I - "Terrorisme"
Tweet initial de Mélenchon suite à l'attaque du Hamas : "Toute la violence déchaînée contre Israël et à Gaza ne prouve qu'une chose : la violence ne produit et ne reproduit qu'elle-même. Horrifiés, nos pensées et notre compassion vont à toutes les populations désemparées victimes de tout cela. Le cessez-le-feu doit s'imposer. La France doit y travailler de toutes ses forces politiques et diplomatiques. Les peuples palestinien et israélien doivent pouvoir vivre côte à côte, en paix et en sécurité. La solution existe, celle des deux Etats, conformément aux résolutions de l’ONU"
Une position raisonnable, qui contextualisait l'attaque du Hamas et prenait parti pour une solution diplomatique vers une solution durable. Rien ne pouvait laisser présager la tonne d'immondices qu'on allait lâcher sur Mélenchon.
A l'époque, il était juste interdit de ne pas qualifier le Hamas de "terroriste" sous peine d'être accusé d'en être complice ! Le mot était pratique, il décontextualisait l'attaque et permettait de désigner les méchants sans discussion possible.
La première attaque a été le fait de madame Borne, qui a étrillé les "ambiguïtés révoltantes" d’une partie de la gauche : "On ne peut renvoyer dos-à-dos le Hamas et Israël", a-t-elle assuré, soulignant une forme de «complaisance» de LFI à l’égard d'une organisation terroriste. Puis d'accuser Mélenchon d'un antisionisme qui en fait masquerait de l'antisémitisme ! Sans tarder, JLM a répliqué. "Madame Borne profite de la guerre au Moyen-Orient pour mener sa guerre contre LFI. J'ai exprimé la position constante de notre pays depuis De Gaulle. L'approbation du massacre en cours déshonore madame Borne. La France ne parle pas comme ça !" (lien)
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"Terroriste", le mot était lâché. Et fallait voir comme ça les a excité, les mots. Sans fin. Pourtant, beaucoup ont sûrement réagi un peu pareil en apprenant l'attaque du Hamas : ça avait tout l'air d'une déclaration de guerre, ces types étaient fous d'avoir fait ça, et l'on pressentait la suite. Mais bizarrement, c'est pas comme ça que les autorités ont réagi : ce qui leur serait venu en tête, c'est de désigner l'ennemi sous le sceau infâme de "terrorisme". La suite, la guerre, ça les troublait semble-t-il bien moins. On allait parler mille ans d'innocents israéliens pris dans l'horreur terroriste mais à peine des innocents palestiniens qui n'étaient pour rien là-dedans et n'avaient pas demandé qu'on massacre leurs enfants. Seuls existaient les israéliens et le Hamas, les gentils et les méchants. A-t-on d'ailleurs jamais lu par la suite qu'en terrorisant les gazaouis par des bombardements aveugles, Israël soit qualifié "d'état terroriste" ?
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La position de la France a semblé en fait être calquée sur la propagande israélienne. On peut par exemple lire ce qu'a dit plus tard Hanin Majadli, une palestinienne citoyenne d’Israël, éditorialiste dans Haaretz (journal de gauche israélien) :
- Le 7 octobre, les palestiniens ont immédiatement compris qu'ils devaient se taire. Au début, tout le monde est resté en panique au journal. On n'a pratiquement rien publié sur ce qui se passait à Gaza.
- Exprimer son opposition à la guerre signifie soutenir le Hamas. Les palestiniens ne peuvent rien dire sauf condamner ce
qui s'est passé le 7 octobre. Ils ne peuvent même pas évoquer le contexte ! J'ai mentionné que l'attaque du Hamas doit être considérée dans son contexte, tout en la condamnant : on m'a accusée de ne pas être entièrement opposé au Hamas. Je suis fatiguée de ces discussions qui ramènent toujours au 7 octobre !
- Chaque manifestation de solidarité est réprimée, non seulement par la police, mais par la société israélienne.
- Les médias parlent comme des fascistes. Comment est-t-il possible qu'ils parlent d'incitation à la haine contre les Juifs tout en faisant la même chose contre les Palestiniens ! (lien)
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II - Mélenchon, bouc émissaire
Assez vite en fait, on s'est aperçus que l'important n'était pas tant ces menus détails guerriers que Mélenchon, un sujet autrement plus sérieux. Il n'avait pas dit "terrorisme" et donc c'était un méchant, et le peuple devait l'entendre. On voit encore aujourd'hui que le matraquage politico-médiatique a parfaitement fonctionné ! Le message a été reçu 5/5 par nos chers compatriotes !
