Le chaos djihadiste: la méthode
Publié par Harold Hyman
Un train Thalys comme celui visé par les terroristes. crédit : Thalys.com
Les attentats répétés depuis janvier ont un mode d’action inédit: le chaos suicidaire. Ghlam, Salhi, Khazzani, et avant eux Amédy Coulibaly et les frères Kouachi, ont tous commis des actes homicides avec un scénario structuré au début et un baroud suicidaire à la fin, mais sans que les actes soient d’égale technicité, et avec de multiples commanditaires. Un essai sur la typologie actuelle de l’apprenti tueur:
Comment se préparer:
Les terroristes en Europe ne sont plus des participants à un projet politique structuré avec des buts atteignables. Ils veulent venger (le Prophète, les Syriens, les Palestiniens, les Talibans, les croyants, leurs « frères » etc.) , en atteignant la société occidentale. C’est dans une démarche mixte qu’ils agissent : les blasphémateurs patentés comme ceux de Charlie Hebdo sont de bonnes cibles ; les forces de l’ordre en tout genre et enfin les Juifs de quelque variété que ce fût y compris les écolières. Qui arme les mains de ces terroristes ? Pour les candidats au massacre, cela se passe en deux temps : d’abord c’est la mise en contact, soit sur Internet, ou bien par le biais d’imams ultra-radicaux en Occident; ensuite, c’est l’identification de la mission et des moyens, qui ce fait soit en faisant un passage dans le cercle des conflits armés (autour des théâtres de Syrie, Somalie, Afghanistan), soit en obtenant des armes en Occident, avec une certaine facilité car les terroristes ont souvent des liens avec le monde délinquant. La geste mortifère est alors enclenchée, avec un début de planification: les frères Kouachi savaient tout ce qui était nécessaire sur la présence du comité éditorial de Charlie Hebdo et ont su surclasser en puissance de feu la protection policière. En ce qui concerne Coulibaly, il a échappé à toute détection pendant plusieurs jours et a fini par attaquer l’hypercacher qu’il savait sans protection. La semaine sanglante de janvier 2015 était la mieux préparée, les attaques suivantes ont baissé en technicité sans pour autant être nulles.
La façon de mourir:
La fin de Coulibaly et des Kouachi s’est accomplie quand à elle dans le pur style du martyr djihadiste: sans espoir de s’en sortir vivant, et dans un Crépuscule des Dieux. Aucun d’eux ne pouvait s’imaginer qu’une issue autre que la mort était possible. Mais l’ont-ils pleinement pensé ? Et c’est là une des forces du terrorisme du nouveau genre : il est basé sur les principes des anarchistes de la Belle Époque, qui se faisaient exploser dans des attentats suicide, ou livraient des batailles ouvertes contre la police, car au final la vie n’était pas vivable tant que persistait l’ordre bourgeois. Or ce genre de meurtre-suicide est imprévisible: tous les Thalys, Lyria, Eurostar, sont des cibles. Tous les magasins cacher, synagogues, écoles juives, sont des cibles. La même chose pour ce qui est chrétien, des tentatives contre des églises ont été déjouées. Les agents de l’État en uniforme, et toute personne irrespectueuse envers leur pseudo-islam délirant. Il s’agit donc d’un spectre énorme de possibilités, avec l’assurance d’une scène de baroud d’honneur (ici de déshonneur), avec le désir de périr les armes à la main.
Qui planifie leurs attaques:
Leurs missions paraissent parfois réfléchies, parfois absurdes (la décapitation d’Hervé Cornara à Saint-Quentin-Fallavier). Reçoivent-ils des ordres précis ? S’ils sont concentrés et déterminés dans leurs meurtres, l’on distingue quand même trois types: leur mission est d’une précision paramilitaire (Charlie Hebdo), soit vaguement réfléchie mais sans grande coordination (Thalys, Copenhague février 2015), soit du « free-style » (Saint-Quentin-Fallavier). Tout cela conduit à penser que le terrorisme djihadiste est protéiforme: structuré et piloté, ou alors spontané et autonome. C’est l’avis en tout cas d’Albert Farhat, spécialiste du terrorisme djihadiste, qui rappelle qu’il ne faut pas oublier que des messages passent en continu dans la blogosphère djihadiste. Le dernier en date est un message audio diffusé la deuxième semaine d’août, avec la voix de Hamza Ben Laden. Ce fils-là de feu Oussama, resté fanatique à la différence de son frère Omar notamment (Omar porte des dreadlocks et prêche la paix et la tolérance), a exhorté les croyants à frapper tous les Occidentaux mécréants, en tout lieu et à tout moment. Farhat fait remarquer que ce message audio de 53 minutes, mis en ligne sur le site Al Sabah (canal habituel d’al-Qaïda) n’a pas été remarqué par les principales agences de presse, et certainement pas l’AFP ni Reuter que nous avons pu consulter. Seule la BBC a lancé cette information sur la place publique. L’on découvre cependant aisément que la mère de Hamza est décédée dans un crash d’avion privé en Angleterre au début du mois d’août. Or Hamza en parle dans son intervention audio, ce qui place la datation du message juste avant l’attentat du Thalys.
Ainsi, les loups solitaires ne sont plus si solitaires que l’on croit, et il y a toujours l’Internet pour relier les djihadistes improvisés à telle ou telle chapelle de la galaxie djihadiste. La chapelle elle-même est très variable: les Kouachi ont parlé d’AQPA, Coulibaly du groupe État islamique, et les autres qui ont été capturés ont continué dans cette énumération sans grande logique apparente. Sauf celle-ci: chaque candidat au « martyr » trouve le sponsor qu’il peut. La toute dernière tactique des djihadistes, encore plus novatrice, consiste paradoxalement à nier toute intention djihadiste. L’imagination des commanditaires djihadistes est sans limite. Dans cette apparence de chaos, une grande efficacité se dessine. Le modus operandi des dirigeants djihadistes et de ne pas avoir de modus operandi fixe, mais de changer et de se muer tous les jours, pour toujours dépasser les capacités de la police.