faut positionner le débat, il n'y a pas de débat, il n'y a qu'une question de morale : pourrez-vous vous regarder dans la glace si vous votez pour un parti xénophobe ? C'est la seule question qui vaille. Pour le reste, cessez de faire croire que Macron est paré de la moindre vertu.

J'ai reçu cette semaine une publicité de Cadremploi sur Facebook qui m'invite, avec des smileys, à comparer qui de Le Pen ou Macron propose le plus d'avantages pour les cadres ! On en est là. Personne ne peut plus se retenir de réaliser des bancs d'essai.

Le programme de Le Pen, c'est la xénophobie, et c'est une une horreur inqualifiable, et rien d'autre ne compte. Arrêtez de comparer l'incomparable, au lieu d'exprimer que, justement, c'est incomparable. Chirac l'avait intelligemment fait en 2002. Là, vous donnez le sentiment qu'il y a une alternative.

Ensuite, il vous faut faire plus intelligemment la chasse aux voix. Pendant que vous harceliez Mélenchon, au lieu de mettre la pression sur Dupont-Aignan, vous l'avez laissé tergiverser et le voilà désormais tout sourire avec Le Pen, recrue de choix. Vous avez perdu presque 5%, soit 1,7 millions de voix. Mais réjouissez-vous : la gauche bisounours, responsable et européiste, ira voter en rangs serrés et va vous apporter 90% des 6,3% de voix Hamon. Vous voilà presque à 30%.

Restent les voix de Fillon et des Insoumis. Les premières projections donnent, chez les électeurs Fillon : un tiers de vote Macron, un tiers d'abstention et un tiers de vote Le Pen. Coup nul, donc ? On en parle ?

Les mêmes estimations donnaient pour les Insoumis : environ 45% de vote Macron, et une faible minorité de Le Pen (10% ou moins). Vous confortez donc, auprès des Insoumis, votre avantage.

A la lecture de ces dernières lignes, si j'étais vous, je m'attaquerais davantage aux électeurs de droite. Ils sont bien plus légitimistes, et bien plus proches des positions de Macron. Expliquez-leur combien Macron est de droite, ce ne sera pas un grand effort intellectuel. Culpabilisez-les, appelez-en à la morale chrétienne. Faites ce que vous voulez, mais en toute hypothèse, lâchez les Insoumis : plus vous insisterez, moins vous aurez de voix. Les estimations de fin de semaine étaient déjà moins bonnes. Ils prendront leurs responsabilités si vous ne leur mettez pas le couteau sous la gorge. Et cette fois, il serait bon que la droite contribue aussi au Front républicain. Parce que Macron est de droite. Parce que la gauche s'est fait avoir en 2002, s'est fait voler en 2005, s'est fait écraser en 2007 et s'est fait trahir en 2012, et qu'elle fera un effort, encore une fois, mais ne lui demandez pas comme ça. Calmez-vous. Agressez les électeurs de droite avec la même intensité que vous insultez Mélenchon. Que je sache, les consignes de Fillon semblent nettement moins efficaces que l'absence d'injonction de Mélenchon, non ? Que je sache, c'est Dupont-Aignan qui vient d'appeler à voter Le Pen. Que je sache, Lassale a appelé à voter blanc. Montrez à la gauche que tout le monde va faire un effort, démontrez-le.

Enfin, c'est bête mais vu la première semaine, il faut le rappeler : la semaine qui vient (qui se concluera par un vote en plein pont du 8 mai, gloire aux organisateurs !), un "grand débat" se tiendra mercredi... pendant une demi-finale de coupe d'Europe de foot avec un club français (gloire aux organisateurs !). Macron : prépare-toi bien ! Pitié, ne sois pas aussi nul que cette première semaine.

On va le faire, votre Front républicain, mais ce sera probablement la dernière fois que cela fonctionnera.