Pourtant, à l'heure où JLM s'exprime (le 7 octobre à 16:30), on est au courant des tirs de missiles et de l'existence de types franchissant la frontière et c'est à peu près tout. On ne sait encore rien des massacres à la rave-party ou dans les kibboutz, et l'on en est à rapporter 22 morts dans les médias français. Mais peu importe : on l'accusera à l'aune de ce que l'on a su après. Le temps, c'est anecdotique aussi, chez ces gens-là. Le vrai problème semble avoir été qu'il ait osé faire rentrer en jeu le contexte dans un événement rapporté comme tombé du ciel. Et peut-être aussi que prôner un cessez-le-feu avant les autres était une mauvaise idée, à l'heure où Macron envisageait lui une force internationale pour vaincre le terrorisme... pas si loin du choc de civilisations qui justement inquiétait Mélenchon. Mais la paix, on dirait qu'ils s'en foutent un peu, chez Macron. En fait, JLM a surtout osé ne pas répéter mot pour mot l'injonction du président. Et ça, c'est inadmissible. Pour rappel, les mots précis de sa majesté lors de son intervention télévisée : "rien ne peut justifier le terrorisme. Il ne peut jamais y avoir de oui mais". Tout le passif du conflit passait à l'as, on était sommé de voir le 7 octobre comme une sorte de Bataclan en pire.
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III - "Antisémitisme"
Pendant ce temps, Darmanin applaudissait aux manifestations pro Israël et interdisait celles pro Palestine, et Dupond-Moretti enfonçait le clou en écrivant que "la survenance des attaques terroristes était de nature à engendrer une recrudescence d’infractions à caractère antisémite". Bref, on reproduisait pile-poil le discours que Nétanyahu fourguait aux israéliens. On veut bien entendre le souci de ne pas souffler sur les braises, sauf qu'il aurait fallu que ce ne soit pas le gouvernement lui-même qui s'y affaire avec son soutien total à Israël.
Plus tard, Macron a rétropédalé jusqu'à obtention d'un discours à peu près acceptable. Il a corrigé les formules les plus extrémistes de ses acolytes, comme celle du "soutien inconditionnel à Israël", devenue "Israël a le droit de se défendre par des actions ciblées mais en préservant les populations civiles". Il a finalement répété ce que Mélenchon disait depuis le début : une volonté de "paix durable" dont la condition était l'existence d'un État palestinien". Tout le monde était donc revenu à la position initiale de Mélenchon, sauf qu'il ne fallait pas le dire.
De plus, cette nouvelle position lui permettait d'effacer à peu de frais la grotesque proposition qu'il avait soumise à Netanyahu, soit de l'aider à combattre tous les terrorismes, en associant par exemple le Hamas à Daesh. On imagine la tête de Bibi devant ce va-t'en-guerre frais émoulu qui débarquait en racontant n'importe quoi ! Après une nuée d'interventions de Gilles Kepel sur toutes les chaînes d'info, Olivier Roy mettra les choses au point en expliquant que "Daesh ne soutient pas le Hamas, et inversement. Ils ont deux visions opposées: Daesh défend le djihad international, tandis que le Hamas a pour objectif la libération de la Palestine". Fin de l'épisode.
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Et à l'époque, tout le monde s'est lâché, médias comme politiques. Macron, Borne, Darmanin, il n'y avait plus le moindre frein au soutien au massacre en cours. Le choix de Macron de soutenir sans nuance Israël a fini par rendre dingue la diplomatie française elle-même, qui a dit redouter un impact profond sur l’image et la sécurité de la France dans les années à venir, pour finir par appeler (donc à la suite des LFI) à un cessez-le-feu immédiat (lien). Ah ah ! Pendant ce temps, une marche pro-palestinienne à Londres comptait au moins 300.000 participants sans apparemment d'incident : instructif pour un pays comme le nôtre d'apprendre comment les choses se passent en démocratie. Il faudra finalement 35 jours à Macron pour arriver à articuler le mot "cessez-le-feu" employé le début par LFI.
