La proposition d’une directive protégeant les lanceurs d'alerte, par la Commission européenne, peut-elle constituer un véritable tournant dans la lutte contre la corruption et les abus de droit ? Récemment, des scandales comme Cambridge Analytica ou encore les Panama Papers, ont permis des révélations importantes pour la démocratie, la protection de la vie privée et celle de l’État de droit. Pourtant, alors que ces lanceurs d’alerte dénoncent des abus illégaux, ils sont généralement confrontés à des représailles de la part de leurs employeurs, ce qui empêchent la plupart de s’exprimer. À une époque où les valeurs libérales sont profondément remises en cause en Europe par des gouvernements sans égard pour l'État de droit, cette directive offre une nouvelle approche puissante mais subtile pour superviser le respect des valeurs fondamentales de l’Union européenne.
En effet, au niveau national, les lanceurs d’alerte sont souvent poursuivis pour avoir divulgué des actes pourtant illégaux ou soulevé des problématiques éthiques. Ce n'est pas une peur injustifiée, mais bien la vie réelle d'Antoine Deltour par exemple, qui a dénoncé des régimes fiscaux luxembourgeois, impliquant plus de 340 entreprises à travers le monde. Même en France, en Hongrie, au Royaume-Uni et au Luxembourg, où la protection des lanceurs d’alerte est considérée comme solide, l’histoire d’Antoine Deltour a démontré que des contournements juridiques ont bien mené à des poursuites.
Simultanément, au niveau de l'Union européenne, ils ont parfois été récompensés : le prix du Citoyen européen va dans ce sens. Après avoir hésité sur sa compétence à agir, l’Union européenne propose aujourd'hui de remplacer une mosaïque de règles par un bloc commun et d'élargir leur champ d'application pour une protection à l'échelle européenne, établissant ainsi des normes minimales communes. Si cette proposition de directive est soutenue par le Conseil et le Parlement européen, elle peut être un véritable levier pour combler le déficit d’Etat de droit en cours dans de nombreux pays de l'Union européenne, en particulier en Hongrie et en Pologne.
Contrairement aux contrôles bureaucratiques du haut-vers-le-bas, comme ceux prévus à l'article 7 du Traité sur l’Union européenne, la protection des lanceurs d'alerte serait un mécanisme de surveillance ascendant. En effet, les individus devront d’abord dénoncer les comportements illégaux en interne à leur employeur – ce qui peut être un véritable défi dans certaines capitales nationales – mais le signalement aux médias sera ensuite protégé en cas de « danger imminent ou clair pour l'intérêt public », ce qui facilitera les prises de parole. Concrètement, cela pourrait conduire des citoyens hongrois, directement touchés par le niveau croissant de corruption au sein du gouvernement dirigé par le Fidesz, à s'exprimer et à rendre compte de ce dont ils sont témoins.
De plus, la directive sur les lanceurs d’alerte est également un exemple sans précédent d'initiative législative dirigée par les citoyens. Portée par des organisations de la société civile, des universitaires (nous avons nous-mêmes rédigé à l’époque une première version du texte de la directive), des citoyens et le Parlement européen, cette directive est un exemple remarquable de la manière dont Bruxelles peut être à la fois plus démocratique et plus proche des citoyens. C’est ce travail réalisé et concerté depuis trois ans, qui débouche aujourd'hui sur cette proposition de la Commission offrant un large champ de protection tant dans le secteur privé que dans le secteur public.
Si elle est adoptée, la directive européenne sur les lanceurs d'alerte rejoindra l'arsenal des outils mobilisables pour inciter les institutions nationales à agir. C'est ce type de mobilisation transnationale dont l'Europe a plus que jamais besoin pour contrer les nombreuses attaques portées contre l’Etat de droit.
Alberto Alemanno est professeur titulaire de la chaire Jean Monnet, HEC Paris et auteur de ‘Lobbying for Change: Find Your Voice to Create a Better Society’ (Iconbooks, 2017)
Vigjilenca Abazi est professeur de droit européen à l’université de Maastricht.