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Billet de blog 19 janvier 2017

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Ce que Trump ferait - mais ne fera pas - s’il était réellement «du côté du peuple»

Libre-échange, infrastructures, immigration : Trump a soulevé des questions légitimes, bien qu’éclipsées par un style outrancier. Bonnes questions mais mauvaises réponses, car ces dernières sont ancrées dans une représentation périmée du monde. S’arc-bouter sur ce qu’était le monde empêche de voir ce qu’il est devenu. Au mieux, ça ne résout pas les problèmes ; au pire, ça les aggrave.

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Illustration 1
Donald Trump prend ses fonctions ce 20 janvier 2017 © Ninian Reid, Flickr, Creative Commons

Pourquoi les pauvres votent à droite ?[1]

En janvier 2009, alors que Barack Obama n’était pas encore intronisé, Mitch McConnell, le leader des Républicains au Sénat, annonçait que son objectif principal était d’éviter un second mandat Obama. L’objectif n’a pas été atteint, mais l’anti-Obamisme a fortement contribué à éviter l’implosion du parti républicain sous ses divisions. Et pour déplorable qu’elle soit, l’attitude de McConnell est rationnelle dans un système politique où l’opposition n’est pas assez incitée à collaborer : d’une part cela augmenterait les chances de réélection du parti sortant aux présidentielles suivantes ; d’autre part les électeurs préfèrent les combattants aux négociateurs, comme l’illustre l’élection de Trump.

Mais combattre pour construire quoi ? Même s’il dominera le 20 janvier à midi la grande majorité des gouvernements locaux et les trois branches du gouvernement fédéral, le GOP est tellement divisé qu’il devrait avoir du mal à dépasser son plus petit dénominateur commun – l’anti-Obamisme. Cela devrait se traduire par l’abrogation partielle d’Obamacare, celle de Dodd-Frank et des règlementations environnementales, une baisse des impôts des plus riches[2], le rétablissement d’un équilibre conservateur à la Cour Suprême, l’augmentation des budgets de défense, l’abandon des nouveaux partenariats de libre-échange… Et après ? Il est souvent plus facile de détruire que de construire. Que fera donc le GOP après avoir détruit l’héritage Obama ?

Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce « destructivisme », que Donald Trump a martelé pendant sa campagne, est largement partagé par la base du parti républicain, notamment les Blancs sans diplôme du supérieur. Une envie de détruire la nouveauté, de refuser l’avenir, de revenir au monde qu’ils ont connu il y a 30 ans. Mais paradoxalement une même envie de « faire sauter » le système actuel. Là n’est pas le seul paradoxe, puisque les mesures énoncées plus haut vont à l’encontre des intérêts des électeurs les moins aisés et les plus vulnérables de Donald Trump. Un simple raisonnement par l’absurde, examinant les principales réformes qui augmenteraient véritablement le bien-être de ces électeurs, suffit à éclairer cette contradiction.

Comment améliorer le présent sans insulter l’avenir ?

Irresponsables, irréalistes et contre-productives, les propositions phares du candidat Trump seront au mieux mises en place sous des formes édulcorées. Parce qu’elles vont souvent à l’encontre de la doxa républicaine. Parce que leur mise en œuvre totale remettrait en cause la nature du système politique américain et que la République nous semble trop solide pour plier aussi vite. Parce que l’équipe Trump elle-même reconnaît que ce n’était qu’un « bon outil de campagne »[3]. Au-delà de ces leurres populistes, la prochaine administration a l’occasion de prouver l’authenticité de son attachement à la qualité de vie de ses électeurs les plus modestes. En cela, cinq sujets émergent, où un accord bipartisan semble possible : le libre-échange, la formation continue, l’impôt sur les sociétés, les infrastructures et l’immigration.    

