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Billet de blog 10 décembre 2023

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Gaza, terre écocidée

Rien ne semble pouvoir arrêter la croisade génocidaire dans laquelle s’est engagée Israël en représailles des crimes du Hamas. Mais, plus encore que sa population, c’est le territoire même de Gaza qui semble cristalliser toute la haine des faucons israéliens, comme en témoigne le tragique degré de dévastation du nord de Gaza, littéralement en ruines.

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Deux mois après les attaques du 7 octobre, l’horreur et son cortège de morts ne cessent pas.

Rien ne semble pouvoir arrêter la croisade génocidaire dans laquelle s’est engagée Israël en représailles des crimes du Hamas : ni les cris de protestation que font entendre partout dans le monde les manifestations de solidarité au peuple palestinien, ni l’effroi des images de massacre qui inondent un peu plus chaque jour la une les médias, ni l’action désespérée des ONG et organisations internationales qui tentent, en vain, de mettre à l’inflexible campagne d’extermination initié par le gouvernement extrémiste de Netanyahu.

Le bilan humain du côté de Gaza ne cesse de s’alourdir : au moins 18 000 morts – près d’un 1% de la population gazaouie –, des dizaines de milliers de blessés et malades, ainsi que des millions de déplacés et sans-abris.

Mais, plus encore que sa population, c’est le territoire même de Gaza qui semble cristalliser toute la haine des faucons israéliens, comme en témoigne le tragique degré de dévastation du nord de Gaza, littéralement en ruines. En Palestine, donc, il n’y a pas que les hommes, les femmes et les enfants qui meurent : il y a la terre aussi. En ce sens, il n’est pas exagéré d’évoquer un projet véritablement écocidaire de la part des forces armées israéliennes, qui s’ajoute et complète les velléités génocidaires.

D’abord, il y a les bombes. Depuis le début du conflit, Israël a mené pas moins de 10 000 frappes aériennes sur Gaza. Si 90% d’entre elles explosent à l’impact, semant mort et désolation dans leur sillage, au moins 10% de ces munitions ne sont pas détonées et finissent enterrées dans le sol : c’est ce qu’on appelle en anglais les UXO, pour Unexploded Ordnances (munitions non-explosées en français). Mais leur dangerosité demeure, et ces bombes dormantes n’attendent qu’une source de chaleur, ou un choc léger, pour exploser.

Dès lors, Gaza n’est plus seulement un champ de ruines, mais aussi un champ de mines. L’expert Charles Birch, qui travaille pour le Service d’action des mines de l’ONU (UNMAS) a déclaré à propos des bombardements de Gaza que « la contamination va atteindre un degré incroyable, similaire à ce qu’on a connu pendant la Seconde Guerre mondiale ». Et, même si ces bombes venaient à ne pas exploser, elles relâcheraient malgré tout, dans le sol et l’eau de Palestine, de nombreux composés chimiques aux effets environnementaux dévastateurs.

Un fardeau onéreux – l’UNMAS estime à 40 000 $ le déminage d’une munition – dans lequel les États-Unis ont une responsabilité importante, puisque Brian Castner, expert en armement pour Amnesty International, soupçonne que bon nombre des bombes larguées par Israël soient de provenance et de facture américaines.

Cet héritage empoisonné, les Palestiniens le partagent avec l’Ukraine – actuellement la région la plus minée au monde depuis le début du conflit en 2022 – mais aussi avec le Laos et le Cambodge, deux des pays les plus bombardés au monde lors de la campagne anti-communiste menée par les USA en Asie du Sud-Est durant la guerre froide. Rien qu’au Laos, où l’armée américaine a mené pas moins de 580 000 opérations de bombardements entre 1964 et 1973, on estime que 80 millions de munitions non explosées gisent encore dans le sol du pays. Depuis la fin du conflit, les UXO ont fait plus de 20 000 morts au Laos ; 40% sont des enfants.

