Le soir de son allocution télévisée du 17 avril suite à la promulgation de la réforme des retraites, Emmanuel Macron ne se doutait pas qu'une nouvelle forme de mobilisation populaire s'installait dans le pays: la "casserolade".
Hier soir, 24 avril, plus de 450 rassemblements de ce type étaient organisés devant les mairies de France à l'appel de l'ONG ATTAC, de Solidaires, de La France Insoumise, d'Europe Ecologie Les Verts et du NPA.
Cette continuité du mouvement social pointe l'absence du sentiment d'échec chez les manifestant.e.s malgré la promulgation de la loi de finance rectificative portant l'allongement de l'âge de départ à la retraite à 64 ans.
Vers un mouvement global?
Si l'échec n'est pas admis, c'est notamment grâce aux modalités d'actions choisies par l'intersyndicale: la levée d'une grève généralisée aurait marqué un coup d'arrêt au mouvement. Le choix des journées d'action nationale régulières aura permis à nombre de travailleur.euse.s de ne pas être empêché.e.s financièrement de faire grève et aura facilité l'arrivée de nouveau.elle.s manifestant.e.s.
Mais, si ce choix des organisations syndicales permet d'occuper le temps long (le mouvement syndical contre la réforme des retraites est l'un des plus longs que la Ve République ait connu à ce jour), il ne permet pas de remporter dans l'immédiat le rapport de force avec le gouvernement qui joue le pourrissement et la lassitude à la faveur d'un autoritarisme écrasant.
D'ailleurs, lorsque des initiatives de grèves illimitées sont décidées par les travailleur.euse.s d'un secteur (pétro-chimie, ramassage des ordures) on oberve que l'absence de soutien suffisant de la part des centrales syndicales mène à l'essoufflement inévitable et à la répression immédiate au premier signe de faiblissement.
Par ailleurs, si l'échec n'est toujours pas admis, c'est aussi parceque l'objectif initial du retrait de la réforme a été dépassé. Le sujet des retraites, comme l'attitude du gouvernement et du Président ont transformé ce mouvement en un grand cri contre la société capitaliste et les institutions de la Ve République.
Les étudiant.e.s, travailleur.euse.s, chômeur.euse.s, retraité.e.s, exigent que l'on se saisisse des questions de conditions de travail et d'étude, de partage des richesses, de salaire, de coût de la vie, de logement, d'écologie, de démocratie...
Si ces slogans se font entendre dans la rue semaine après semaine depuis plus de trois mois, c'est que les discussions n'ont pas lieu ailleurs.
Les organisations syndicales, refusant, à raison, le dialogue indonditionnel avec l'exécutif n'ont pas été en mesure d'organiser d'Assemblées Générales sur les lieux de travail qui auraient permis à l'ensemble des travailleur.euse.s d'organiser efficacement leur lutte. Elles n'ont pas permis de se saisir collectivement des questions qu'iels soulèvent pourtant toujours dans les cortèges, les rassemblements.
Pire encore, la responsabilité première revient au pouvoir exécutif. Non comptant de dénier le droit à la protestation démocratique, il a organisé la représsion féroce du mouvement. Violences polières, violences judiciaires et institutionnelles ont été leur seule réponse.
La nuit du 20 mars aura été l'étape qui marquait la stratégie du gouvernement avec l'arrestation de dizaines de jeunes militant.e.s pacifiques parqué.e.s dans des bus de police dans l'attente de leur voir signifier leur garde à vue kafkaïenne. L'horreur de la repression quant à elle aura été atteinte lors de la manifestation anti-bassine de Sainte-Soline le 25 mars durant laquelle des dizaines de blessé.e.s seront recensé.e.s, l'utilisation d'armes de guerre à l'encontre des manifestant.e.s constatée.
L'usage disproportionné de la force par des unités de police et de gendarmerie à l'encontre des manifestant.e.s sur l'ensemble du territoire par le ministre Darmanin et les consignes de judiciarisation systématique des interpelés par Dupont-Moretti sont les deux faces de la répression du mouvement social. Cette repression a été rendue possible en droit par l'introduction dans la legislation ordinaire de dispositions d'exception réservées initialement à la lutte contre le terrorisme.