Les États-Unis ne peuvent pas se retirer de la mondialisation qu’ils ont contribué à créer. La santé de leur économie dépend de celle de l’économie mondiale, et inversement. 96% de la population et 75% de la production économique mondiales se situent en dehors de leur territoire. Plusieurs millions d’emplois et la plupart des produits que les Américains utilisent dans leur vie quotidienne dépendent du commerce international. Mais les opinions publiques américaines ne recommenceront à croire au libre-échange que si elles se sentent accompagnées face à la concurrence internationale. Trump a promis de supprimer les règlementations environnementales et de rouvrir les centrales à charbon – une solution qui ne réconfortera la présente génération qu’à court terme, tout en condamnant les futures à des changements d’autant plus douloureux qu’ils auront été décalés. Au lieu d’enfoncer leur tête dans le sable, le président Trump et le prochain Congrès devraient investir de manière pérenne et sérieuse dans les énergies vertes, l’éducation et la formation continue de la main-d’œuvre américaine. Une solution effleurée par Barack Obama est la transformation des community colleges en centres de formation, avec le concours des industries locales. L’idée ? Les entreprises font part de leurs besoins, les community colleges fournissent la main d’œuvre compétente, et le gouvernement fédéral finance. Mais ces initiatives sont encore trop confidentielles et incrémentales. Pour avoir un réel impact, elles devraient prendre la forme d’un nouveau programme fédéral, appuyé par un financement de plusieurs centaines de milliards de dollars. A l’image du GI Bill, l’idéal serait que n’importe quel Américain perdant son emploi puisse demander dans la foulée 6 à 9 mois de formation dans son community college. Mais le financement n’est pas encore à la hauteur : l’état fédéral allemand alloue 0,5% de ses dépenses à des programmes de formation des chômeurs ; les États-Unis n’y consacrent que 0,1%. Cela revient à 109$ par Allemand et 20$ par Américain[4]

Outre l’augmentation des budgets, une façon de financer ces projets et de redonner confiance aux citoyens en la capacité d’action de leur gouvernement serait d’inciter les multinationales américaines à rapatrier les liquidités qu’elles abritent à l’étranger – plus de 2000 Mds$. Il faut dire qu’à 39,1 % l’impôt sur les sociétés est le plus élevé de la zone OCDE et a ainsi tendance à décourager l’investissement et à encourager l’évitement de l’impôt. Or, comme le dit l’OCDE, « dans le contexte actuel de contraintes budgétaires et de grave perte de confiance dans les institutions, il est important que ces entreprises paient leur juste part de l’impôt. Ce sont tous les autres contribuables qui supportent la charge fiscale dont les multinationales s’affranchissent, générant des distorsions dans d’autres secteurs[5] ». Diminuer raisonnablement l’IS tout en rapatriant les liquidités offshores – qui seront du même coup taxées – et en éliminant les multiples niches et exemptions fiscales réservées aux multinationales est un projet qui pourrait obtenir un soutien bipartisan, au Congrès comme dans la population. Avec l’administration Trump cependant, il est probable de voir le premier volet mais pas les deux autres, augmentant encore la dette et le déficit publics tout en alourdissant la charge fiscale pesant sur les autres contribuables, notamment la classe ouvrière blanche dont Trump se veut le défenseur. 

Une autre piste consisterait en des investissements massifs dans les infrastructures de transport, ce qui a l’avantage de cocher plusieurs cases : rénovation d’infrastructures particulièrement dépassées ; créations d’emplois ; utilisation à bon escient de taux d’intérêt historiquement bas ; augmentation de la productivité à long terme de l’économie américaine. Trump a proposé une enveloppe de 1000 Mds$ – un chiffre bien inférieur aux 3600 Mds$ d’ici 2020 préconisés par l’association américaine du génie civil[6]. Cette fois cependant, ce sont les Républicains du Congrès qui devraient être plus circonspects, puisqu’ils ont toujours refusé ces projets sous la présidence Obama. 

