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Billet de blog 21 avril 2025

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Une société qui va mâle

La succession de scandales médiatiques liée à des violences sexuelles « masculines » crève les yeux. L’affaire des viols de Mazan a représenté pour « certains » un électrochoc qui s’inscrit dans un cadre plus large du réveil international... Cette dénonciation « souvent » individuelle prend place dans ce qui apparaît être collectif, systémique et culturel.

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Pourquoi une réflexion sur les violences sexuelles aujourd’hui ?

La succession de scandales médiatiques liée à des violences sexuelles « masculines » crève les yeux de tout observateur qu’aucun Œdipe ne pourrait contester. L’affaire des viols de Mazan a représenté pour « certains » un électrochoc qui s’inscrit dans un cadre plus large du réveil international #metoo de « certaines ». Cette dénonciation « souvent » individuelle du #balancetonporc prend place dans ce qui apparaît être « davantage » collectif, systémique et culturel.

Au-delà du « tapage » médiatique, les enquêtes sociologiques et anthropologiques, inscrites dans un temps long, montrent que les exactions sexuelles de la gente masculine représentent une constante historique dans le cadre familial et social : violence conjugale, inceste, viol.

A cela s’ajoute, l’ampleur des récusations et du déni de la responsabilité masculine dans de larges pans de notre société et de divers milieux plus ou moins influents : du journalisme, de la politique, du spectacle à des sphères sociales plus proches de chacun-e : famille, amis, voisins, commerçants...

Au lieu de tenter de remédier à cette permanence, certains persistent dans le rejet de cette évidence et s’ils sont peu à revendiquer la légitimité de cette violence, de trop nombreux l’euphémisent.

Petit éclairage juridique

Dans le droit français, une agression sexuelle caractérise « un acte sexuel, sans pénétration, imposé par une personne à une autre personne ». Le viol caractérise « un acte de pénétration commis avec l'usage de violences, de menaces, d'une contrainte physique ou psychologique ou par surprise ». (Articles 222-22 à 222-33-1). Les violences sexuelles rassemblent ces 2 termes : exhibition, attouchement, viol, mutilation sexuelle, sextorsion, harcèlement, visionnage de pornographie.

Atrocité ou terrible banalité du côté du Vaucluse ?

De 2011 à 2020, un « bon père de famille » a orchestré le viol de sa femme par des monsieur-tout-le-monde. Dominique Pelicot, âgé d’une soixantaine d’années comme son épouse Gisèle, a laissé une petite annonce sur un site internet proposant de violer sa compagne sédatée et inconsciente.

Si la police a dénombré 92 faits de viols, elle a retrouvé 51 violeurs mais en liste autour de 83 et n’a pu récupérer l’entièreté des identités.

Ces violeurs représentent un panel sociologique qui auraient pu servir pour un sondage : de tout âge (d’une vingtaine d’années à une soixantaine) et de toute condition sociale (médecin, pompier, employé, commerçant, sans-emploi et même élu de la République).

Ils se trouvaient à moins de 25 km du domicile du couple et ont accepté de venir dans la journée cessant toute affaire courante afin de pénétrer l’intimité sexuelle d’une femme inconsciente. Certains sont revenus ! L’un d’eux a mis en place le même système opératoire à l’intention de son épouse.

Les 51 accusés sont jugés coupables, avec des peines allant de trois ans de prison à vingt ans de réclusion criminelle pour l’accusé principal. Néanmoins, 10 coupables ont fait appel et vont repasser en jugement…

Des chiffres pour faire le « poing » !

Chaque année, autour de 270000 femmes sont victimes de violences sexuelles, le plus souvent de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. Barbe Bleue vous remettez ? En proportion, 50% des femmes déclarent avoir été victime d’agression sexuelles et 16% victime de violences sexuelles.

Les enfants sont grandement concernés par les agressions sexuelles et surtout les filles. Chaque année, autour de 160000 enfants subissent des violences sexuelles.

En 2023, l’enquête sur la population française de l’INSERM-CIASE (Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église) constate que les violences sexuelles avant l’âge de 18ans concernent 3,9 millions de femmes, soit 14,5% des femmes de la population française, et 1,5 millions d’hommes, soit 6,4% des hommes.

L’inceste apparaît central dans cette violence contre les enfants car dans 81 % des cas, l’agresseur est un membre de la famille, quasiment toujours masculin (papa, tonton, papi, cousin). Et l’agression a lieu au domicile de l’enfant.

