Chère Fadela,
J’ai lu avec intérêt la lettre que vous avez fait placer hier soir par votre ami Bernard Colin sur le fil d’un blog dont je suis responsable. Elle m'a fait penser immédiatement à une autre jeune fille, de la même origine que vous, rencontrée il y a un peu moins de 10 ans.
J’avais, au printemps, suivi ma compagne universitaire, à un colloque de 3 jours, disons dans une ville du Moyen-Orient, accompagné de nos 2 filles afin de profiter à la suite de quelques jours de vacances.
Je déposais donc le matin ma compagne à son colloque et baguenaudais en ville avec mes 2 filles. Pour déjeuner le premier jour nous sommes entrés dans une boutique où l’on confectionnait à la demande divers sandwichs et proposait boissons et quelques pâtisseries. Ma plus petite, pas tout a fait 5 ans à l'époque, cheveux blonds très clairs, a repéré dans un coin une petite fille, guère plus âgée qu’elle, assise sagement et dessinant à une petite table en retrait. Brune, peau mate, regard lumineux et vif. Les enfants se lient très vite, crayons, dessins, rires ont été partagés. Pas de barrière de langue, si on le souhaite on communique.
La femme qui tenait le commerce s’est enhardie à me demander, quelques mots d’anglais, pourquoi j’étais seul avec mes 2 enfants. C’est moins facile pour les adultes, langue, culture des relations hommes femmes, mais nous avons amorcé un dialogue. Ce commerce est devenu notre fief. A la demande de mes 2 filles, et lors de nos promenades, nous y sommes retourné régulièrement deux ou trois fois par jour.
La femme était d’origine palestinienne et la petite brune sa fille « Fatha ». Avec sa famille elle avait quitté son pays pour « essayer de s’en sortir ailleurs. » Le dernier jour elle a souhaité que je vienne dîner le soir chez eux avec ma femme et mes filles, son mari aimerait nous connaître. Ils fermeraient leur commerce.
Ils vivaient en arrière de la boutique, plutôt entassés, elle, son mari, sa fille et ses deux fils. Son mari était chaleureux, courtois mais un peu cérémonieux. Les arabes vous font facilement croire que c’est un honneur que vous leur faites d’accepter ce qu’ils vous offrent. Ainsi nous avons créé des liens. Comme nous étions enseignants tous les deux ils ont manifestés leur souhait de faire poursuivre des études à leurs enfants. Ma petite blonde s’est endormie avec « Fatha », sur son lit au milieu de peluches. Ma plus grande assez mal a l’aise, ne comprenant pas le pourquoi des rires des 2 garçons. Nous nous sommes quittés en leur proposant d’accueillir « Fatah » chez nous, si elle souhaitait poursuivre des études en France.
Nous avons poursuivi nos échanges épisodiques : un premier courrier reçu avec photo des filles et un dessin de « Fatha » (une voiture) puis quelques autres et des communications téléphoniques pas toujours faciles.
Ils sont retournés chez eux, « la-bas », un peu plus tard, « pour la famille et les amis… ils ne pouvaient pas laisser leur pays. »
Selon ce que nous pouvons savoir (dernières nouvelles il y a presque un an) lui est parti un jour et n’est pas revenu. Abandon, emprisonnement, mort ? La famille s’est regroupée, cousins etc… « Fatah » ne parle plus de faire des études, ni en France ni ailleurs…
Vous avez beaucoup de chance, Fadela, d’être ce que vous êtes, d’avoir pu vous appuyer sur Bernard Colin. C'est à votre honneur de penser qu’il ne faut pas accepter la censure, la stupidité de l'idée de race, la malhonnêteté, le sexisme ce que vous nommez maltraitance…
Vous avez raison de ne pas accepter la grossièreté et l’injure (pensez parfois cependant que grossièreté et injure ne sont pas uniquement dans les mots mais aussi, et avant tout, dans les têtes.)
Je vous souhaite d’être ce que vous souhaitez être.
Je ne sais pas ce que je peux souhaiter à « Fatha » dont nous sommes sans nouvelle. D’ailleurs, de quel droit pourrais-je souhaiter quelque chose pour elle ? Je ne fais qu’imaginer sa vie possible, mais ne partage presque rien avec elle que je connais si peu.
J’espère qu’elle n’acceptera pas les choses avec résignation, qu’elle trouvera force et courage pour être révoltée et dégoûtée (comme vous l’êtes) contre ce qui fait que ses richesses possibles ont probablement été saccagées.
Bon avenir à vous.