Depuis sa fondation, Saint-Laurent du Maroni endure l’existence d’une ruée vers l’or. Un eldorado se profile à ses portes, les convoiteurs sont légions et leurs pratiques rogues. L’orpaillage détient une histoire particulière en Amérique, elle en est l’une des matrices. Métal si précieux que les esprits en perdent toute boussole empathique. La soif de richesse y a tarît tant de flots sanguins. Le peuplement de l’ouest guyanais est depuis le XIXe siècle lié à l’orpaillage. Il procure des terres précieuses, des cours d’eau riches et des bras pauvres.
En 1854, un Brésilien fait parler de lui en Guyane, Paoline vient de rendre public les résultats de ses prospections : l’or est là ! Nombre des premiers venus attirés par ce soleil métallique proviennent de régions dont les habitants obtiennent tout juste une liberté inconnue depuis des générations, notamment de la petite île des Caraïbes : Sainte-Lucie. Les Bushinengués y participent activement, nombreux sont les marins fluviaux qui guident les pirogues pleines de marchandises dans les tourbillons du Lawa ou les multiples criques. Les pionniers ont sauté de joie à la vue des pépites trouvées dans les ruisseaux. « Artisanale » dans ses débuts, elle est devenue, avec le nombre grandissant des prospecteurs, une vaste entreprise mafieuse. Les pépites se sont réduites, il leur a fallu s’enfoncer un peu plus dans les forêts, leur concurrence s’est accrue mais leur capacité technique également. Durant la flambée de pépites, l’orpaillage faisait des dégâts environnementaux surmontables bien que dévastateurs sur les écosystèmes.
A partir des années 1960, le jaillissement doré se fait plus rare. Certaines rivières et terres alentours regorgent toujours de métal mais il est devenu paillettes. Il reste des miettes alluvionnaires. Éparpillées ça et là. Il faut attendre les années 1980 et la généralisation de la pelleteuse mécanique pour constater une reprise de l’orpaillage. Et à une échelle inégalée pour un rapport inférieur. En 2021, la filière aurifère1 légale rapporte son pesant d’or, un peu plus d’une tonne d’or, 50 milliards d’euros. Autour de 550 emplois se répartissent sur une quarantaine d’exploitations qui n’utilisent aucun produits chimiques. Une entreprise2 plus importante utilise un procédé de cyanuration surveillé par l’État. Cette même année le projet dit de la Montagne d’or est abandonné par le gouvernement de l’époque.
L’État français n’a jamais eu les moyens de réglementer totalement cette économie sur son sol américain. Il représente un des principaux agents de l’orpaillage mais pas l’unique. Aux côtés de concessions légales et surveillées, de nombreuses autres lui échappent. Il ne peut préserver « son » or car il n’a pas la maîtrise de ces territoires. Les réglementations sont contournées et les sites clandestins se comptent par centaines. La loi ne tient pas face à la situation économique de nombreux habitants des pays voisins qui ne détiennent pas les avantages d’être français et appartiennent à un État peu précautionneux à leur égard. L’orpaillage illégal se redéveloppe dans les années 2000 à la faveur d’un cours de l’or qui progresse. Des milliers d’exploitations clandestines s’éparpillent dans les forêts guyanaises. Les poursuites engagées ont permis de les réduire à environ 200 en 2022. Ce serait tout de même prêt de 8000 chercheurs d’or qui collecteraient 10 tonnes d’or, soit 10 fois plus que les concessions légales.
Comme toute entreprise humaine clandestine, la branche productive se rationalise sur un mode violent. Les garimpeiros ont une espérance de vie réduite. Le travail est rude, les conditions de vie tout autant. Les produits chimiques sont utilisés sans grandes protection. Les sites comme leur découverte attisent la convoitise et la morale comme l’équité ne sont pas les enjeux principaux des relations humaines locales. Ni le respect environnemental des sites de prospection. Le manque de précautions de la méthode qui consiste à rassembler les paillettes avec du mercure entraîne avec l’extension du domaine de prospection un véritable drame écologique. La forêt littorale est rasée par endroit, son sol sableux labouré et farci de mercure et de cyanure. Les rejets sont évacués tels quels dans les cours d’eau dont les écosystèmes subissent de multiples destructions sur ses organismes vivants. Les estimations tournent autour de 15 tonnes de mercure qui s’écoulent chaque année dans les sols et cours d’eau guyanais.
