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Billet de blog 20 février 2022

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Les multiples zones d’ombre des dossiers judiciaires à l’encontre de Riad Salamé

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Le gouverneur de la banque centrale libanaise se retrouve au cœur d’un imbroglio politico-judiciaire qui implique plusieurs camps politiques libanais mais également internationaux qui font du Liban encore une fois un « Hinterland » judiciaire dont les conséquences dépassent l’épineuse question de corruption de la classe politique libanaise.

L’affaire Salamé ne date pas d’hier. Elle commence en 2015, quand le clan du président Michel Aoun, via son gendre et président du Courant Patriotique Libre (CPL), Gebran Bassil, commandite un rapport à charge contre le gouverneur de la Banque Centrale Libanaise (BDL), Riad Salamé, son frère Raja et son assistance Marianne Howayek. Vérifié par un cabinet d’investigation financière français (qui n’est pas à l’origine du rapport), ce dernier a par la suite été distribué à plusieurs protagonistes de la classe politique libanaise qui n’ont jamais révélé son contenu à la presse. C’est via le media indépendant Daraj avec l’aide et le soutien de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ) que ce rapport à charge a été mis à la disposition du public et est devenu l’un des facteurs de déstabilisation du gouverneur. En effet, ce rapport a été transmis à Daraj par la journaliste Dima Sadek, qui a probablement était en contact avec Alain Bifani dans la capitale française. Le contexte et le contenu du rapport porte l’empreinte de l’ancien directeur du ministère de finance, Alain Bifani, un proche du président du CPL qui a toujours affiché son opposition à la politique économique du clan Hariri.

La publication du rapport par un média jugé indépendant dans un climat hostile au gouverneur, marqué par une crise économique majeure, en grande partie provoquée par les choix monétaires et financiers du gouverneur, a permis une focalisation des attaques contre lui. Ces attaques ont occulté une critique objective des responsabilités de la classe politique libanaise dans son ensemble, y compris le clan présidentiel qui contrôle une importante partie du pouvoir législatif dans le pays. Cette situation a permis à la juge Ghada Aoun de se lancer dans un activisme judiciaire qui cachait mal ses liens politiques en provoquant des dysfonctionnements judiciaires majeurs, notamment dans ses relations avec les partenaires européens de la justice libanaise, très impliqué dans l’observation de plusieurs dossiers judiciaires libanais.

En effet, l’activisme judiciaire de la juge Ghada Aoun, proche du clan présidentiel, représenté par le président de la République Michel Aoun et son gendre Gibran Bassil, président du Courant Patriotique Libre (CPL) et accessoirement candidat à la future élection présidentielle, nuit gravement à l’image de la justice libanaise auprès de ses partenaires européens, excédés par la porosité de la justice libanaise et ses liens étroits avec la classe politique libanaise. Selon une source française bien informée, la juge Aoun essaie d’informer le Parquet National Financier (PNF) pour assurer une place de choix dans un futur gouvernement libanais tout en jouant les lobbyistes au niveau libanais et européen pour le compte du clan présidentiel. Cet activisme de la juge a provoqué dernièrement une mini-crise de communication au sein du ministère de l’intérieur entre la sécurité générale et la sécurité de l’état dont les effets pourraient être grave pour la stabilité de l’appareil sécuritaire libanais.

Cette crise au sein du ministère de l’intérieur permet de relativiser l’influence de Riad Salamé dans le jeu de poker menteur que joue la classe politique libanaise à l’approche des élections législatives de mai 2022. L’omniprésence de Riad Salamé dans la gestion de la politique monétaire libanaise ne doit pas faire oublier l’influence du clan du président de la chambre, Nabih Berri, dans l’instance monétaire libanaise. Cette influence ne date pas d’hier. En effet, la partition de la ville de Beyrouth au plus fort de la guerre civile libanaise dans les années 80, a eu un impact logistique sur la Banque Centrale Libanaise (BDL), située dans l’ouest de la capitale. Elle a permis à Nabih Berri, alors à la tête du puissant mouvement Amal, d’être le maitre d’ouvrage d’un recrutement massif de ses sympathisants au sein de l’institution monétaire libanaise. Ce réservoir chiite a été contrebalancé pendant les années de « Hariri père » par une mainmise du Haririsme politique sur la stratégie monétaire du pays, orchestrée par Salamé. L’activisme du clan présidentiel doit alors être vu comme une double attaque du CPL contre le sunnisme politique et contre le président de la chambre, dont les relations avec le président Aoun ont toujours été tendu.