La question que pose cette notion déjà pitoyablement usée de "front républicain", c'est celle de la reconstruction du corps social, de la réinsertion des exclus. Dans ces conditions, voter pour un programme ouvertement dirigé contre les plus faibles, oui, c'est un sale risque, et non, il ne peut pas être pris à la légère. Les atermoiements que vous méprisez sont le fruit d'une réflexion. On ne peut pas faire abstraction du contexte ni de l'avenir. Cette année, le FN, ce sont 7,6 millions de votants, au terme d'une campagne très vive et permettant, n'en déplaise à Fillon, de discuter d'idées et de programmes. Ces 7,6 millions sont 40% plus nombreux qu'en 2002 et, cette fois, tout à fait décidés dans leur vote. On est très loin du vote de protestation, c'est un vote d'adhésion. Combien la prochaine fois ? Combien encore plus déterminés ? Une fois épuisées l'option de droite, l'option de gauche et l'option ni gauche ni droite, quelle fausse promesse en 2022 pour éviter la guerre civile ? C'est l'un des enjeux de cet entre-deux tours, penser demain. Pas les législatives : demain, vraiment. C'est ce pourquoi les Insoumis tergiversent. Ils ne sont pas idiots : ils ont conscience que si l'on attaque pas les causes de la montée du FN, on le retrouvera dans cinq ans plus dangereux encore. Car il y a deux façons de prendre le pari.

La première option, c'est de garantir le présent en croisant les doigts pour l'avenir. S'assurer aujourd'hui à 100% la victoire de Macron, et assoir encore une fois l'idée que quelle que soit l'action du futur président, il pourra compter dans cinq ans sur un front républicain moutonnier. Et prier pour que cela se passe mieux la prochaine fois. Mais c'est un pari qui ne doit pas être sous-estimé : la prochaine fois, ce sera un "front républicain" dont les effectifs seront encore plus maigres, toujours vidés davantage vers un Front National qui aura cinq ans de boulevard pour progresser davantage, pour emporter encore davantage d'adhésion, pour renforcer son socle. Boutin, Dupont-Aignan, Sens Commun ont déjà trahi, la droite sera sans cesse davantage écartelée par un gouvernement Macron, et les perdants chez les plus pauvres toujours plus nombreux.

Ou alors, on prend le pari inverse : c'est celui de Mélenchon, croiser les doigts pour le présent en misant sur l'avenir. C'est estimer que le risque FN est aujourd'hui, et pour la dernière fois, encore très faible, et qu'il vaut donc mieux une victoire plus serrée de Macron et préserver la France Insoumise. Pas par égo personnel. Mais parce que ce mouvement a réussi à enfin présenter, après 12 ans de mort cérébrale du PS, mort-vivant sans le savoir depuis 2005, un nouvel espoir de reconfiguration de la gauche et de reconquête du vote FN. C'est  ce que cette campagne a largement amorcé. Le risque, minime, est que le Front National l'emporte maintenant, un Front National moins puissant que dans cinq ans. En contrepartie, la France Insoumise se donne la chance de grandir, de proposer une alternative mieux armée encore pour pouvoir vaincre le Front National lorsqu'il sera vraiment dangereux, en 2022. C'est aussi et enfin envoyer au pouvoir un dernier avertissement : il ne s'agit plus de gouverner pour faire 20% au premier tour pour être mécaniquement élu. C'est mettre le futur pouvoir devant la réalité de sa responsabilité : contribue à faire descendre le Front National, ou éteins-toi avec lui. C'est prouver que l'allégeance au système a ses limites, c'est cesser de faire croire que nous serons toujours là pour nettoyer les merdes produites impunément par les gouvernements successifs.

Car, qu'on ne s'y trompe pas : ce bel effort qu'on nous demande aujourd'hui, il faudra le renouveler dans cinq ans, et encore, et encore. Jusqu'à quand ? Pour quelle raison les mêmes causes produiront-elles des effets différents ? Alors, puisque la catastrophe est à nouveau là, j'irai voter, mais je trouve rassurant que face à l'ultimatum "projet contre projet" qu'impose Macron, Mélechon laisse ouverte, pour les cinq ans à venir, la possibilité d'une alternative. Qu'en notre nom, son silence affirme que le système ne peut plus indéfiniment s'exonérer de sa responsabilité.

Car ne nous y trompons pas : le front républicain est une assurance contre les catastrophes naturelles, il ne deviendra pas une assurance tous-risques.

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