Même si l’adage veut que « l’avenir du sport est féminin », l’économie du sport au féminin et sa médiatisation qui en découle peinent encore à gagner leurs gallons. Des événements récents l’ont encore démontré.
Que dire des aficionados du tennis revendant leur place de la seule « Night Session » féminine de Roland-Garros, souhaitée par les organisateurs et organisatrices du tournoi, par manque d’intérêt du tennis féminin ? – si ce n’est que cela enverra un mauvais signal au diffuseur de ce type de match. Que dire de l’interview d’après-match de l’Ukrainienne Elina Svitolina, zappée du direct sur France Télévisions, pour laisser place à Nelson Monfort recueillant les impressions de son mari, Gaël Monfils (le journaliste prenant soin de lui demander des nouvelles de son poignet) ? Que penser des tribunes souvent bien vides lorsque les femmes se disputent un nouveau tour, même en fin de tableau ? Que penser, encore, de l’annulation récente du Tour de Belgique féminin, faute de signaleurs, lesquels assurent la sécurité des coureuses ?
À bientôt un mois de la Coupe du monde féminine de football qui se déroulera en Australie et en Nouvelle-Zélande, des accords ont enfin été trouvés en Europe pour retransmettre la compétition – la Fifa n’ayant pas souhaité brader l’événement, et les diffuseurs arguant du décalage horaire, de la période creuse estivale et de revenus publicitaires largement moindres. On n’y croyait plus. Y aurait-il eu autant de fausses excuses si c’était la foulée de MBappé sur la pelouse ? Et pourtant, selon la Fifa, la Coupe du monde féminine 2019 fut suivie par 1,12 milliard de téléspectateurs et téléspectatrices, rien que cela.
Lors de cette dernière Coupe du monde féminine de football, Mediapart posait déjà la question : le foot est-il encore macho ? Car de la visibilité des sportives dans les médias résulte également la place des femmes dans le monde du sport, à tous les niveaux de responsabilité (direction, décision, arbitrage, entraînement, sélection, présidence, etc.). Et le sujet des femmes et le sport, c’est un peu se retrouver face à l’argument du « ça n’intéressera pas grand monde », alors que l’on oublie d’interroger les principales intéressées, les femmes, et les petites et jeunes filles qui seront les championnes de demain. Mais sans doute ne faudrait-il pas donner trop envie à ces jeunes filles de se lancer dans cette activité qui les détournerait de leur « devoir maternel », même si Lina Svitolina a prouvé dernièrement que l’on peut enfanter, s’entraîner et revenir sur le court pour l’un des plus grands tournois du grand chelem de tennis. Mais cela, les médias l’oublieront vite, puisqu’ils aiment affubler les sportives de qualificatifs ayant trait à leur beauté, leur finesse, leurs charmes, leur gentillesse, mais rarement à leur opiniâtreté ou leur force physique et mentale… Et même si ces dernières qualités sont concédées du bout des lèvres, l’enthousiasme s’essouffle toujours bien trop vite.
Et pourtant, Mickaël Correia, dans sa série « La longue marche féministe du football », nous rappelait que très tôt les femmes s’approprièrent le football, notamment en Angleterre, durant la Grande Guerre – et qu’elles pouvaient même battre les hommes ! Il y a cent ans, la place des femmes dans le sport se jouait déjà dans les médias, quand les uns arguaient de la vulgarité du jeu féminin ou de la dangerosité de ce sport pour les organes reproducteurs, alors que d’autres, à l’instar de Jane Misme, assénaient que « le sport donnera[it] au féminisme des femmes robustes et décidées à conquérir leurs droits ». Et en 1928, l’illustre Pierre de Coubertin n’empêchait pas les femmes de faire du sport, tant qu’elles en fissent surtout sans spectateurs. Ainsi la Seconde Guerre mondiale eut-elle raison des désirs de libertés des femmes, les ramenant à leur condition de femmes-mères. Plus récemment, Mediapart recevait la sociologue Carole Gomez pour penser le football féminin à travers son histoire, et sur le sport au féminin en général, « chantier gigantesque et novateur ».
Quand les sportifs sont érigés en héros de leur vivant, tels des guerriers combattants face à l’ennemi, se donnant pour leur pays et la gloire de celui-ci, et de « son » peuple – quand bien même celui-ci est composé à 50 % de femmes –, il faut encore attendre des années, voire des décennies, pour que le nom d’une seule femme sportive et championne imprime l’inconscient collectif, et que le sport féminin soit pris au sérieux. Le chemin est encore long. L’imaginaire commun ne se remémore toujours que les plus grands champions. Tout cela relève du détail me direz-vous, mais ce sont aussi tous ces détails qui font l’histoire. Gageons que les médias et la direction de Roland-Garros sauront fêter à sa juste valeur les trente ans de la victoire de Mary Pierce, en 2030, à l’instar de la grande commémoration médiatique ce mois-ci de la victoire – néanmoins magnifique – de Yannick Noah à Roland-Garros en 1983.
On fête les droits de femmes, le sport féminin, par le biais de « journées internationales de », maigre – et pourtant indispensable – consolation pour exister. Et, en 2023, ce ne sont toujours que des portraits d’hommes que l’on peint sur les façades d’immeubles à la gloire des champions, au gré d’heures interminables que les médias accordent à leurs prouesses.
Enfin, rappelons que c’est une femme qui détient le plus de titres du grand chelem, l’Australienne Margaret Smith Court (24 titres), devant Serena Williams et Novak Djokovic (23 titres).