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IV - Les médias vent debout...
1/ Interrogatoire de Danièle Obono
"Pourquoi n'avez-vous pas qualifié le Hamas de mouvement terroriste ? Est-e que pour vous, c'est un mouvement de résistance ? Je cherche l'explication...", commence d'une voix mielleuse Jean-Jacques Bourdin.
Danièle Obono : Oui, c'est...
-C'est un mouvement de résistance ?
-C'est nécessaire d'avoir des clarifications, parce que...
-Est-ce que c'est un mouvement de résistance ? Oui, je vis de clarifications. Est-ce que c'est un mouvement de résistance ?
-C'est un groupe politique, islamiste, qui a une branche armée, et qui s'inscrit dans les formations palestiniennes...
-C'est un mouvement de résistance ?
-qui a pour objectif la libération de la Palestine...
-C'est un mouvement de résistance ?
-qui résiste à une occupation.
-Donc c'est un mouvement de résistance ?
-Oui, et...
-C'est un mouvement de résistance !
-Oui, qui se définit comme tel et qui est reconnu comme tel par les instances internationales...
-C'est un mouvement de résistance. C'est ce que vous pensez !
Et Darmanin de saisir la justice pour apologie du terrorisme... (lien)
2/ Interrogatoire de Rima Hassan (sur une chaîne publique : lien)
Je me suis amusé à reformuler les questions de Thomas Sotto (France 2) en en préservant le sens. C'est instructif dans la mesure où ça couvre à peu près l'intégralité des questions posées. Et donc c'est cette fois le service public. D'abord la question posée par Sotto, ensuite celle que ce grand amateur de liberté de la presse veut laisser entendre à son public.
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1/ Est-ce que votre convocation pour apologie du terrorisme vous parait légitime ?
-Approuvez-vous les massacres d'innocents ?
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2/ En janvier, vous avez répondu "vrai" à la question : "est-ce que le hamas mène une action légitime". Est-ce que les attaques du 7 octobre étaient légitimes, selon vous ?
-Et les bains de sang, ça vous plaît ?
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3/ Est-ce que vous appelez à un soulèvement ?
-Appelez-vous à la guerre civile ?
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4/ Est-ce que vous n'instrumentalisez pas le drame de Gaza à des fins politiques ?
-Au fond, ne vous foutez-vous pas du sort des gazaouis, dont vous récupérez le massacre à de seules fins politiques ? (question particulièrement élégante posée à une femme qui a passé son enfance dans un camp de réfugiés)
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5/ Khamenei, guide suprême de l'Iran, soutient les actions de soulèvement. Comment vous recevez ce soutien ?
-Soutenez-vous la lapidation des femmes et des homosexuels, comme ça se passe en Iran ?
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6/ Que pensez-vous de l'antisémitisme ?
Êtes-vous raciste ?
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En fait, ça n'a jamais arrêté. Chacun s'est autorisé à gratifier Mélenchon d'antisémitisme. Tous les jours, partout. Pour donner l'ambiance, au 1er novembre 2023 on en était là (lien) :
- Challenges, Nicolas Domenach : "LFI au soutien du Hamas".
- L’Express, Marion Van Renterghem : "Le relativisme de Mélenchon est littéralement obscène".
- C8, Cyril Hanouna, accuse LFI "d'aller chercher les voix des terroristes".
- France Inter, Dominique Reynié impute à LFI de n’avoir aucune "compassion pour les victimes" et de "chercher des circonstances atténuantes aux crimes du Hamas".
- CNews, Joseph Macé-Scaron décrète que "LFI est la branche politique du Hamas".
- Le Figaro - Gilles-William Goldnadel : "Mélenchon est devenu le porte-parole du Hamas à Paris".
- Le Monde se demande si JLM cherche à "encourager l’antisémitisme ; à cautionner le terrorisme islamiste"
- Franz-Olivier Giesbert : "En 1898, le groupe antisémite – c’était son nom – du sinistre Edouard Drumont comptait 28 députés à l’Assemblée nationale. En 2023, la France insoumise compte 75 députés".
- Philippe Val : "Les députés de La France insoumise qui tweetent depuis samedi pour justifier l’action terroriste du Hamas sont animés du même antisémitisme qui a conduit Doriot à la collaboration avec les nazis".
