Il fait gris en Normandie. C'est la première fois que j'écris un texte pour un blog. Moi qui écrivais en allemand sur une vieille machine à écrire Remington "Noiseless", me voilà bien dépaysé. D'autant plus dépaysé, que j'ai cessé de pratiquer l'art du fragment - destiné à saisir une totalité encore insoupçonnable - pour essayer de comprendre vers quoi dérivaient nos sociétés et notre culture. Je me souviens avoir écrit sur Madonna, il y a une vingtaine d'années et d'avoir essayé de déchiffrer la logique des clips. Cela s'appelait "Der bleiche Engel der Kompression" (1987), l'ange pâle de la compression. L'idée avait été de montrer que ce qui faisait "tenir ensemble" un clip, c'était deux choses : des séquences suffisamment courtes, et une compression suffisamment forte de ces séquences. A l'instar de la physique des céramiques, il suffisait de comprimer avec suffisamment de force deux ou plusieurs éléments disparates, pour que ces éléments tiennent ensemble - jusqu'à former dans certains cas de puissants semi-conducteurs dont la force de résistance était quasiment nulle. Peu importe leur nature, leur sens, leur signification, il suffisait de serrer assez fort. Pour obtenir du liant. Pour obtenir du lien. Pour couler toute résistance, toute critique. Bref, vous prenez deux merdes, deux images, deux perceptions et vous serrez. Et, miracle, non seulement ça "tient", mais ça passe ! Vous appliquez ensuite l'image aux foules, aux ensembles urbains, aux malls, aux plages, aux infos etc. et vous appliquez la formule : 1. séquencer en éléments minimaux (idéalement selon le rythme de la perception qui est de deux secondes) et 2. compresser (dans le temps, l'espace, la matière) - et vous obtenez une loi physique passablement intéressante.
Evidemment, l'art de l'allusion, de l'allégorie, de la métaphore, du signe entre initiés était patent. Maître Baudrillard était passé par là. Avec une certaine délectation, je conjuguais le terme de compression dans le langage du ski, en physique, en esthétique (ah César), pour obtenir une petite facétie à la mode de Simmel. La cerise sur le gâteau étant cette absence de résistance (électrique) chez le semi-conducteurs produits par compression. De la résistance physique à la résistance politique - suivez le geste.
Et soudain, on se rend compte que tout cela est bel et bien fini. Baudrillard mort, Siné parjuré. Et j'ajouterais pour ma part : Joe Zawinul ayant plié son ombrelle et plus personne pour composer "In a silent way".