Sous couvert d'anti-anti-américanisme, on ne s'est jamais posé ouvertement la question du coupable, oui : du coupable principal dans cette crise financière. De même que parmi les différents facteurs ayant concouru à amener Hitler au pouvoir, on se contente d'indiquer le marasme généralisé de la crise de 1929 sans plus de précision, de même la question des conséquences de cette crise semble largement étouffer celle de ses causes.. Or, l'euphorie du surendettement de 1929 était clairement l'oeuvre du gouvernement Hoover, tout comme aujourd'hui l'un des principaux déclencheurs de la crise financière est le manque spectaculaire d'encadrement juridique et politique des principaux mécanismes comptables de l'économie américaine. On dit qu'il s'agit d'une crise systémique comme si on voulait par là diluer les culpabilités et les distribuer au sein de tout un "système" dont les Etats Unis ne seraient qu'un élément parmi d'autres. Certes, il y a un système aux acteurs multiples tout comme il y a des gagnants "nets" de cette crise qui ne vont jamais être inquiétés (à ce jour, la Commission d'enquête US se demande encore, s'il ne serait pas plus judicieux de mettre Bernard Madoff en prison, 10.1.09).Mais s'il m'était permis de faire un peu d'histoire économique au futur antérieur, je pense que l'un des questionnements intéressants pourrait être le suivant : comment se fait-il qu'en ce qui concerne les deux plus grandes crises qu'a connu le capitalisme depuis son origine, on n'ait jamais parlé des Etats Unis d'Amérique en termes de culpabilité ? A cela on pourrait ajouter en toute candeur lm'autre question qui lui ferait suite : la Terre entière entière leur doit-elle une telle reconnaissance historique, pour leur rôle de libérateur, de pacificateur, d'épurateur et de gendarme, qu'une telle question est malséante, déplacée, grossière ou carrément fausse ? Or, il ne s'agit pas tant de désigner un coupable que de pointer du doigt l'absence d'une telle désignation ; comme si la crise était tellement énorme qu'un traitement juridique de l'affaire - et la désignation d'un coupable reste une mesure de régulation juridique - tomberait soit dans l'irrationalisme (girardien) de la désignation d'une bouc émissaire (réputé innocent), soit relèverait d'une question de pure esthétique - ce qui, devant les rigueurs de la crise, ne manquerait pas de sel. On en conviendra : il manque aujourd'hui un Baudrillard pour dire que cette crise n'en est pas une, soit qu'elle en cache une autre, bien plus effroyable encore, soit qu'il s'agit du retour d'un principe de réalité que le capitalisme a réussi à judicieusement camoufler depuis l'éclosion de sa dynamique artificielle au début des années 1970.
Quand un prisonnier s'évade, on dit parfois qu'il s'évapore. Evidemment, pour qu'il s'évapore il fallait qu'il ait été en prison et pour avoir été en prison, il fallait qu'il fût déclaré coupable. En l'état, c'est la catégorie du coupable elle-même qui s'évapore. Les Etats Unis ne sont pas coupables de la crise, car la culpabilité n'est plus un schème interprétatif que pour les petits poissons (demandeurs d'asile, voleurs à l'étalage, toutes affaires de main courante). Mais pour ceux qui déclarent l'état d'exception mondial, en l'occurence les Etats Unis d'Amérique, il est un signe de leur souveraineté hégémoniale de ne pas se sentir coupables, ni d'attendre à ce que quiconque les tienne pour tels. Et ce quiconque obtempère. Quod erat demonstrandum.
L'incongruïté de mes lignes saute aux yeux. Mais elle ne saute pas aux yeux pour des motifs, économiques, logiques ou historiques ; elle saute aux yeux par le traitement juridique que j'aimerais réserver à cette affaire - et qui visiblement ne l'a subi jusque là que dans les cercles encore inofficiels des enquêtes parlemantaires américaines. Sans vouloir préjuger de leurs conclusions, il peut tout de même sembler justifié, que devant des conséquences qui se chiffreront en millions de victimes civiles, de parler en termes de dommages et d'évoquer la question des réparations est 1. une question juridique et 2. une question qui se pose - du moins en théorie.
Oui, les Etats Unis d'Amérique ont une culpabilité historique dans ces deux crises. Oui, cette culpabilité n'a jamais fait l'objet d'une désignation claire. Ni, par conséquent, d'un traitement juridique quelconque. Oui, il s'agit d'un scandale majeur au sein de la modernité. Auquel scandale on peut sans fin ajouter d'autres scandales d'ordre militaire, écologique, culturel et économique. Le fait que ces scandales multiples et séculaires aient été ou se soient évaporés, marque nettement la souveraineté absolue dont jouissent, usent et abusent les Etats Unis d'Amérique.