- Le Figaro, Vincent Trémolet de Villers explique qu’avec LFI, "le gauchisme anticlérical se fait le compagnon de route du clergé chiite et l’antiracisme devenu woke s’accommode de l’antisémitisme".
- Le Point, Étienne Gernelle : "les idiots utiles considérent 'l’antisionisme' comme une opinion respectable".
- L’Express, l’éditorialiste Anne Rosencher : "LFI et la complaisance envers l’antisémitisme".
- Franc-Tireur, Benjamin Sire : "LFI masque une fascination morbide pour l’extrême gauche révolutionnaire, elle-même subjuguée par la violence anti-israélienne, parfois même anti-Juifs, comme l’extrême droite peut l’être".
- France 5, Caroline Fourest : "Comme MLP est impeccable, on n’a pas prise pour parler de l'extrême droite. Mais quand Mélenchon dérape, il est facile de parler d’extrême gauche antisémite. Mais les deux se rejoignent sur les juifs".
- C8, Yann Moix à propos de LFI : "On est dans quelque chose qui est quasiment du néonazisme, mais à l’extrême gauche".
- CNews s’illustre avec un bandeau : "LFI : le nazisme est-il passé à l’extrême-gauche ?"
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Et c'est dans ce contexte que le génie de la gauche - j'ai nommé Olivier Faure - a cru bon de lancer le 5 novembre l'idée d'une manifestation contre l'antisémitisme (lien). Brave et fidèle allié de la Nupes ! Deux jours après, la droite macroniste a évidemment sauté sur l'occasion pour l'organiser, bras dessus bras dessous avec le RN (lien).
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Le Monde, pourtant pas le pire des journaux concernant Gaza (mais l'un des pires concernant Mélenchon), commence à ré-écrire l'histoire en parlant de "campisme", pour dire une façon de se rallier à un camp, selon lui aussitôt après le 7 octobre, et "sans prendre en compte la singularité de l'événement", plastronne-t-il, en bon média qui se veut avoir toujours une certaine "hauteur de vue" (lien). Sauf que c'est faux : les seuls qui se soient ralliés au camp d'Israël "immédiatement" après le 7 octobre, c'est les gouvernements occidentaux. Les pro-palestiniens, eux, ont attendus la riposte d'Israël, même si certains avaient déjà stigmatisé les autorités pour leurs positions.
Du haut de leur superbe, les types du Monde parlent encore d'insultes des deux côtés, en l'occurence "fascisme" et "antisémitisme". Sauf que les deux ne sont en rien symétriques. "Fascisme", c'est un jugement quant aux méthodes employées par Israël, on en pense ce qu'on veut mais ça repose sur du factuel. "Antisémite", c'est par contre un procès d'intention, établi à partir d'une interprétation qui n'a aucune raison d'englober la totalité des pro-palestiniens.
On peut comprendre la légitimité qu'il y a pour Israël à empêcher qu'il ne soit menacé par un environnement hostile sans pour autant cautionner la façon qu'il a eu de répliquer : s'il avait riposté "de façon proportionnelle", rien ne dit qu'on aurait parlé de "campisme". Bref, c'est pas à partir de je-ne-sais quel prise de position juste après le 7 octobre que des "camps" qu'on pourrait renvoyer dos à dos se sont formés. Si les occidentaux n'avaient pas pris partie de façon plus ou moins inconditionnelle pour Israël, les choses auraient sans doute été toutes autres.
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"De la mer au Jourdain"... c'est Jerome Guedj qui aurait été le premier à sortir cette expression pour accuser JLM de vouloir rayer Israël de la carte (lien). Le Monde traduit ça en disant que Mélenchon souffle sur les braises. Ils manquent pas d'air ! La censure en est au point que lors des événements de Science Po, où des pro-Israël sont venus - dont certains avec des bâtons - pour en découdre avec les jeunes de Science Po, il a fallu se coltiner un commentaire de je-ne-sais quelle chaîne comme quoi ce serait "une autre manifestation" qui passait (incidemment) par là ! Ben voyons. Des types passaient par là avec des bâtons, ils ont vu du monde et ça les a attiré. Évidemment, quand on présente les choses ainsi, il devient cohérent de n'avoir rien à redire à un Frank Tapiro qui parle d'organiser des milices pro-Israël en France ! Et quoi encore ? Macron a dit ne pas aimer la chasse aux sorcières en parlant de Depardieu, dommage qu'il n'étende pas son rejet jusqu'au même diagnostic à propos de LFI !
