« Pourquoi les hommes sont des animaux ? ». Telle est la question qu’un petit bonhomme de 5 ans posa à son père un matin de printemps, sur le chemin l’école. Etrange question, mais qui ravit le-dit père qui, tel un coq, se redressa, gonfla sa poitrine d’aise et d’orgueil, tant il est vrai que dans l’espèce humaine, les géniteurs sont portés à tirer gloire, et parfois même profit, de la moindre manifestation de compétence ou d’intelligence de leur progéniture. Car enfin, cette question n’était-elle pas le signe irréfutable que toute superstition épargnerait cet enfant, que la moindre pensée créationniste, masquée sous de spécieuses théories dites du « dessein intelligent » lui était étrangère, que les découvertes de Charles Darwin étaient bien vivantes et parfaitement à leur aise dans cette petite tête de 5 ans ?
Ce moment de fierté passé, l’homme se retrouva face à lui-même. Pourquoi l’homme est-il un animal ? Pourquoi n’est-il pas un minéral ou une plante ? Ou tout à fait autre chose, d’ailleurs, un Homme, une espèce qui ne serait ni contingente, ni immanente, ni aléatoire… La question était donc bien plus perfide qu’il n’y paraissait. Décidemment, les enfants sont bien cruels avec leurs parents. Mais la question restait posée, pleine et entière, dévoilant l’abîme immense, celle qui taraude les hommes depuis la nuit des temps et baguenaude même, les soirs de pleine lune, dans la conscience du plus rationaliste, du plus matérialiste, du plus positiviste d’entre-nous : l’essence de l’homme.
L’homme ne peut être un minéral car alors il ne connaîtrait pas la vie, l’élan vital, la force qui le meut. Il aurait une masse, certes, une densité réelle qui fait parfois tant défaut à nos contemporains, mais aucune capacité à la transgression, à l’amélioration, à l’éducation. Et aucune capacité à donner la vie. Sans vie, pas d’homme…
L’homme ne peut être un végétal, car alors, il perdrait la nécessité de l’autre, de son contact, de son étreinte. Il n’est d’homme qu’au pluriel, en société. L’homme ne se construit que relationnellement, par les interdépendances qu’il tisse et qui le tissent. Pour une plante, nul besoin d’être deux pour satisfaire à l’élan vital qui nous pousse à prolonger la vie au-delà de nous-mêmes. Elles ont besoin du minéral, pour s’ancrer, du soleil et de l’eau, mais elles peuvent avancer seules dans un monde parfois hostile, et réussir à s’y implanter.
Pourquoi l’homme est-il un animal ? Parce qu’il a besoin des autres pour vivre, parce qu’il a besoin que les autres vivent pour pouvoir exister lui-même, parce que sans cette vertu sympathique qui nous lie aux autres, sans cette construction sociale qui nous en rend dépendant, il ne peut y avoir de fraternité. Et on ne peut devenir un homme sans fraternité. Comme tous les animaux, l’homme à besoin du monde minéral, il a besoin du monde végétal, il a besoin du règne animal, il doit sa vie à son intégration dans ce milieu, aux dépendances réciproques qu’il noue avec la nature.
L’homme en était à ses réflexions lorsqu’il passa devant une haie d’if et de cyprès. La seule réponse qu’il trouva alors fut la suivante : « l’Homme est un animal car il a besoin de la terre pour marcher, des plantes pour se nourrir, et des autres pour vivre. Si tu sais être riche comme la première, forte comme les secondes et comprendre à quel point les troisièmes forment ton univers, tu seras un bien bel animal, mon fils ».