Un an après la réélection d'Emmanuel Macron à la Présidence de la République, cette situation confirme que ce moment privilégié qu'est l'élection présidentielle dans notre pays n'aura tranché aucune question politique.
Le mépris d'Emmanuel Macron pour le mouvement social et les aspiration populaires rapelle violemment sa conception de la démocratie.
La République bonapartiste: la permanence plébiscitaire
Répétant à l'envie que sa légitimité repose sur sa réélection, Emmanuel Macron se pose en monarque républicain dont les décisions seraient indépassables en vertue des élections de 2022. Il dénie par là même le droit à contester, protester, s'opposer à sa politique en pensant avoir gagné le jeu de la concurence des légitimités.
"La foule fait du bruit? Moi je suis élu par les français. Les députés s'opposent? Ils ne sont pas majoritaires, je suis la majorité exprimée."
Emmanuel Macron n'est pas Empereur des Français. Le 24 avril 2022 n'est pas non plus le 2 août 1802. Une élection présidentielle du XXIe siècle n'est pas un plébiscite du XIXe.
La démocratie française se décline au-delà des seules élections afin que l'expression populaire devienne, en-soi, une institution, au sens où le peuple citoyen s'institue, se proclame légitimement acteur collectif du processus politique qui préside à l'organisation de la société.
Le mandat impératif n'existe pas en France. A fortiori lorsqu'un Président est élu, le reconnait-il lui-même, non pas pour son programme, mais contre la candidate d'extrême doite.
La Consitution française de 1958 à ceci de formidablement pervers qu'elle laisse à la volonté du seul Président d'activer les lévier de la démocratie. Lui seul décide ou non de la promulgation d'une loi, de l'activation de l'article 49-3, de la dissolution de l'Assemblée Nationale... Il nomme le.la premier.e ministre et les membres du gouvernement responsables devant le Parlement sans que jamais iels ne soient contraint.e.s de se soumettre au vote des représentants du peuple.
Là réside la violence institutionnelle. Là se dessine le confort d'un régime bonapartiste.
Ajouté à cela le système du capitalisme néo-libéral, les intérêts de classe sont protégés par la propriété des moyens de production et par une Constitution scélérate qui permet la levée de boucliers et de matraques en bon ordre lorsque le système se sent menacé.
Dans son allocution du 17 avril, Emmanuel Macron a d'ailleurs clairement définit sa "feuille de route" pour les prochains mois "Travail [Exploitation], Ordre [répression], Progrès [Profit]".
C'est donc une vision politique de la société, capitaliste, qui est de nouveau explicitée ici en toute transparence.
De la politique, partout, pour toustes, par toustes
Au-delà du mouvement social organisé et animé par l'intersyndicale, c'est désormais aux formations politiques de se saisir pleinement des revendications mises en lumière par la mobilisation populaire. Elles devront assumer ce rôle dans le débat public, auprès de nos concitoyen.ne.s.
Les militant.e.s de la France Insoumise sont dores et déjà engagé.e.s dans cette démarche, elle devra être intensifiée et élargie.
Donner corps à la démocratie dans l'espace public. Rendre au peuple sa capacité d'intervention dans la politique. Voilà l'objectif à atteindre.
La "massification" du militantisme politique est nécessaire, mais ne pourra être efficiente qu'à la condition d'un véritable de travail d'organisation des mouvements et partis politiques: la formation, la bataille culturelle, la cohésion entre le projet et les pratiques. Travailler le fond, la forme. Trouver les échos populaires, associatif, militants, artistiques, scientifiques, qui valident la pertinence d'un projet global de tranformation de la société, de changement radical de système.
Ce mouvement né du rejet de la réforme des retraites évolue. Il porte en lui les bases de la révolution citoyenne. Il en poursuit le cheminement. Se grouper, marcher et user, toujours, des moyens légitimes que la démocratie nous confère: ceux que nous nous choisirons collectivement.
Alexandre Bertin-Lemaire
Militant de La France Insoumise