Quant à Rima Hassan, elle a beau expliquer sur tous les plateaux que "de la mer au Jourdain", ça veut dire égalité des droits entre israéliens et palestiniens, les gestapistes médiatiques l'obligent à le répéter trois fois pour tenter de lui faire dire autre chose que ce qu'elle dit. Elle parle d'État binational mais ils disent ne pas comprendre. Dans une récente interview sur BFMTV, le Benjamin de la famille Duhamel a bien cherché l'historique de l'expression qui visiblement échappait à Thomas Sotto ; manque de bol, son occurrence la plus ancienne faisait référence à Yasser Arafat qui disait clairement ce qu'Hassan reprend, à savoir égalité de droits entre juifs et palestiniens "de la mer au Jourdain". Il a eu beau faire ensuite des cabrioles pour tenter de dire que c'est pas comme ça que le Hamas l'emploie, ça n'a pas troublé la charmante enfant qui l'a renvoyé à ses études (lien).
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VI - Contre l'antisémitisme et son instrumentalisation
Je reproduis enfin l'introduction d'une causerie sur le thème : "Contre l’antisémitisme et son instrumentalisation, pour la paix révolutionnaire en Palestine". L'intro est de Françoise Vergès et l'invitée est Judith Butler, philosophe féministe américaine. Vergès, comme d'habitude impeccable, résume parfaitement la manière dont on nous a présenté le conflit. L'intérêt de la suite proprement dite sera essentiellement d'expliquer que l'antisionisme est historiquement un débat entre juifs, et que c'est depuis qu'Israël s'est targué d'être le porte-parole des juifs ("l'aboutissement de l'histoire juive et sa solution") qu'il a tout fait pour assimiler l'antisémitisme à l'antisionisme. Ça aurait commencé dans les années 70 et serait en passe d'être érigé en vérité normative en Occident ces dernières années :
On avait déjà eu l'idée de faire une réunion sur l'antisémitisme et son instrumentalisation, et l'instrumentalisation du féminisme à des fins réactionnaires. On voyait ce qui menaçait la gauche en Europe. Et en voyant ce qu'on a fait contre Jérémy Corbyn, on s'est dit que tôt ou tard, ça allait arriver partout en Europe. Donc on se dit qu'il faut parler de l'antisémitisme et de son instrumentalisation. En septembre dernier, Judith Butler nos donne son accord pour cette réunion publique où elle présenterait son analyse sur l'antisémitisme et son instrumentalisation, et parlerait de la guerre en Palestine.
Advient l'attaque du 7 octobre, et les bombardements israéliens commencent. Rapidement, les accusations se sont portés contre des intellectuels, des écrivains, des artistes, des membres de mouvement, politique et sociaux, dès qu'ils expriment leur solidarité avec le peuple palestinien, ou qu'ils rappellent que tout n'a pas commencé le 7 octobre... et que la seule démocratie au Proche-Orient est un État qui se définit comme État juif.
Ces accusations n'ont pas commencé en 2023, mais elles se sont intensifiées à mesure que l'armée israélienne détruisait et tuait à Gaza. Des conférences sont annulées, des licenciements autorisés, des lieux culturels fermés, des subventions supprimées, des manifestations de solidarité avec la Palestine interdites dans certains endroits, même le port du keffieh ou du drapeau palestinien est criminalisé. Un féminisme que des féministes racisées et palestiniennes aux États-Unis appellent "féminisme colonial" est lui aussi instrumentalisé. Ainsi, on a vu en France récemment la ministre de l'égalité entre les femmes et les hommes et de la discrimination menacer de supprimer les subventions aux associations féministes qui auraient été, je la cite : "ambiguës dans le condamnation des crimes commis le 7 octobre par le Hamas". Tout cela dans un climat de recrudescence d'actes antisémites, anti-migrants, d'actes racistes, anti noirs, anti roms, islamophobes, et de montée de l'extrême-droite.