Enfin, un accord transpartisan sur l’immigration, serait lui aussi susceptible de tirer profit de l’ouverture internationale tout en réduisant ses effets indésirables. Il devra s’articuler autour des cinq points de contention que sont la législation sur les visas, la légalisation des clandestins, l’étanchéité des frontières, l’application des règles à l’intérieur des frontières, et la lutte contre la transgression de ces règles. L’une des premières étapes est de reconnaître qu’une forme d’amnistie est inévitable : pour avancer, les élus républicains doivent arrêter d’entretenir l’illusion que le gouvernement expulsera un jour plus de 11 millions de sans-papiers, dont la plupart ont d’ailleurs des enfants nés aux Etats-Unis. Il est possible cependant de faire mieux respecter les lois en vigueur pour lutter contre l’immigration clandestine, notamment en expulsant les immigrés condamnés par la justice et en sanctionnant les employeurs qui recrutent des sans-papiers. Échanger une forme d’amnistie pour les immigrés déjà présents contre des règles plus contraignantes et plus respectées pour les futurs immigrés ; étaler dans le temps les arrivées d’immigrés et de réfugiés pour ne pas donner l’impression d’être dépassé par les évènements – un tel accord pourrait trouver un soutien des deux côtés du Congrès. Car, en dernière analyse, il importe surtout de montrer aux Américains que l’Etat fédéral maîtrise la situation. Il est toutefois peu probable de voir l’administration Trump et le Congrès républicain organiser un chemin vers la citoyenneté – eux qui bénéficient tant de leur rhétorique anti-immigrés. Ce serait scier la branche sur laquelle ils sont assis. L’action devrait donc être uniquement sécuritaire, oubliant une partie de la réponse et ne réglant rien à long terme.

Bonnes questions, mauvaises réponses  

Qu’il s’agisse du libre-échange, des infrastructures ou de l’immigration, le candidat Trump a soulevé des questions légitimes, bien qu’éclipsées par un style outrancier. De fait, le revenu médian des Américains ayant arrêté leurs études après le lycée a diminué de près de 20 % en 15 ans ; de quoi penser que l’Amérique doit être « great again ». La part des personnes nées à l’étranger dans la population totale des Etats-Unis a quasi triplé entre 1970 (4,7%) et 2016 (env. 14%) ; de quoi penser que les frontières américaines sont trop ouvertes. Les infrastructures américaines sont trop vieilles, avec des réactions en chaîne négatives pour l’ensemble de l’économie (retards, engorgements, pollution, dangerosité…). Ajoutez le fait que le métier le plus répandu parmi les hommes américains est de conduire un bus, un camion ou une voiture, et vous prenez conscience de l’importance du dossier. Mais que deviendront les plus de 3 millions de chauffeurs routiers quand les véhicules autonomes auront débarqué ? Comment s’adapteront-ils ? D’où l’importance de l’éducation, de la formation professionnelle et de la dimension prospective de la politique. C’est là que pèchent Trump et ses avatars. S’ils posent de bonnes questions, ils apportent les mauvaises réponses. Parce que leurs réponses sont ancrées dans une représentation périmée du monde. Pourquoi être obnubilé par l’immigration mexicaine  quand les flots nets sont en réalité négatifs et que la population mexicaine aux États-Unis a diminué de 12,8 millions en 2007 à 11,7 en 2014 ? S’arc-bouter sur ce qu’était le monde empêche de voir ce qu’il est devenu. Au mieux, ça ne résout pas les problèmes ; au pire, ça les aggrave.

Par-delà le libre-échange, les infrastructures ou l’immigration, de nombreuses réformes sont nécessaires pour stimuler les perspectives de croissance à long terme, de l’amélioration de l’aide aux parents de jeunes enfants à un meilleur accès des personnes à faible revenus à un enseignement de qualité, en passant par la simplification d’un système fiscal tellement complexe que seuls les individus et entreprises assez fortunés pour s’offrir des conseillers fiscaux s’y retrouvent. Si l’administration Trump veut sérieusement prendre « le parti du peuple », c’est ce qu’elle devrait faire. Au vu des nominations actuelles, elle ne le fera pas. Et le plus intéressant est que son électorat ne lui en tiendra probablement pas rigueur.


[1] Voir Thomas Frank, Pourquoi les pauvres votent à droite, 2013

[2] Les 20% de foyers les plus pauvres obtiendraient une baisse équivalant à 0,8% de leur revenu net d’impôts, pendant que celle du top 0,1% atteindrait 14,2% du revenu net d’impôts. Source : Forbes et Tax Policy Center

[3] Newt Gingrich, cité dans Washington Post, Trump and advisers hedge on major pledges, including Obamacare and the wall, 11 novembre 2016

[4] En dollars et PPP courants. Source : OECD Social Expenditure Database, section Public Active labor market programmes – Training

[5] Études économiques de l’OCDE, États-Unis, juin 2014

[6]Washington Post, U.S. Infrastructure gets D+ in annual report, 19 mars 2013 et New York Times, What Trump, Clinton and Voters Agreed On: Better Infrastructure, 9 novembre 2016

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