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« Débattre d’écologie avec le RN, dans des événements et des médias où l’audience est acquise à ce parti, est une nécessité ». C’est ainsi qu’Hugo Clément, journaliste et militant écologiste, a défendu dans les médias sa participation à un débat avec le président du Rassemblement National Jordan Bardella, débat organisé par le journal d’extrême-droite Valeurs Actuelles. Selon ce grand défenseur auto-proclamé de la cause animale – il assume avoir participer au débat en échange d’un don contre la chasse à courre – il serait grand temps de désenclaver l’écologie, afin que les enjeux environnementaux ne soient plus l’apanage de « la droite » ou « la gauche ». Son plaidoyer pour une écologie trans-partisane lui a autant assuré les louanges de l’extrême-droite que les foudres de la gauche : Bardella déclare à l’issue du débat qu’il faudrait « « moins de Sandrine Rousseau et un peu plus d'Hugo Clément », tandis que la député LFI Nadège Abomangoli lui reproche de verser dans « l’écofascisme ». Que penser alors de cet appel à dépasser les clivages ?
Il était déjà de notoriété publique qu’Hugo Clément avait une propension quelque peu mégalomaniaque à vouloir réinventer la roue, en se présentant volontiers comme l’avant-garde d’un « nouveau » journalisme engagé et irrévérencieux. Force est de constater que les réflexes ont la vie dure, car son idée d’une écologie « anti-sectaire » et ouverte à tous les bords n’a fondamentalement rien de novatrice. Avant lui, Antoine Waechter, pionnier de l’écologie politique dans les années 1970 et candidat des Verts à l’élection présidentielle de 1988, décidait de quitter son parti en 1994 afin de fonder un Mouvement écologiste indépendant (MEI) en 1994 au nom de son leitmotiv que « l’écologie n’est pas à marier ». Au moment où les Verts participent à la Gauche plurielle de Jospin et actent ainsi leur encrage politique à gauche, Waechter se rapproche petit à petit de la droite, jusqu’à soutenir Valérie Pécresse lors des élections régionales en 2021. Même constat à propos d’Haroun Tazieff : brillant volcanologue d’origine polonaise, mais aussi agronome et spéléologue, Tazieff devient une figure appréciée du public au cours des années 1970, au moment même où il obtient la consécration académique au CNRS. Proche initialement des socialistes, il est nommé secrétaire d’État aux risques majeurs dans le gouvernement Mauroy en 1983. Mais, suite à la cohabitation de 1986, Tazieff décide que l’écologie n’est pas une affaire de parti et collabore activement avec Alain Carignon, ministre de l’Environnement sous le gouvernement Chirac, et sera même élu au conseil municipal de Grenoble, ville alors dirigée par Carignon. N’est-il est pas surprenant que les écologistes « ni de droite, ni gauche » finissent toujours contre la gauche et pour la droite ? Et surtout, est-il surprenant que Hugo Clément suive cette même trajectoire, lui qui était l’investigateur d’un harcèlement raciste à l’encontre de la journaliste Nassira El Moaddem lorsque tous deux étaient en école de journalisme à Lille ? Lui qui a ciblé à plusieurs reprises les « sacrifices animaux » dans le cadre de l’Aïd, reprenant de fait l’une des antiennes favorites de l’extrême-droite ? Lui qui se présente comme un fervent allié de la fondation Brigitte Bardot, elle qui s’est illustrée dans les médias pour son soutien à Éric Zemmour à la présidentielle 2022 et pour ses propos racistes qui lui ont valu plusieurs condamnations pour incitation à la haine raciale ? En somme, est-il surprenant de voir Hugo Clément dialoguer avec des gens qui pensent comme lui ?
