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Billet de blog 22 janvier 2009

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Quelques mesures d'ordre : 1. la justification des profits

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Quelques mesures d'ordre

A présent les dates reculent : il y a quelques jours encore, on parlait de pire année (en se référant à tel ou tel chiffre) depuis 1987, à présent, on se réfère allègrement à 1930, tout comme on dit 485 milliards de dollars au lieu d'écrire 485 000 000 000 de dollars ; et fait curieux : on n'entend plus ni Jacques Attali ni Alain Minc. Quand les simulants essentiels se taisent force est de croire que nous nous trouvons dans la simulation pure. Pourquoi ne pas alors penser à 1788 et injecter 485 billions, puisque ce ne sont que des chiffres...? C'est vrai, la réalité de cette simulation pure dépasse même ce que nos simulants essentiels sont capables d'imaginer, d'où probablement leur silence, et, s'ils pouvaient être seuls un moment, leur angoisse.

Mais il faut vivre. Certes, on peut jouer une fois encore avec le soupçon gnostique et se dire que le Mal est bel et bien dans le monde et qu'en finir serait une solution élégante. Mais on mesure l'incroyable présomption intellectuelle quand certains nantis parlent à ce sujet d'humanité comme secte suicidante. Ils comptent toujours sans ceux qui ont assuré leur nantissement et espèrent par leur pirouette prolonger leur confort quitte à en charger des générations...futures. Laissons ces enfantillages.

Je voudrais commencer par proposer trois réformes radicales. Il y en aura d'autres. Radicales, elle le seraient par l'irréversibilité de leurs effets. Evidemment, c'est en discours hypothétique que je les propose. Une hypothèse, avant d'être confirmée, doit semer la zizanie, brouiller les repères et inciter à la discussion. C'est en cela que je vois l'utilité de toute cette blogorrhée.

Voici ces reformes :

1. instauration d'un revenu maximum - le maximum étant calculé sur la base de l'utilité sociale moyenne de l'activité visée ;

2. mise en place d'une carte-carbone couplée aux cartes de paiement habituelles et donc d'un double décompte en argent et en empreinte écologique ;

3. une fiscalisation des profits en fonction de leur justification économique.

Bref :

1. Johnny Hallyday devra s'expatrier définitivement à Gstaad pour tout le mal qu'on lui a fait, Marie ;

2. mon radiologue devra pratiquer aux Amirantes ;

3. il se pourra qu'à partir du mois septembre, chaque année, ait lieu une nouvelle lutte des classes ayant pour enjeu des points-carbone.

Je commence par le dernier point : l'obligation faite aux profiteurs de justifier leur profit. Je passe outre la question de l'instance de validation et des mesures fiscales venant étayer ses jugements. Il y a là d'interminables questions techniques, passionnantes au demeurant pour le juriste, l'économiste et le sociologue. Sur ces détails il nous faudra revenir plus tard. Pour l'instant, je me lance dans un long laïus sur une question qui me semble être au coeur de la problématique capitaliste : la justification des profits. Je pars du constat que le capitalisme est mort et qu'il va falloir réfléchir très vite à d'autres formes de régulation et de motivation économique. Et je me demande donc par quoi remplacer l'aiguillon du profit - pour le dire très rapidement.

