Français de naissance, j’ai suivi des études de « Relations Industrielles et du Travail » aux Etats-Unis. Elles portaient principalement sur le paysage syndical américain ainsi que son histoire et son cadre juridique. En vue du projet de réforme du code du travail de la présidence Macron, il bénéficierait à tous les acteurs de la mobilisation en France de connaitre et de comprendre d’autres systèmes de droit du travail et de militantisme syndical pour en tirer des leçons. Je vais donc m’efforcer ici de vous présenter une explication critique du système syndical des Etats-Unis d’Amérique. Cette étude en trois parties espère transmettre des leçons essentielles d’outre-Atlantique aux membres des syndicats et de la gauche de combat française. La première partie consiste en une explication du développement du système légale entourant le syndicalisme aux Etats-Unis. La deuxième partie détaillera l’évolution historique jusqu’à ce jour des dynamiques du mouvement syndicale lui-même. La troisième partie aura pour but de tirer des leçons du système Américain, et des comportements des syndicats, positifs et négatifs, qui pourront être appliqués au renouvellement nécessaire, et urgent, des syndicats français.

Figure 1: Unis, Nous Négocions, Divisé, Nous Mandions
La loi qui définit le champ d’action syndicale aux Etats-Unis est née en 1935, au milieu de la Grande Dépression, de grèves industrielles majeures et du « New Deal ». Cette loi se prénomme « Loi National des Relations du Travail » (National Labor Relations Act). Elle est encore en vigueur aujourd’hui, et fût modifiée à plusieurs reprises. Cette loi fait donc son apparition pendant la période de consolidation des syndicats « industriels » et d’une montée majeur de l’adhésion au syndicalisme. Elle définit le champ d’action et la représentativité des syndicats détaillés ci-dessous. Les lois fédérales de protection des travailleurs sont très limitées, les lois d’états n’assurent des conditions meilleures que dans les grandes villes côtières et les états largement démocrates (New-York, Californie, New-Jersey…). La confrontation entre syndicat et employeur se trouve donc au niveau de l’entreprise. Si l’entreprise n’est pas syndicalisée elle ne sera pas couverte par un quelconque accord « de branche » et ses employés ne recevront seulement des protections superficielles des rares agences dédiées à leurs maintiens.
Le premier pas dans une campagne de syndicalisation est d’obtenir au minimum 30% de « cartes d’autorisation » de la part des employées d’une même compagnie ou d’un même établissement. Quand le syndicat obtient la preuve de ce premier soutien, il peut solliciter une élection au « National Labor Relations Board », le bureau fédéral en charge du système syndical. Si le syndicat obtient 50% + 1 des suffrages exprimés lors de l’élection il devient le représentant légal des employés (Une loi à part régit les secteurs du chemin de fer et de l’aviation qui elle requiert 50%+1 de tous les travailleurs de l’employeur à travers le pays entier, et instaure d’autres règles draconiennes sur le droit des travailleurs). Dans ce cadre, il ne peut avoir qu’un seul syndicat représentant légal des employées par entreprise ou établissement. Le contrat collectif est donc signé entre l’unique syndicat représentatif et l’employeur. Quand un syndicat est élu comme représentant, l’employeur a une obligation légale de négocier avec celui-ci en toute bonne foi. Certains éléments sont donc considérés comme sujets obligatoires de négociation tels que les heures de travail et les salaires. La loi de 1935 définit cinq « Pratique injuste du Travail » (Unfair Labor Practice) de part de l’employeur, c’est-à-dire des actions de l’employeur envers les syndicats considéré illégal, comme la discrimination antisyndicale. Il faut être conscient qu’aux Etats-Unis ce qui est légal est très, très loin de la réalité… Le fait qu’en employeur n’a pas le droit de commettre quelconque action lui couteras seulement dans le sens qu’il devra employer une des centaines d’agences d’avocat anti syndicale présent dans ce pays.

Figure 2: Logo du « Bureau National Des Relations du Travail »
Pendant la seconde guerre mondiale les structures syndicales ont accepté de ne pas faire grève pour supporter l’effort militaire. Mais dès la guerre finie, en 1946, une vague de grèves sans précédent traverse le pays. Des millions d’ouvriers se mettent en grève (souvent sans l’accord des directions syndicales), des centaines de milliers de travailleurs quittent leurs postes dans les industries de l’acier, de l’automobile, des chemins de fer, du pétrole, du charbon, des mines… et mettent l’économie du pays à l’arrêt. Un tel mouvement prolétaire, non contrôlé par les structures syndicales, n’est pas acceptable pour l’Amérique de l’après-guerre, représentante du camp capitaliste de la Guerre Froide. C’est le début d’une contre-attaque patronale sans ménagement qui précipitera la chute du pouvoir syndical.
En 1947, la deuxième loi du travail nationale, couramment appelé Taft-Hartley, entre en vigueur et marque le début de la « Peur Rouge » (Red Scare) dans le pays. Cette loi est considérée aujourd’hui par beaucoup comme le coup de grâce ultime au syndicalisme et à la solidarité ouvrière. Elle interdit les grèves secondaires ou boycott secondaire. D’ores et déjà un syndicat d’une entreprise ou d’un lieu de travail ne peut plus appeler à boycotter les biens et services d’une autre entreprise en geste de solidarité. Concrètement le droit de grève est limité à l’intérêt propre du travailleur concerné, ce qui a comme résultat l’abolition juridique de la solidarité de classe. Il est cependant permis de faire des grèves politiques, mais celles-ci sont limitées d’une autre façon dont je discuterais plus tard. En outre, la loi prévoyait que tout responsable syndicale devait signer un affidavit confirmant qu’il ne faisait pas partie ou ne soutenait pas le Parti Communiste. Cela déclencha la peur rouge à l’intérieur même des structures syndicales, qui se débarrassèrent de toute influence communiste ou révolutionnaire. En conséquence un grand nombre des meilleurs organisateurs syndicaux furent vidé du terrain syndical et certains syndicats complétement liquider par leurs confédérations mère. (Je reparlerai plus de cet épisode dans la deuxième partie de cet article). La loi de 1935 qui nécessitait une neutralité de l’employeur pendant la campagne de syndicalisation fut renversée, donnant le droit à l’employeur de s’opposer ouvertement à la campagne, avec seulement certaines limites concernant les représailles ou les promesses patronales en cas d’échec du syndicat. In fine ce nouveau cadre juridique prévoit six « Pratique Injuste du Travail », cette fois-ci de la part des syndicats, donnant une avenue juridique de plus aux employeurs pour donner l’assaut aux syndicats.
La loi fédérale Taft-Hartley autorise surtout chaque état des USA à passer des lois de « droit au travail », un exemple typique de la novlangue de la bourgeoisie américaine. Dans les états ayant passés ces lois, un syndicat ne peux plus conclure avec son employeur une clause de « sécurité syndicale » (union Security clause) obligeant tout employé de rejoindre ou payer une cotisation au syndicat en échange de la représentation universelle que celui-ci doit assurer. Il y a à ce jour 29 états ayant, ou étant en train d’instaurer de telles lois (Voir la carte ci-dessous[1]). Ce système est ouvertement critiqué par les syndicats et la gauche comme un arsenal puissant des employeurs contre le droit d’association des travailleurs.

