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Laurent Wauquiez est un roi sans divertissement. Certes réélu triomphalement à la tête de la région Auvergne-Rhône-Alpes en 2021, avec près de 55% des voix au second tour, le ténor des Républicains attend encore son heure. Il est en effet de notoriété publique que Wauquiez n’a d’yeux que pour l’Élysée : convaincu selon ses propres mots qu’il « s’imposera naturellement » le temps venu, l’ancien patron de LR se prépare dans l’ombre. L’échec de son parti aux élections européennes de 2019, qui a réuni à peine 8,5% des voix, ne décourage pas le prétendant au trône.
Mais, pour devenir roi, il a d’abord fallu que Laurent Wauquiez se fasse prince. Car le président rhônalpin, présent en politique depuis près de 20 ans, peut se targuer d’un impressionnant curriculum vitae : normalien, major de l’agrégation d’histoire, major de sa promotion à l’ENA, élu député à l’âge de 29 ans – il est alors le benjamin de l’Assemblée nationale –, porte-parole du gouvernement suite à la victoire de Sarkozy en 2007, élu l’année d’après maire du Puy-en-Velay, son fief de toujours ... bref, Laurent avait tout pour réussir. En bon opportuniste, il a vite compris que la politique n’était pas une question de convictions ; « réussir » en politique, c’est d’abord savoir trouver le bon filon à exploiter. De « sensibilité sociale-démocrate » pendant ses études, Wauquiez passe ensuite au gaullisme social avec la fondation de son propre club de réflexion en 2010, La Droite sociale. Social donc, mais pas trop : il s’illustre en 2011 au micro de BFMTV en dénonçant le « cancer de l’assistanat » et propose l’instauration d’un « service social » de cinq heures pour les allocataires du RSA : des paroles visionnaires … Mais le retour des socialistes au pouvoir vient changer la donne. Wauquiez doit trouver un autre créneau, et heureusement pour lui la gestion catastrophique par François Hollande du projet de loi pour le mariage gay vient lui fournir un cheval de bataille tout trouvé. Taïaut, donc : Laurent se fait pendant un temps l’égérie de La Manif pour tous. Mais la loi passe, le climat politique change, et il faut à nouveau s’illustrer sur un nouveau sujet. Qu’à cela ne tienne : Wauquiez, près de 10 ans après son soutien au projet de constitution européenne, annonce dans un livre – Europe, il faut tout changer – son tournant « eurosceptique » au cours des élections européennes de 2014. Et, puisqu’il n’est plus à une contradiction près, il soutient le retour de Sarkozy à la tête de LR après avoir pourtant abondamment critiqué le bilan de ce dernier. La trahison est un art que le loup poivre et sel maîtrise à la perfection.
On ne devient cependant pas roi à partir de rien : la couronne demande un fief. Wauquiez se trouve donc une fibre locale et représente LR aux élections régionales de 2015 en Auvergne-Rhône-Alpes. Mais cette baronnie fraîchement obtenue n’est qu’une étape pour lui : dès son élection, il annonce se poser « en concurrent de l’État » et entend bien faire de la 2ème région de France une plate-forme pour ses prétentions présidentielles. Son assujettissement au patron des Républicains porte d’ailleurs ses fruits : Wauquiez devient n°2 de LR et, le naufrage de François Fillon en 2017 aidant, il obtient – enfin ! – la tête du parti. Un premier sacre donc, mais qui prend très vite une tournure amère : son rival Xavier Bertrand l’accuse de complicité avec le FN et claque la porte du parti, tandis qu’Alain Juppé prend ses distances. Bref, il semblerait que Laurent soit devenu le capitaine d’un navire à la dérive. Pris entre le Front National et les Marcheurs, coincé entre extrême-droite et nouvelle droite, le chef des Républicains ne parvient pas à se renouveler. Ses propos lors d’une conférence donné à l’EM Lyon en 2018, où son opportunisme et sa grossièreté politique apparaissent au grand jour, renforcent son impopularité. Il tente, en vain, de reprendre la ligne catholique intégriste de François Fillon en nommant tête de liste aux européennes François-Xavier Bellamy, intellectuel homophobe et anti-avortement de premier plan. Avec le succès que l’on connaît.
Le roi – le roitelet – est déchu. Wauquiez démissionne de la présidence du parti et retourne sur ses terres, penaud. Il jure, avec toute la sincérité qu’on lui connaît, de délaisser la scène politique nationale pour mieux se consacrer à sa région. Il ne reste alors que deux choses au roi sans divertissement pour qu’il puisse encore exister : le faste et l’absolutisme.