Le critère d'efficience dans l'allocation capitaliste des ressources était traditionnellement le profit. Peu importe si l'activité correspondait à un besoin, si elle était suivie d'effets néfastes non pris en compte dans le bilan des pertes et profits ou même que ces profits étaient tout simplement fictifs, l'action était jugée économiquement légitime et l'efficience atteinte dès lors que dans le règlement annuel elle dégageait un profit. Qu'on pétarade à travers le monde en le polluant, et avec lui les esprits, comme dans certaine course automobile, qu'on produise de parfaites inepties filmographiques à haut budget, qu'on importe de la camelote chinoise en profitant du coût scandaleusement bas du fret maritime - les exemples de profit aberrant font à présent partie du quotidien, non, ils constituent ce quotidien présent. C'est dire que ce critère d'efficience est inopérant, et, dans de nombreux cas, contreproductif : il guide les ressources vers des lieux d'emploi inefficace. Il semble que depuis des siècles on ait oublié que la Main Invisible qui était censée remplacer la divine Providence ne fonctionne que dans les conditions précises d'une transparence absolue des coûts. Dès que les circuits de prix se complexifient, se forment des niches d'absorption de valeur dont l'utilité économique ne peut pas être établie. Le malheur de la justification économique est un malheur très humain : toute position ou presque est argumentable. Tel agent de transfert de footballeurs dira donc à juste titre qu'il centralise les informations du marché des joueurs et qu'il est donc économiquement utile dans la mesure où les clubs de football auraient des coûts plus élevés à procéder à des transferts que s'il n'existait pas. Or, personne n'est là pour juger de la productivité de ces clubs en la matière. Peut-être est-elle effectivement mauvaise, peut-être même les coûts pour la rendre meilleure excèderaient les profits qu'engrange l'agent de transfert - personne ne peut le savoir. Mais on voit bien que l'argument ici formulé est biaisé, qu'il manque un maillon essentiel dans la justification du profit. Ce que l'on sait, par contre, c'est qu'on se retrouvera toujours dans la situation où quand quelqu'un fait un profit, on sera certain qu'il mobilisera les trésors de son intelligence pour le justifier. Or mobiliser des trésors d'intelligence pour justifier une action n'est pas justifier cette action ; c'est très souvent mobiliser ces trésors pour camoufler le caractère aberrant de cette action. Eh bien, ce sont précisément ces trésors que l'on convoquera pour demander des comptes aux profiteurs. Il y a là un véritable marché de la délibération - non au sens d'une possible source de profit !!! - mais d'une compétition pour la justification de tel et tel profit. C'est-à-dire d'un marché de la justification où le profiteur sera appelé à rendre des comptes devant des réviseurs qui contrôleront le bien-fondé de son profit.
Il faut maintenant comprendre que ce critère classique d'efficience ne fonctionne que dans un monde économique sans rareté ; que le profit épongé par l'action d'un acteur sera aussitôt remplacé par un bien supplétif. Le deuxième malheur de l'humanité, après la justification d'actions injustifiables, est le fait que nous vivons dans un monde fini, qu'un profit épongé - et généralement détruit dans sa valeur - se fait toujours au détriment d'une autre valeur. On pourrait me soupçonner d'anti-américanisme (primaire, de surcroît), puisque je fais assez souvent référence à cette nation pour illustrer mes propos, mais voilà un créancier permanent et universel qui, par sa position géostratégique hégémonique, par sa monnaie qui reste quasi-étalon et par son influence culturelle ne comprend pas sa position selon la logique des profits indus, mais ne cesse de se voir dans la gloire d'une sorte d'émulateur universel qui apporte la démocratie, la prospérité et la paix dans le monde, alors qu'un bilan global de ses activités depuis le Seconde Geurre mondiale montrerait aisément qu'elle profite de sa puissance pour transformer toutes les créances "nocives" qui la touchent en "titres" que le reste du monde est sommé de recycler au prix d'efforts de travail et d'imagination inouïs. La "titrisation" qui est véritablement la revente de non-valeurs par délégation de risques ne pouvait effectivement naître que dans cet univers (de valeurs...), pire : on pourrait à son égard parler de "nation titrisée" dont la cavalerie ne cesse que lorsque les plus démunis dans la chaîne de remorque se déclareront insolvables ou morts. Or cette situation est intervenue à l'automne 2008. On a retardé l'échéance du retour à la rareté, c'est-à-dire à la réalité, avec un brio fantastique. Et certains esprits parlent même aujourd'hui encore de "développement" durable, tout comme certains gouvernants croient sauver leurs économies défaillantes en y injectant des billions de dollars purement fictifs - dont ils savent pertinemment qu'il est impossible de les financer par voie fiscale. Qu'il s'agisse là de véritable criminalité économique et sémantique, personne n'est là pour le rappeler. Ou si peu. Il fut un temps où certains auraient aimé réserver à Jérôme Kerviel le rôle réservé sous Louis XIV encore aux faux-monnayeurs - ébouillanté vivant -, mais personne aujourd'hui ne fera à Barack Obama le reproche d'injecter dans l'économie américaine le centuple des malversations du trader malheureux d'un argent qu'il n'a pas, qu'il n'aura jamais et qu'il ne remboursera donc jamais. Si ce mode de financement par la dette avait un temps pu être opéré par les largesses chinoises

ou d'autres fonds dits "souverains", dont on mesurera à juste titre l'ironie du terme dans l'état d'exception dans lequel nous sommes, on mesurera surtout le degré de désespoir actuel des autorités américaines, obligées d'allonger de l'argent dont plus aucun débiteur au monde ne se chargera plus jamais - à moins que ce soit le monde dans son intégralité... en se mettant en jeu lui-même. Mais la rareté est bien de retour, et avec elle la question de l'efficience d'allocation.

Bref, le profit "sauvage" tel que l'a connu le capitalisme depuis au moins deux siècles, et ce à un degré de sauvagerie toujours plus grand, pourrait à la limite - comme une une sorte d'expérience de pensée sociologique un peu folle - être possible dans un monde "abondant" - une sorte de Pays de Cocagne où les flux de valeurs ne se tarissent jamais. Dans un monde où les ressources sont limitées, et vu leur tarissement actuel où elles doivent être rationnées, le profit est un émulateur économique d'une dangérosité extrême. Je me suis longuement répandu sur cette étrange lubie qui lui a voulu son accession au rang de principe de civilisation pour ne pas reprendre une fois encore ce débat. Mais alors par quel "émulateur" le remplacer ?

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