Cependant, cette stratégie est en train de perdre toute crédibilité sur fond d’accords électoraux. Le Hezbollah est en train de faire aboutir un accord entre Amal et le CPL. L’acharnement du CPL contre Salamé serait visiblement une pure manœuvre électoraliste et populiste d’un camp en manque de bouc émissaire pour lui faire endosser son échec cuisant de son principal leitmotiv qui est la lutte contre la corruption.

La gestion du dossier Salamé au niveau international montre également que les tentatives de son éviction est une pure manœuvre politique libanaise qui sert plus les protagonistes libanais et ne se soucie guère des conditions sociales et économiques de la population libanaise. Cette dernière a perdu plus que 80% de son pouvoir d’achat. La classe politique libanaise se retrouve dans un « jeu contre la montre » pour obtenir l’appui de leurs sponsors respectifs régionaux et internationaux. L’objectif de cette classe politique est actuellement de se maintenir au pouvoir quitte à accepter toutes les demandes internationales. Les tractations sur le tracé de frontières avec Israël est un parfait exemple de l’importance relative du dossier Salamé et son utilisation dans les tractations interlibanaises pour plusieurs raisons parmi lesquels le partage de la future manne gazière offshore.

Au niveau international et plus particulièrement européen, Riad Salamé est visé par plusieurs plaintes au Luxembourg, en France, au Royaume Uni et en Suisse. L’analyse de ses plaintes laisse penser que ces dernières sont plus une opération de contre-influence qu’une pure plainte juridique visant à condamner l’actuel gouverneur de la BDL. 

La partie plaignante dans le volet suisse de l’affaire Salamé est porté par l’association Accountability Now. Or, la neutralité de cette fondation pose la question éthique de ses liens politiques avec un camp affilié au clan présidentiel. L’une des principales figures de cette association, Zeina Wakim, est une avocate libanaise membre fondatrice de la Fondation Interpol, dirigée par l’ancien ministre libanais de l’intérieur, Elias El Murr. Ce dernier est proche d’Alain Bifani. Les deux avaient participé en 2020, via l’organe de presse du premier, le quotidien libanais Al-Joumhouria, pour dénoncer la responsabilité directe du gouverneur de la BDL dans la crise qui secoue le pays depuis 2019. Selon un journaliste libanais, le clan El Murr trouve son intérêt dans cette attaque en raison de ses liens avec le clan présidentiel et une partie des membres de l’Association des Banques du Liban (ABL) qui utilisent tous les moyens pour mettre la pression sur le gouverneur pour l’empêcher d’agir contre ses intérêts. L’initiative de l’association Accountability Now est également relayée par le financier Walid Sinno, soutien de la première heure et membre du conseil d'administration de la fondation suisse Accountability Now. Directeur de la filiale néerlandaise de la junior pétrolière saoudienne Delta Oil du clan al-Aiban, Il dirige en parallèle son cabinet de conseil en finance pétrolière basé aux îles Caïmans, Tigris Capital Advisors. Il pourrait être intéressé par des alliances objectives avec le président du CPL qui cherche à contrôler le futur marché libanais du gaz.

Une autre zone d’ombre des plaintes contre le gouverneur est à trouver dans le volet britannique porté par le cabinet Guernica 37. Ce cabinet d’avocats activistes accompagne ses clients dans la « transformation structurelle » après des périodes d’instabilité politique, post-conflits ou post autoritaire. Le client du cabinet à l’origine de l’enquête, et in fine des poursuites se nomme Nadim Matta, un Libanais résident aux Etats-Unis. Membre dirigeant du cabinet de conseil en conduite du changement Schaffer Consulting, il est aussi président et membre fondateur du Rapid Result Institute (RRI), une ONG humanitaire internationale qui collabore au Liban avec la USAID. Matta coopère aussi avec la Lebanese Swiss Association (LSA) qui avait cosigné une lettre appelant le FMI à intervenir de manière proactive contre la corruption au Liban. La publication de cette lettre a précédé de quelques semaines le début du processus légal qui aboutit aux poursuites judiciaires de Riad Salamé en Suisse ce qui met en doute la portée purement judiciaire de cette action.
Loin d’enlever la responsabilité de Salamé dans la situation actuelle du Liban, ces observations montre le caractère très politique de ces plaintes qui leur donne une couleur très politique et laisse planer un doute sur les objectifs des partis politiques qui réclament le jugement du gouverneur de la BDL. En effet, Riad Salamé fait partie d’un système qui lui a donné un mandat renouvelé plusieurs fois pour appliquer une politique monétaire et économique qui a conduit le pays à cette situation. Le principal opposant au gouverneur, le clan présidentiel actuel, a cautionné et renouvelé sa confiance à la politique du gouverneur et par conséquent ne peut en aucun cas fuir sa responsabilité.

AF

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