Mais, au-delà de la figure du journaliste, « l’affaire » Hugo Clément pose la question de la possibilité même d’une extrême-droite écolo-compatible. Pour le dire autrement : peut-on, au nom de la sauvegarde de la planète, s’allier avec des « écolos-fascistes » ? Il ne s’agit ici ni de balayer du revers de la main une telle hypothèse en la jugeant à première vue ridicule, ni de céder avec facilité aux arguments ras-du-front – pensons au fameux « Hitler était végétarien » – pour acter un peu trop vite l’existence des vert-bruns. Car oui, il y a bel et bien une écologie d’extrême-droite, mais pas n’importe laquelle. C’est l’écologie de gens comme Alain de Benoist, Bertrand de Jouvenel, Henri Levavasseur ou Guillaume Faye ; une écologie portée par la Nouvelle Droite, pour qui la défense de l’environnement passe par une idéologie ethno-nationaliste, pour qui la protection de la nature va de pair avec une protection de la « pureté de la race », pour qui les responsables de l’effondrement écologique sont à chercher du côté de l’Afrique ou de l’Asie. C’est une écologie raciste, malthusienne, néopaïenne, anti-cosmopolite : bref, une authentique écologie fasciste. Et l’on retrouve encore des réminiscences de cette idéologie dans le programme du Rassemblement National avec qui Hugo Clément souhaite dialoguer : exaltation de l’agrarisme, valorisation du localisme (allant de pair avec la lutte contre le mondialisme), nostalgie pastorale … Tout un corpus d’idées dont les racines sont à trouver du côté des chemises vertes, du maurrassisme et du pétainisme.
Or, non seulement ce projet est foncièrement suprémaciste, haineux et inégalitaire, mais il est en plus en décalage total avec la réalité du changement climatique. Car ce ne sont pas des gens comme Hugo Clément ou Jordan Bardella qui sont le plus menacés par les bouleversements de l’Anthropocène ; au contraire, les rapports du GIEC et les récentes catastrophes climatiques montrent que les populations vulnérables sont celles des pays du Sud. Pensons seulement aux inondations qui ont frappé l’an dernier le Pakistan : en deux mois, elles ont fait 1 700 morts, ont ravagé presque 2 millions d’hectares de terres agricoles, ont détruit près de 800 000 habitations, touchant au total 33 millions d’habitants pour un coût de 15 milliards de dollars. Or, les scientifiques ont prouvé que de telles phénomènes sont accentués par le réchauffement climatique, car les canicules extrêmes qui touchent ces régions entraînent une humidification accrue, d’où les pluies de moussons torrentielles qui ont noyé le pays. Entre 1986 et 2015, les températures ont augmenté de 0,3 °C par décennie au Pakistan, faisant de ce pays l’un des plus touchés au monde par le réchauffement climatique. Et l’on pourrait même dire : deux fois touché, car la pauvreté de la population et le manque d’infrastructures viennent accentuer les aléas climatiques. Même constat pour le continent africain, qui, d’après les rapports du GIEC, et la région du monde la plus vulnérable aux conséquences du bouleversement climatique, alors même qu’elle est la région qui émet le moins de gaz à effet de serre.
Et pourtant, Hugo Clément semble beaucoup moins actif lorsqu’il s’agit de dénoncer l’inégalité climatique qui fragilise davantage les régions du Sud. Il est visiblement plus simple d’aller parler de corrida ou de chasse à un électorat d’extrême-droite, qui n’en retirera surement rien, plutôt que de faire la promotion de programmes d’adaptation afin d’aider les pays africains et asiatiques à lutter contre les crises hydriques, l’insécurité alimentaire, la montée des eaux ou l’effondrement de la biodiversité. En somme, il est plus simple de parler d’écologie sur un ton aseptisé, entre blancs, lové dans son petit confort de journaliste bourgeois. Monsieur Clément, si vous pensez que vous pourrez ainsi verdir le discours des bruns, permettez moi de vous dire que vous tort. Au contraire, vous participez à brunir le discours des verts, et en jouant les idiots utiles chez Valeurs Actuelles, vous fournissez une énième caution morale à un parti qui devrait rester infréquentable. Vous voulez une écologie qui ne soit pas une affaire de camp politique ? Mais monsieur Clément, votre intervention montre justement que vous l’avez choisi, votre camp politique. On saura désormais quelle est l’écologie dont vous vous faites le héraut.