Les compromis naïfs du HIRAK
De l’avis unanime, le Hirak a été, à ses débuts, pacifique, joyeux, souriant, sympathique, féministe, coloré, démocratique…Mais après des mois, on constate que le Hirak a été surtout Romantique, pour ne pas dire naïf face à la question islamiste. Car, à moins d’une myopie politique volontaire, les filiales entières de l’islamisme ont investis le mouvement populaire depuis le premier Jour.
Comment l’islamisme politique a récupéré le Hirak ? Avant d’évoquer l’entrisme professionnel des Salafistes, Frères Musulmans et autres islamistes nostalgiques de l’ex-FIS, il faudra, pour le sérieux de l’analyse, évacuer d’emblée la question Morale. Car, quand les entités démocrates marchent aux cotés des islamistes, ce n’est pas une alliance politique, ou une géniale déclinaison tactique, mais bien le fait qu’il y’a un loup et un agneau. Un dominant et un dominé. Après une décennie de terrorisme, l’islamiste ne peut être que gagnant à s’afficher aux bras d’un démocrate, de surcroit éradicateur, et autrefois victime des commandos terroristes. A l’inverse, un démocrate n’y gagne rien sauf un reniement moral de ses principes.
Mais revenons à la question centrale : Comment l’islamisme politique a récupéré le Hirak ?
D’abord, la question générationnelle. L’un des casse-tête sécuritaire pour les analystes, 20 ans auparavant, était de poser l’équation suivante : la dé-radicalisation du mouvement islamiste a été une réussite, mais qu’en sera-t-il de leurs enfants, 20 ans après ? A l’époque, en face d’une question qui était hypothétique, les experts ont préféré mettre la poussière sous le tapis. Dans l’urgence de la Réconciliation-Concorde-Rahma, Militaires, sécuritaires et politiques ont reporté la question à plus tard.
Le mouvement islamiste allait renaitre de ses cendres. La question qui demeurait sans réponses, est : va-t-il renaitre avec les enfants de l’islamisme ? C’est-à-dire toute une génération d’enfants et d’adolescents dont les pères étaient des terroristes, des repentis, des disparus, des exilés, des militants radicaux ou politiques, des sympathisants de l’ex-FIS. Toute cette génération, traumatisée ou humiliée, vivant dans la peur d’un passé parental honteux et condamné par la majorité des Algériens, a grandi. Elle est arrivée à l’âge adulte. Elle a fait sa vie, dans les Universités ou les métiers de la débrouille, a réussi scolairement, socialement, ou est devenue un magma de délinquants. A l’image des enfants d’Ali Benhadj, dont l’un est mort avec une ceinture explosive et l’autre est un récidiviste dans les affaires de Drogue. Cette génération a investi massivement le Hirak depuis le 22 février. L’occasion rêvée de prendre une revanche historique sur l’autorité, le système, l’armée, enfin, contre le « Taghut » originel tenu pour responsable d’avoir démembré des familles entières d’islamistes. Mais elle a investi le Hirak avec de nouveaux habits. Des bébés-islamistes, ayant les codes de la jeunesse actuelle. et de la Kératine dans les cheveux. Une génération qui cultive l’oubli au point de faire d’Ali Benhadj, une de ses références car l’ancien imam de Kouba, s’est également convertie au cyber-activisme de YouTube. Il a trouvé sa nouvelle clientèle, ayant l’ADN du FIS sans les stigmates du maquis. Le FIS est redevenu « clean » grâce à sa génération Biberonné au prestige des parents, car aucun d’eux, ne va dire que mon père était un émir du GIA.
Ensuite, les islamistes professionnels. Très vite dans le Hirak, les mosquées sont redevenues, comme dans les années 90, l’épicentre et le point de départ de la contestation. Pour ceux qui n’ont pas de mémoire, les mosquées de Belcourt-Bachdjerrah-Rahma-Kouba-Bab El Oued, était la même ceinture de mosquées sous contrôle du FIS ou de la Salafia extrémiste. L’effet invasif de ces mosquées a été tel, dans la continuité et le maintien du Hirak, que même les démocrates (naïfs) et les Féministes, acceptaient d’attendre la prière du Vendredi pour accueillir à bras ouverts les « troupes » islamistes sortis de la prière. Le hirak qui était matinal est devenu diurne. Même la clientèle Berbériste, pourtant fière face à sa résistance à l’islamisme canal historique, s’est mis dans les pas des agitateurs professionnels des mosquées. Et comme par un hasard flagrant, les slogans se sont projetés sur l’Armée et son chef d’état-major. Cela ne pouvait pas être autrement. L’islamisme a de la mémoire, à l’inverse des démocrates. Son ennemi historique, viscéral, primaire, demeure l’armée algérienne.
A l’inverse de l’armée égyptienne qui, au lendemain du « Printemps Arabe », avait cherché et trouvé un compromis avec les frères musulmans (compromis avorté après la séquence Morsi-Sissi), l’armée algérienne n’a jamais voulu négocier avec les tenants de l’islamisme, aussi soft soit-il. C’est de cette dualité que se nourrit le Hirak, actuellement, et ce ne sont pas les avatars de l’ancien pacte de Sant-Egidio (FFS-RAJ-SOS DISPARUS-Taleb El Ibrahimi-Bouchachchi…), qui recyclent l’offre islamiste sous d’autres déclinaisons, qui vont prétendre le contraire.
Enfin, les Islamistes Globaux. C’est-à-dire l’islamisme qui est inscrit dans la géopolitique des puissances islamiques type Aarabie Saoudite, Emirates Arabes Unis, Qatar,Turquie. La troisième naïveté du Hirak est de croire que des mouvements de Rue, une inversion des équilibres dans le Pouvoir Algérien et un terrain de jeu aussi propice qu’est le Hirak n’allaient pas attirer les convoitises des puissances du Golfe Persique. Ces 10 dernières années, ces mêmes puissances se sont livrés à des guerres de position en Tunisie, Syrie, Libye, Soudan, Liban, Egypte…Toujours sous couverture des forces islamistes locales. Frères Musulmans contre Salafistes, Oulémas contre Salafia Ilmya, Nationalistes conservateurs contre Nationalistes progressistes, parfois même en instrumentalisant les groupes Daesh et affiliées dont les contingents menacent même nos frontières Sud-Est. Le renouveau des réseaux islamistes Algériens à l’étranger, soit avec l’audiovisuel (exemple Chaine Al Magharibia), soit avec les réseaux sociaux (exemple Zitout, Bensedira, Amir Dz…), soit en politique avec le retour de l’ancienne vitrine « Djaza’ariste » du FIS en Europe (réseau Rachad Mourad Dhina-Mesli-Chouchene-ONG El Karama), prouvent que le Hirak a été le clavier sur lequel de nombreux pianistes se bousculent. Ceci avec l’émergence d’une puissance nouvelle qu’est la Turquie, dont les relais, se trouvent dans cette même jeunesse islamisé 2.0, qui a fait d’Istanbul et du modèle paternel d’Erdogan, la référence de ce que devrait être le leader islamiste Algérien de demain. Et dont Bengrina en est la caricature là moins commerciale.
Ainsi, l’islamisme est un mille-feuille revisité qui a investi tous les étages du Hirak dans la discrétion, prenant son temps pour contaminer le mouvement, dans la joie et la bonne humeur et qui ne s’interdit plus de prendre des selfies avec des femmes sans foulard, car seul l’objectif final compte. Reprendre la guerre contre l’Algérie, là où elle a été perdue.
A Suivre…