Il est des objets culturels qui constituent de véritables icônes nationales, incarnation de l’essence d’un peuple, de ses valeurs, point de ralliement des citoyens qui se reconnaissent, à travers eux, comme appartenant à un groupe social, à une même unité. Ainsi en est-il, pour la France, de la baguette et du jambon-beurre, du vin rouge et de la blanquette (de dinde ou de veau, selon vos moyens), de Molière et de Victor Hugo, de Monet et de Claude François. De même, l’Angleterre a Shakespeare, la reine, les Beatles et les fish & chips, l’Italie Dante, Vivaldi, Luciano Pavarotti, le risotto et le Chianti… Mais la France a quelque chose en plus : les Droits de l’Homme ! Nous sommes les inventeurs des Droits de l’Homme ! A peine tolérons-nous d’en partager la paternité avec les Etats-Unis d’Amérique, parce que comme le disait le philosophe français cher à la famille Bélier : «Si les Ricains n’étaient pas là, nous serions tous en Germanie ». Et puis il y eût Lafayette, que diable ! Mais pas question de se souvenir de l’Habeas Corpus de la perfide Albion, précédant pourtant d’un siècle notre propre déclaration des Droits de l’Homme !
Alors que dire du Serment des Chasseurs ou Charte de Mandé, datant du XIIIème siècle et provenant d’Afrique de l’Ouest, sous le règne de Soundiata Keita ? Non seulement il est délicat de partager une paternité à plus de deux, mais une paternité nous précédant de cinq siècles, même à l’heure des embryons congelés, c’est beaucoup ! Pourtant, ce serment proclame l’égalité de la vie de chacun, « une vie [n’étant] pas supérieure à une autre vie », que tout tort demande réparation, qu’il « n’y a pas pire calamité que » la faim ou l’esclavage, que « la faim ne tuera plus personne » et que « chacun dispose de sa personne, chacun est libre de ses actes, chacun dispose des fruits que de son travail »… L’esclavage, la faim, le travail ? Quelle curieuse idée ! Pourquoi pas un droit à la sécurité sociale, à la liberté de se marier, à des salaires égaux, à l’accès aux arts et à la culture ? Encore un peu et ce serait la déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 !
Ah, ces étrangers, il leur en faut toujours plus ! Mais nous voilà rassuré : leur Charte de Mandé n’a finalement que peu à voir avec notre proclamation de 1789 dont nous pouvons garder l’entière paternité ! Il est déjà bien suffisant que nos académiciens écrivent des éloges du Mali... L’universel, c’est bien, mais quand il est français, que diable ! Il y a déjà tellement d’étrangers dans le monde. Une véritable déclaration des droits antérieure à la nôtre ? Ce serait comme d’apprendre que Claude François, Léo Ferré, ou pire, Jacques Brel, n’étaient peut-être, eux non plus, pas totalement Français !