En 2018, la police révèlent que plus de 5700 filles et plus de 1500 garçons ont été victimes de violences sexuelles intrafamiliales, déclarées aux forces de l’ordre. Ces violences commencent en moyenne à l’âge de 7 ans et demi et se renouvellent dans 86 % des cas.

Dans 11 % des cas les violences sexuelles ne sont pas intrafamiliales mais proviennent d’un proche des parents ou au sein d’une institution. Dans ce dernier cas, l’agresseur est le plus souvent un homme religieux (dans 25% des cas), un professionnel de l’éducation (19% des cas), un camarade de l’enfant (17% des cas), un entraîneur sportif (8% des cas).

Il est à noter une spécificité pour les violences dans le cadre religieux car il concerne dans ce cas-là une majorité de garçons âgés de 10 à 13 ans.

Enfin 8% des agressions sexuelles sont commises par un inconnu, dans l’espace public.

Pourquoi insister sur le caractère masculin de la violence ?

Dans la société française, 97 % des violences sexuelles sont le fait d’un homme comme 90 % des violences conjugales. Au-delà, cette violence masculine s’exprime dans les relations sociales, 85% des responsables des violences physiques constatées par les forces de l’ordre sont des hommes et 96 % des personnes incarcérées le sont aussi.

Ces chiffres ne veulent pas dire que tous les hommes sont violents, mais que la violence est une expression genrée car avant tout masculine.

Devons-nous la percevoir comme inscrite dans la construction culturelle de ce qui fait homme ? Dans son éducation et ses représentations symboliques ? On ne naît pas homme, on le devient ! On ne naît pas violent, on le devient !

Les violences sexuelles sont-elles inscrites dans notre système social et culturel ?

Les enquêtes sociologiques sont cruellement parlantes. Hors de toute violence physique imposée, des formes de violences sexuelles semblent socialement acceptées dans le cadre du couple, ainsi 1 femme sur 3 déclare « avoir déjà eu un rapport sexuel alors qu’elle n’en avait pas envie devant l’insistance de son partenaire ».

Le devoir conjugal longtemps légitimé par l’Église et l’État au sein du couple marié est depuis peu assimilé à une agression sexuelle en France. En effet, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a rendu un arrêt le 23 janvier 2025, qui sanctionne la France dont la justice avait condamné une femme qui refusait les relations sexuelles avec son mari.

Ne peut-on pas effectivement parler d’une culture du viol dans la société française ? Le déni n’est-il pas le rouage qui prouve justement cette réalité systémique ?

En 2024, le nombre de victimes de violences sexuelles a augmenté de 7%. Selon le rapport de la Fondation des femmes, plus de 3 millions de femmes déclarent des violences sexistes et sexuelles chaque année.

Suite aux viols, tentatives de viol et/ou agressions sexuelles qu’elles subissent, seules 6 % des femmes victimes portent plaintes. Moins de 1 % des viols sont condamnés.

En ce qui concerne les agressions sexuelles contre des enfants, une plainte est déposée dans 19% des cas et 3 % des agresseurs sont condamnés. Les chiffres se réduisent dans les agressions incestueuses car une plainte est déposée dans 12% des cas et une condamnation a lieu dans1% des cas.

Ce n’est pas ce qui s’appelle une reconnaissance de cette violence ni une volonté d’y remédier. Or, les conséquences sont tragiques pour les victimes de ces drames et les traumatismes sont légions. Comment se reconstruire quand la société et sa justice ne reconnaissent pas votre parole, voire vous invisibilisent ?

Quelques mises au point nécessaire

Le sexisme est une idéologie mais aussi un fait sociologique reconnu et étudié. Il représente une forme de discrimination fondée sur l’appartenance à un genre. Or, selon le Haut Conseil à l’Égalité (HCE), 86% de femmes déclarent avoir déjà vécu une situation à caractère sexiste et bien peu d’hommes. A l’encontre des femmes, le sexisme est similaire au machisme.

Vous savez les petites blagues sur les stéréotypes de genre : la femme au volant, la capacité à faire plusieurs choses à la fois ou la place à la cuisine et auprès des enfants… Pour les plus gentilles. D’autres expressions sont plus brutales et relatives à des considérations insultantes : «  la mal-baisée », « la salope », « la pute »… et toutes les situations liées à une volonté de soumission physique, « ta gueule, tu vas en prendre une... ! ».

La phallocratie est un système social dominé par les hommes donc de type patriarcal.

Le patriarcat s’entend comme « un système social qui concentre l’autorité et la propriété familiale entre les mains de l’individu le plus âgé de sexe masculin ».

