Fromage ou dessert ? Qui n’a jamais été confronté à ce choix que l’on dit cornélien, même s’il est peu probable que Chimène ou Horace ai jamais été obligé par l’auteur du Cid de choisir entre roquefort ou tarte tatin ! Choix difficile qui oblige donc à renoncer à l’un pour opter pour l’autre, comme un déchirement. Et lorsque vous avez enfin succombé à votre addiction au sucre, programmée depuis votre plus jeune âge par l’industrie agro-alimentaire et les laboratoires pharmaceutiques spécialisés dans le traitement du diabète de type 2, un autre déchirement s’offre à vous : que choisir entre la crème catalane, le fondant au chocolat ou le feuilleté aux pommes ? Heureusement, les restaurateurs, soucieux de notre bien-être comme de leurs chiffres d’affaires, ont mis au point cette invention merveilleuse qu’est le café gourmand ! Celui-ci se décline d’ailleurs parfois en thé ou tisane gourmande, peu importe pourvu qu’il y ai une eau chaude plus ou moins aromatisée, prétexte à savourer une multiplicité de dessert, et donc à ne pas renoncer à l’un pour l’autre.
Fort de cette violente entrave au principe mathématique du « tiers exclu », nous pourrions aller plus loin et inventer une manière de café gourmand électoral. Pourquoi choisir entre tel ou tel parti, tel ou tel candidat alors que nous prendrions bien un peu de l’un et de l’autre ? Les choix binaires incitent à la radicalisation, comme si nous devions détester les îles flottantes pour justifier notre inclinaison du jour vers le gâteau ardéchois ! Changeons les codes et plutôt que de voter A à l’exclusion de B ou C, classons nos candidats par ordre de préférence en les notant 1, 2, 3, 4... Celui qui obtiendra le plus petit score cumulé sera élu, parce qu’il plaira au plus grand nombre comme 1er, 2ème ou 3ème choix. Les résultats en seraient bouleversés, et l’attitude même des candidats modifiés : on chercherait moins à cliver, plus à rassembler. On chercherait moins l’affrontement, et plus de consensus. Ce principe du « tiers inclus » est d’autant plus utile pour choisir entre les idées, les opinions à l’intérieur même d’un parti : au prochain congrès du PS, pourquoi ne pas classer les motions par ordre de préférence, plutôt que de choisir celle-ci ou celle-là ? Certains vont même plus loin en développant des mouvements qui se veulent « transparti », refusant de choisir tel ou tel véhicule, au sens bouddhiste du terme, pour porter leurs idées. Ceux-ci font d’ailleurs preuve d’une souplesse que seul permet d’atteindre une pratique assidue du yoga ou de la gymnastique, suédoise ou non.
En sortant de la binairisation des choix, nous y gagnerions en démocratie, comme le café gourmand permet de multiplier les sensations gustatives en évitant l’écœurement d’une portion trop importante au goût unique, voire univoque ou même uniforme…