Alexandre Delfly

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 11 mars 2017

Alexandre Delfly

Abonné·e de Mediapart

Vidons les urnes du vote utile

Claude Bartolone, comme d'autres ténors du Parti socialiste, se couvre aujourd'hui derrière le vote utile pour défendre la candidature à la présidentielle d'Emmanuel Macron. Bien au-delà de ce soutien, c'est cette tentative consternante d'orienter le vote qui affaiblit sa force symbolique, et qui parasite une campagne déjà mal amenée.

Alexandre Delfly

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Vous allez l'entendre de plus en plus au grand dam de la démocratie: votez utile, mais surtout ne votez pas selon vos convictions, votez contre quelqu'un, et surtout votez pour celui qui devrait l'emporter. A quoi sert le vote s'il n'exprime plus la voix des citoyens ?

Claude Bartolone, dans une interview datée du 7 mars pour Paris Match, nous explique qu'il votera dès le premier tour pour Emmanuel Macron s'il considère que la démocratie est en danger. Sous la forme d'un cache-misère, celui-ci défend un vote de protection plutôt qu'un vote d'adhésion.

Je rappelle qu'aujourd'hui, et jusqu'à juin prochain, Monsieur Claude Bartolone occupe une place importante au sein de l'Assemblée nationale, il en est le président. Il occupe depuis cinq ans une place privilégiée pour le respect de la démocratie. C'est à lui que revient la tâche de faire circuler l'expression populaire réunie aux travers des différents députés entourant cet hémicycle. C'est à lui que revient cette tâche lourdement symbolique.

Ainsi, si la démocratie est en danger, M. Bartolone en est l'un des principaux acteurs.

Il est difficile d'entendre de tels propos de la part d'un homme d'Etat ayant défendu ouvertement la tenue d'une primaire par une participation plurielle des courants de la gauche (quitte à vouloir opposer de façon grotesque un président et son premier ministre). Il est difficile d'entendre cela, surtout de la part d'un homme qui a soutenu l'un des candidats à cette primaire, certes non élu, mais n'est-ce pas le jeu démocratique d'une élection ? 

Car la grande idée derrière la mise en place d'une primaire était d'insuffler plus de démocratie, offrant de surcroît plus de légitimité au candidat de la gauche. On voit actuellement que la démocratie tant voulue a bien fait son chemin...

Le naïf que je suis a pourtant cru à cette primaire. J'ai pris mon ticket de bus pour rejoindre le bureau de vote à l'autre extrémité de ma ville. J'ai versé deux euros accolé à mon bulletin, les cumulant ainsi avec les dons de nombreux électeurs (on parle de 8 millions d'euros collectés). Et surtout, alors même que je ne me sens pas personnellement affilié à un mouvement politique, j'ai signé une charte m'engageant aveuglément et moralement derrière le candidat d'un parti sans même connaître l'issue de ce scrutin. Où est passée cette charte ? Quelle était l'idée derrière l'organisation d'une primaire ? 

Monsieur Bartolone, par ses propos, n'ayant pas le sentiment d'être le seul concerné, m'a profondément déçu, et laisse ce goût amer d'un réel enfumage. 

Sous couvert du vote utile, M. Bartolone dénigre ses engagements, et dénigre avant tout la démocratie. M. Bartolone incite par ses propos à privilégier le vote utile en dénigrant le vote des convictions. Il pourra certainement prétendre que ses propos n'engagent que lui, surtout lorsqu'ils sont prononcés dans un hebdomadaire à forte affluence. Il insuffle ce doute chez des électeurs de Benoît Hamon et du PS qui voudront certainement voter pour Emmanuel Macron contrairement à ce que dictent leurs convictions.

M. Bartolone a le devoir dans ses prises de positions d'être derrière Benoît Hamon car il a accepté les règles du jeu avant même qu'il soit élu par les primaires. Et s'il ne se retrouve pas dans les idées du candidat élu de son parti, parti dont il est membre, dont il représente les couleurs à l'Assemblée nationale, sans lequel il n'aurait jamais pu y sièger, alors il a le devoir de rester sous silence. En tant qu'élu, M. Bartolone a surtout le devoir de ne pas promouvoir le vote utile, une position anti-démocratique, tout autant que les manoeuvres que dénonce M. Bartolone dans cette même interview sur ses adversaires politiques, M. Fillon et Mme Le Pen, qui remettent cause pour lui sa chère démocratie. 

A noter qu'ironiquement M. Bartolone avait rendu le 15 avril 2015 un rapport auprès du Président de la République portant le doux nom de "l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine". Ce rapport comporte un Thème, le Thème 4: "promouvoir la citoyenneté". Et dans ce thème, une proposition, la proposition 4b "Conforter la démocratie et la place du vote dans le fonctionnement de nos institutions politiques". Je retiens dans cette proposition la mise en place d'incitation non partisane au vote, et je retiens également l'instauration du vote obligatoire. J'avais cru par ce rapport, que l'envie était d'inciter le peuple à aller voter. Qu'il ne constituait pas une incitation à voter pour contrer un candidat, mais à voter pour que les citoyens rentrent dans le jeu politique, pour que le vote réaffirme sa force, et que le pouvoir soit rendu au peuple dans notre système politique. Je suis bien heureux que le vote obligatoire n'ait pas été retenu parmi ses propositions, parce que si l'on suit bien le raisonnement de M. Bartolone nous irions voter contre nos convictions sous peine d'une amende. 

Je suis malheureusement obligé de vous le dire M. Bartolone, si demain M. Fillon ou Mme Le Pen venait à être élu, ce serait le choix du peuple. Outre atlantique, Donald Trump a été élu démocratiquement, même si la forme actuelle du scrutin nord-américain est contestée aujourd'hui (un scrutin indirect). Ce système de vote avait pourtant bénéficié aux candidats des précédentes élections américaines. Mais si demain M. Fillon ou Mme Le Pen venait à être réellement élu, et que l'un ou l'autre mettait en berne la démocratie comme vous le prévoyez, alors le peuple se soulèvera comme il le fait actuellement aux Etats-Unis avec Donald Trump. Et comme vous le savez la démocratie participative ne se fait pas uniquement par le vote, même s'il en est le noyau.

Nous n'avons pas passé le premier tour de cette élection présidentielle, qu'il faudrait dès à présent penser au vote utile. Alors, plus que des idées, je défendrai le vote comme il doit être défendu. Je défendrai celui des convictions. Je dirai à ceux qui votent Emmanuel Macron de le faire car c'est le candidat de leurs idées. Et j'irai dire aux autres qui hésitent à voter Benoît Hamon parce que M. Claude Bartolone et d'autres ténors du Parti socialiste, qui avaient pourtant accepté les règles de la primaire, en tentant d'instruire l'idée du vote utile aujourd'hui, d'aller voter pour Hamon si c'est le candidat qui leur ressemble. Et par dessus tout, j'irai dire: votez pour vous.

Ce sont ces mots que j'aurais aimé que l'homme derrière le rapport du 15 avril 2015 sur "l'engagement citoyen et l'appartenance républicaine" prononce dans Paris Match le 7 mars 2017.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.