L’orpaillage présent sur le sol surinamais est plus visible ; il permet d’approcher les conditions de prospection, à l’image de celles cachées derrière les monts Atachi. Le Surinam est la voie d’eau par laquelle s’engouffre le trafic illégal de l’or. Il est la façade légale mêlant une imbrication de réseaux commerciaux clandestins ou à demi. Reconnue par les pouvoirs publics, la filière aurifère n’est freiné d’aucune ou presque réglementation. Le mercure comme le cyanure se fait en vente libre. Il traverse tout aussi facilement le fleuve. Les orpailleurs rassemblent pour la plupart des pauvres bougres assez hardis pour supporter la rigueur équatoriale et la violence mafieuse. Les donneurs d’ordre sont bien souvent Brésiliens et les petits bras le plus souvent des surinamais d’origine bushinenguée. Ceux qui profitent de l’or sont les individus ou groupes qui sont à la source de la prospection. L’autre source de profit est réalisé par des réseaux commerciaux qui tournent autour des produits indispensables à la prospection : machines, outillages, essence, produits chimiques, alimentaires et les petits plus : alcool, drogue, prostitution.
Les réseaux mafieux de l’or, de la cocaïne et de la prostitution collaborent au mieux sur ces littoraux. Tout au long du fleuve, sur la berge surinamaise, surgissent des établissements faits de tôle rouge. Des pirogues vides stationnent. Centre d’achats, ils sont tenus par des Chinois qui sont secondés par un vigile local armé d’un fusil mitrailleur ou d’un fusil à pompe. Tous les biens de consommations courants s’y trouvent. Les alentours rassemblent une troupe d’orpailleurs au repos, en famille ou en groupe aux raisons plus floues. Les hamacs sont posés sous des carbets signe d’une installation durable. Certains de ces lieux se construisent davantage et des passerelles rejoignent plusieurs édifices métalliques proposant commerces de détail, bars, restaurants, coiffeur et lupanar. Toutes les transactions peuvent se faire en euro, dollar et bien sûr en or. L’or trouvé est donc distribué au fil de sa découverte afin de combler les besoins. Il finit dans les poches des exécutants et dans celles de Chinois qui sont en bout de piste et exfiltrent l’or légal comme illégal vers l’extrême-orient.
Les reproches et condamnations de cette économie sont divers. Ceux relevant directement des conditions de vie d’êtres humains qui subissent des situations d’une singulière violence physique comme psychique. Ceux relevant de commerces illégaux qui en tirent des bénéfices dans une absence de morale et de justice à l’égard d’une traite d’êtres humains, souvent jeunes, souvent femmes. Ceux relevant de la destruction directe d’espaces boisés et indirectement de nombreux organismes vivants qui sont malades de ces rejets polluants les sols et les eaux. Ceux relevant des conséquences de la diffusion de micro-organismes chargés de mercure qui remontent jusqu’aux humains qui les consomment. Les populations vivants le long des cours d’eau et du grand fleuve Maroni subissent cet empoisonnement. Empoisonnement qui continue sa route jusque sur les marchés de SLM et contamine sa population. Le poisson devient le vecteur de toute la chaîne d’intoxication du fait de la bioaccumulation. Certaines études déconseillent purement et simplement la consommation du poisson du fleuve. La présence de cultures liées au fleuve rend cette interdiction impossible. Les organismes concentrent les métaux lourds. De l’enfance à l’âge adulte. Des complications apparaissent parfois reconnues par les pouvoirs publics3. Elles touchent les individus directement par des lésions des centres nerveux et des troubles des organes allant jusqu’à des cancers. Elle provoquent sur la descendance une réduction des capacités neuronales et motrices tout comme de la fertilité. Au Centre Hospitalier de l’Ouest Guyanais, certains spécialistes constatent la multiplication des AVC chez les trentenaires. Le défi est donc de taille mais pâtit historiquement de la relation à l’or qui chez les humains capitalistes touche à l’irrationnel, provoque les pires sentiments et entraîne les actes les plus odieux.
1 in Développement d’une filière aurifère responsable en Guyane, Bernard Larrouturou, nov 2021, Rapport à la ministre de la transition écologique
2 La société Auplata.
3in Les effets des métaux lourds sur l'environnement et la santé, Gérard Miquel, Rapports d'office parlementaire n° 261 (2000-2001)