Dans la société française, la domination des hommes est historique, de la monarchie à la république en passant par les élans révolutionnaires. Les droits actuels sont issus du code civil napoléonien de 1804 faisant la part belle aux « pères de famille » qui assimilait les droits des femmes à ceux des fous, des mineurs et des délinquants.

Le viol est reconnu depuis 1810 dans le droit français. Le droit de vote des femmes date de 1946. Il faut attendre 1965 pour que les Françaises mariées puissent ouvrir un compte bancaire. Certes le code civil est constamment réaménagé par une lecture sociale reconnaissant l’égalité des genres, mais tout-e Français-e doit prendre conscience de cette lente évolution juridique.

Le masculinisme appelé aussi hominisme est une lecture patriarcale de la société car il est issu d’une négation de la reconnaissance de ce patriarcat comme marqueur social et historique.

La misogynie est un « sentiment de mépris ou d'hostilité à l'égard des femmes ».

Une société violente ?

La société française au-delà d’être sexiste et patriarcale est une société fondamentalement violente car économiquement inégalitaire et socialement injuste. Nous pouvons y associer un fond culturel raciste et homophobe. Elle est donc créatrice de frustrations diverses dont les réponses individuelles divergent entre tristesse, abattement, colère et révolte...

Un chose est sûre, la violence produit de la violence. Nous l’entendons tous les jours, or certains partis et personnalités politiques profitent de cette situation et l’attisent à des fins électorales en déplaçant les problèmes d’inégalité vers une haine de certains groupes sociaux qui deviennent des bouc-émissaires et des tremplins à leur célébrité.

Que les hommes prennent leur responsabilité et reconnaissent que quelque chose cloche dans cette société et qu’il s’agit d’y remédier. Et avec eux, toutes celles et ceux qui les éduquent !

Le rédacteur a conscience de faire partie du genre masculin, que son inscription dans la société y est liée, d’avoir été éduqué selon cette culture et de normes sociales orientées par un patriarcat historique, donc d’avoir donc des œillères et des angles morts, il sait qu’il faillit lui aussi à certaines dérives mais détient la volonté d’apprendre et de se corriger tous les jours…

Une note corrosive pour terminer cette lecture...

Au regard de la persistance de la domination masculine, du déni du patriarcat au travers du masculinisme et de la critique du féminisme de notre société française contemporaine, rappelons non sans fantaisie et excès les paroles de l’exubérante et mordante Valeria Solanas dans son manifeste SCUM de 1967  : « Le mâle est un accident biologique (…) l’homme est une femme manquée (…) être homme c’est avoir quelque chose en moins, c’est avoir une sensibilité limitée. La virilité est une déficience organique et les hommes sont des êtres affectivement infirmes (…) son intelligence ne lui sert qu’à satisfaire ses besoins et ses pulsions (…) il n’est qu’un mort-vivant, un tas insensible (…) il n’est qu’une bavure sans conséquence puisque seuls ont du charme ceux qui savent s’absorber dans les autres. »

Pour aller plus loin

* Si vous êtes témoin de violences contre des enfants :

Appeler le 119 : « Allô enfance en danger »

* Visitez le site d’information sur les violences sexuelles

- https://arretonslesviolences.gouv.fr/besoin-d-aide/violences-sexuelles

* Les viols de Mazan :

- Émission radiodiffusée de France culture avec Manon Garcia

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/manon-garcia-resister-aux-nouveau-males-2783445

- Manon Garcia : Vivre avec les hommes, Flammarion, 2025

*Les violence conjugales et les hommes

- Mathieu Palain : Nos pères, nos frères, nos amis, collection Proche, 2024

- Mathieu Palain : série radiodiffusée Des hommes violents en podcast sur France Culture

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-des-hommes-violents

*Les statistiques proviennent des sites:

- https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-2023

- https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdfhce-sexisme_polarisation_etat_des_lieux_sexisme-vf.pdf

- https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/

*Concernant l’arrêt de la CEDH du 23 janvier 2025 :

- https://www.echr.coe.int/fr/w/judgment-concerning-france-17

- Valerie Solanas, SCUM Manifesto (1967), Édition 1001 nuits- Fayard, 2021

SCUM : « Society for Cutting Up Men »

*Le vocabulaire :

- Wikipedia, l'encyclopédie libre que vous pouvez améliorer !

- Encyclopédie de la Philosophie, "La Pochothèque", Le livre de poche, 2002

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