Figure 3: Carte des états ayant implémenter une loi de "Droit au Travail"
Il existe un droit de grève légale aux Etats-Unis, mais il comprend des limites extrêmement sévères. Il y a deux types de grèves prédominantes aux Etats-Unis. Une grève d’ULP définit l’action des employés et du syndicat contre un employeur qui a commis une « Pratique Injuste du Travail », c’est-à-dire une action illégale. Dans cette situation l’employeur a le droit de remplacer temporairement les grévistes mais doit les reprendre dans leurs postes dès qu’ils acceptent de retourner au travail sans condition. Une grève économique concere une tentative du syndicat de contraindre l’employeur à offrir de meilleures conditions de travail dans leurs prochains contrats, celles-ci ne peuvent donc uniquement prendre place durant la période de négociation de contrat. Dans ce cas l’employeur est autorisé à remplacer les grévistes de manière permanente ; sa seule obligation est de proposer un poste aux ex-grévistes en priorité une fois la position libérée. Il est donc clair que le droit de grève n’est donc en pratique que très peu protégé par la loi et que seulement des organisations puissantes avec des structures fiable à travers même de l’entreprise ainsi qu’une adhésion supra-majoritaire des travailleurs peu espérer obtenir une victoire de cette façon.
Finalement les contrats collectifs contiennent très souvent une clause de « non-grève » c’est-à-dire une clause dans le contrat assurant que pendant la durée de celui-ci le syndicat et les employées abandonnent leur droit de grève. Cette clause est un abandon total pour la durée des contrats d’entreprises des minces protections qui couvrent les grèves légales. Courte, mais puissante, elle est la raison principale de l’absence de grèves politiques par les syndicats aux Etats-Unis puisqu’ils ne seraient en effet pas protégés par la loi et risqueraient des répercussions légales. En effet, dans un tel cas, l’employeur pourrait licencier et remplacer tout employé ayant enfreint à la clause de « non-grève ». Ces clauses dominent la quasi-totalité des contrats collectifs du pays. L’article suivant donnera un exemple concret des limitations que cette clause a créé.[2]
La loi ne prévoit pas de « contrats de branche » et en pratique ils en existent très peu. Une des très rares exceptions se trouve dans l’industrie hôtelière très syndicalisée de New York City, mais c’est seulement l’exception qui confirme la règle. Le droit du travail national ne protège que très peu les employées, avec un salaire minimum fédéral brut à 6,07Euros de l’heure ($7.25/heure). Il n’existe pas de garantie légale de congés maladie rémunérés ou de vacances payés. La loi n’assure même pas de pause déjeuner pendant la journée de travail, et, malgré le fait qu’elle limite la durée de travail hebdomadaire à 40 heures, elle ne limite pas la durée de la journée de travail. Les contrats collectifs d’entreprises, qui couvrent les maigres 6.4% des employés du secteur privée, et 34.4% des employés du secteur public sont donc la seule réelle protection des employés.[3]
La France, avec les « Lois Travails » récentes, risque de voir la hiérarchie des normes renversée ce qui va faire primer le contrat d’entreprise. Les syndicats sont opposés à ce changement à cause du déséquilibre des forces au sein de l’entreprise, préférant la négociation nationale et la négociation de branche qui permettent au mouvement syndical de trouver une vraie force sociale. Il faut cependant que les syndicats se préparent à un tel renversement en préparant leurs forces au niveau des entreprises. L’entreprise étant avant tout le lieu de naissance de la conscience de classe. Il est donc non seulement instructif, mais stratégique, pour les syndicats français de comprendre le système Américain et d’en analyser les conséquences sur le mouvement ouvrier ainsi que les stratégies gagnantes et perdantes, un sujet difficile que j’aborderais à travers les deux prochains articles.
[1] https://www.multistate.us/blog/insider/2016/12/right-to-work-to-expand-in-2017
[2] http://labornotes.org/blogs/2011/12/no-strike-clauses-hold-back-unions