Le faste d’abord, et quoi d’étonnant là-dedans ? Car monsieur Wauquiez, à l’image des souverains poudrés du temps de Versailles, aime l’apparat : il se teint les cheveux en gris pour apparaître plus mûr, ne cire pas ses chaussures avant de monter sur Paris pour avoir l’air d’un « vrai » provincial, travaillait avec un coach vocal pour retrouver son accent de Haute-Loire (lui qui a vécu toute sa vie à Paris) … le président de région sait se composer un masque. Or qui dit masque dit fête : en octobre dernier, Mediapart épinglait le « dîner des sommets » organisé par Wauquiez au frais de la région pour une bagatelle de 100 000 euros. Dans un décor somptueux – le château de La Chaize, dans le Beaujolais, propriété du millionnaire Christophe Gruy – monsieur Wauquiez s’est donné du mal pour accueillir comme il se doit ses convives : vans de luxe, apéritif au champagne et fois gras, un serveur par invité … une démesure qui n’est pas du goût de l’association Anticor, qui décernait en janvier une « casserole » au président de la région, ni de la justice, qui a perquisitionné l’hôtel de région en février. Faste aussi lorsqu’il s’agît de redorer l’image de sa seigneurie originelle, le Puy-en-Velay : ainsi, l’opposition à la région AURA s’insurgeait en 2016 contre une subvention de 300 000 euros octroyée par la région pour un projet de mise en lumière des monuments du Puy.
Le faste donc, mais aussi et surtout l’absolutisme. Car un roi qui s’ennuie est un roi arbitraire. Or s’il y a bien un seul domaine dans lequel notre homme sait faire preuve de constance, c’est celui-ci. Ils sont nombreux et nombreuses à dénoncer, au sein de l’opposition régionale, sa gestion autocratique : tous, des socialistes aux frontistes, s’insurgent contre le petit Napoléon qui coupe la parole et limite au maximum le champ d’expression de ceux qui ne font pas partie de sa majorité. Un verrouillage tel qu’en mai 2018, le tribunal administratif de Lyon annule le budget 2016 de la région pour défaut d'information des élus. Un mépris dans la forme que complète une brutalité sur le fond, car le loup dirige sa région comme il l’entend, c’est-à-dire avec un gant de fer. Il assume de faire de sa région un laboratoire à ciel ouvert, une France en miniature qui annonce le tableau pour 2027. Et celui-ci n’a rien de reluisant : diminution des subventions versées aux ONG de 11 millions par an à 5,4 millions ; baisse de 30% du budget régional à l’environnement, baisse de 40 000 euros des subventions au Mémorial des enfants d’Izieu … Lorsqu’il s’agit d’argent, Laurent aime couper dans le vif. Surtout lorsque l’argent en question devrait atterrir dans la poche de ses ennemis. Aussi s’est-il illustré depuis sa prise de fonction dans la suspension des subventions régionales destinées à ses opposants : Science Po Grenoble en 2021, commune de Grenoble en 2022, Théâtre Nouvelle Génération (TNG) en 2023. Comble de l’ironie, la suspension des subventions du TNG tombe au moment où son président critiquait justement la méthode tyrannique de la région en matière de politique culturelle …
Monsieur Wauquiez est cependant beaucoup moins regardant lorsqu’il s’agit de récompenser ses fidèles sujets. Aussi ne s’étonnera-t-on pas des trois millions d’euros de subventions attribuées aux fédérations de chasseurs, des dizaines de milliers d’euros destinés à l’UNI, un syndicat étudiant d’extrême-droite, ou aux dizaines de millions d’euros alloués aux lycées rhônalpins pour l’installation de portiques de sécurité – rappelons que la sécurité, malgré les incursions récurrentes du baron dans ce domaine, ne fait pas partie des prérogatives régionales. Mais, au-delà d’une question de gros sous, c’est la politique régionale dans sa totalité qui laisse deviner quel Président de la République serait Laurent Wauquiez. Son opposition à l’accueil de migrants dans sa région, son obsession sécuritaire, sa croisade « anti-woke », ses attaques récurrentes contre les personnes LGBT au nom de sa lutte contre la « théorie du genre », son rejet des associations écologistes, son mépris pour la laïcité qu’illustre la ridicule affaire de la crèche de Noël à l’hôtel de région : autant de preuves qui nous montrent que Laurent Wauquiez n’a rien à envier à un certain Ron DeSantis, le gouverneur républicain de la Floride et possible futur candidat du GOP aux élections de 2024.
Car, tout comme lui, notre petit dictateur rhônalpin fourbit ses armes. Wauquiez se prépare, lentement mais doucement, et à l’abri des querelles nationales, à la prochaine présidentielle. Son nouveau cheval de bataille ? La critique de l’inefficacité des services publics et le pilotage parisien hors-sol du pays, sur fond de « méthode chiraquienne ». Laurent Wauquiez est un exemple pour le développement durable tant sa capacité au recyclage politique impressionne. Si, pour le moment, les sondages semblent faire obstacle ses ambitions – il plafonne à 5% des suffrages pour une possible candidature en 2027 –, on aurait tort de vouloir enterrer trop vite le prétendant. D’abord parce qu’il faut que la gauche se prépare aux prochaines élections régionales afin de mettre un terme à la gestion catastrophique de la région par celui qu’on surnomme ici le « seigneur des panneaux », en référence à son idée d’imposer aux bénéficiaires de subvention le fameux panneau bleu clair bien connu des locaux. Ensuite parce qu’il se rêve en artisan d’une union de droite qui associerait Les Républicains et Reconquête. Une union rendu d’autant plus plausible que les contacts de Wauquiez avec Zemmour et Maréchal Le Pen sont fréquents … et que la ligne du nouveau président de LR Éric Ciotti se fond presque intégralement dans celle du RN. Pas encore roi donc, mais déjà un danger.
Pascal ne disait-il pas « qu’un roi sans divertissement est un homme plein de misères » ?