Ensuite, il y a l’eau : ressource rare et vitale pour les populations palestiniennes, plus encore pour les Gazaouis qui doivent composer avec la menace d’une salinisation de l’eau potable. L’utilisation de l’eau comme arme de guerre par Israël n’est pas un fait nouveau : en novembre 1967, les autorités israéliennes ont promulgué l’Ordonnance militaire 158, selon laquelle les Palestiniens ne peuvent pas construire de nouvelles infrastructures hydrauliques sans obtenir au préalable un permis délivré par l’armée israélienne.

L’accès à l’eau, un des droits humains les plus basiques et essentiels, dépend donc du bon vouloir de l’occupant. Ainsi, à Gaza, plus de 90% de l’eau fournie est impropre à la consommation, tandis que les habitants de Cisjordanie voient leurs nappes phréatiques accaparées par les puits construits par les colons. Et les conséquences sont sans appel : alors qu’un Israélien consomme en moyenne 300 litres d’eau par jour, un Palestinien doit se contenter en moyenne de 73 litres – bien en dessous des 100 litres quotidiens minimum par personne recommandés par l’OMS.

Une situation déjà catastrophique donc, mais qui empire encore lorsque le conflit dégénère.

L’armée israélienne fait peu de cas des infrastructures hydrauliques en temps de guerre, ni de la pollution aquatique résultant de ses campagnes de guerre. Déjà, lors du conflit israélo-libanais de 2006, l’armée de l’air israélienne avait bombardé la centrale de Jiyeh, une ville située sur les côtes, non loin de Beyrouth. Les bombes israéliennes, en détruisant les réservoirs de pétrole, entraînent la fuite de 30 000 tonnes de combustibles et la formation d’une gigantesque marée noire en Méditerranée, touchant près de 170 kilomètres de côtes. Israël n’a jamais déboursé le moindre centime pour financer les efforts de nettoyage.

Aujourd’hui, la situation est plus grave encore : l’armée israélienne envisage en effet de noyer les tunnels du Hamas ; début décembre, le belligérant avait déjà installé 5 pompes à eau de grande capacité près du camp de réfugiés d’al-Shati, au nord de Gaza. Si Israël provoque un déluge de plusieurs millions de mètres cubes d’eau salée sur les terres palestiniennes, les conséquences seraient proprement effroyables.

Eilon Adar, professeur émérite à l’Institut Zuckerberg pour la recherche sur l’eau à l’université Ben Gurion du Neguev, a déclaré que l’impact environnemental sur les nappes phréatiques pourrait persister sur plusieurs générations.

Si un tel crime de guerre venait à être commis, Israël rejoindrait le Kuomintang et la Russie de Poutine au rang des régimes qui ont fait de l’inondation une arme de destruction massive : en 1938, la décision des nationalistes chinois de noyer le centre du pays en faisant sauter les digues du fleuve Jaune pour freiner l’avancée japonaise fait pas moins d’un demi-million de victimes ; en juin 2023, la destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka par les troupes russes entraîne un écocide aux dimensions proprement titanesques et l’exode de dizaines de milliers d’Ukrainiens.

Israël n’ignore pas qu’une telle politique de la terre brûlée est parfaitement illégale au  regard du droit international depuis la Convention de Genève de 1977 – que le pays n’a de toute manière ni signé, ni ratifié. Elle n’est pas non plus une conséquence déplorable et imprévue du conflit, comme le prétendent à l’envie les thuriféraires du régime de Netanyahu.

C’est, au contraire, une stratégie pensée et réfléchie, partie intégrante de la doctrine Dahiya formulée par l’armée israélienne depuis le conflit israélo-libanais, et qui prône un usage de la force disproportionné et frappant indistinctement cibles civiles et militaires, qu’importe le bilan humain.

Tout, dans la politique israélienne actuelle, converge vers un seul objectif : régler définitivement le « problème palestinien », fut-ce au prix d’une éradication totale. Alors que restera-t-il à Gaza ? Le sel de la mer, l’écho des bombes et les ossements des morts. Aucun tribunal ne pourra réparer cela.

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