Notre position est renforcée par l'organisation de la manifestation contre l'antisémitisme du 12 novembre en France, qui rassemblait des membres du gouvernement, du parti socialiste et d'autres forces de gauche, excepté la France Insoumise, et où pour la première fois, un parti d'extrême-droite fondé par d'anciens waffen SS et un tortionnaire de l'Algérie française participait.
Et à Gaza, les morts sous les bombardements, les tirs des armées israélienne s'accumulaient. La réunion publique du 6 décembre apparaissait donc plus que nécessaire... réunion brutalement interdite par la ville de Paris sous prétexte de menace à l'ordre public d'abord, puis en ciblant la présence d'une camarade décoloniale, Houria Bouteldja.
Judith nous propose de reprogrammer la réunion du six : c'est celle d'aujourd'hui.
Il n'est pas de jours où les nouvelles qui nous parviennent de Gaza ne provoquent pas l'effroi, l'épouvante, une profonde colère. Qu'est-ce qu'on voit ? Des soldats israéliens montrant avec fierté ce qu'ils ont pillé, se vantant de leurs destructions, applaudissant l'humiliation de centaines d'hommes palestiniens, célébrant les tirs meurtriers de leur snippers. On entend des déclarations racistes de ministres, de députés, d'artistes et de colons israéliens, et le terrorisme des colons en Cisjordanie. Vendredi dernier encore, 110 personnes étaient tuées par des tirs israéliens, lors d'une distribution d'aide à une population acculée à la famine. On compte à ce jour 30 000 tués, des dizaines de milliers de blessés disparus, sans compter les personnes décédées en dehors des hôpitaux, ensevelies de manière précipitée, ou toujours sous les décombres. Hôpitaux, universités, écoles ville, sites historiques ou archéologiques, musées, ont été totalement détruits. Il y a une population acculée dans des camps, qui manque d'eau, acculée à la famine, harcelée, bombardée, traumatisée.
Le 29 décembre dernier, l'Afrique du Sud a saisi la cour internationale de justice, accusant Israël de génocide. Le 26 janvier dernier, les juges de La Haye appelaient Israël à (je le cite) : "faire tout son possible pour empêcher le génocide à Gaza". L'État d'Israël, soutenu inconditionnellement par les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne, rejetaient sa demande pourtant bien timide. Depuis le 19 février février, il y a 52 états et trois organisations internationales, l'Union africaine, la Ligue des états arabes et l'Organisation de la coopération islamique, qui présentent leurs arguments devant la Cour internationale de justice, exigeant la fin immédiate de l'occupation illégale des territoires palestiniens par Israël. Seuls à ce jour, les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Hongrie ont témoigné inconditionnellement en faveur d'Israël. Mercredi, le représentant de la France a tenu comme à son habitude une position pleine d'euphémismes, condamnant à la fois la colonisation mais plaidant pour une résolution négociée, mais oui mais non... bref.
L'état d'Israël s'oppose à cette procédure en affirmant qu'elle vise, je cite, à "diaboliser Israël", et que la résolution du conflit n'est pas l'affaire de la justice internationale. Partout dans le monde, des centaines, des dizaines de milliers de personnes marchent en solidarité avec le peuple palestinien, occupent les universités, les parlements, les musées, bloquent l'entrée des usines d'armement. Des dockers refusent de charger les navires à destination d'Israël. Des groupes Houtis au Yemen perturbent l'entrée du canal de Suez. Des artistes se prononcent publiquement, des scientifiques, des militants manifestent partout dans le monde et exigent le vote pour un cessez-le-feu. Mais les États-Unis on systématiquement opposé leur véto à toutes les demandes de cessez-le-feu.
Nous assistons à un génocide, c'est tout à fait clair. Donc cette discussion a pour nous été vraiment importante. On voulait aussi évidemment aborder la question de l'antisionisme, rappeler qu'il est important de savoir que l'antisionisme est une histoire juive. Il n'est plus question de se faire accuser antisémitisme. Il faut vraiment qu'en France le déplacement se fasse radicalement autour de cette discussion, et donc, pour nous aussi, s'éduquer sur cette histoire. Et c'est pour cela que nous a semblé que la parole de Judith - qui a écrit là-dessus - était extrêmement importante. Judith n'est pas seulement la philosophe de la théorie queer ou du trouble dans le genre, elle a aussi écrit sur la question du sionisme, et de l'antisémitisme et de son instrumentalisation.