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Billet de blog 22 janvier 2015

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Chimères

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La fiction permet parfois de mieux faire passer des idées que bien des discours, aussi pédagogiques soient-ils. Les grecs l’avaient bien compris, qui utilisaient la mythologie pour expliquer tant la nature que la société. Sans existence réelle, leurs héros en disaient pourtant bien plus sur la vie que nous ne nous l’imaginons. Leurs chimères -ces êtres composés de différents animaux- étaient autant illusoires que réelles, par les effets qu’elles engendraient dans la réalité. 2500 ans plus tard, nous en sommes toujours là : nous écrivons des histoires et des mythes, nous construisons des héros modernes qui disent le monde, non tel qu’il est, mais tel que nous voudrions le faire voir. Dans ce domaine, comme l’avait déjà noté Roland Barthes avec le catch et le tour de France, le sport occupe une place particulière. Il symbolise un espace de liberté où le meilleur gagne, toujours, et où chacun progresse par la compétition. Exaltation du libéralisme dans sa forme la plus épurée, seul à même d'attirer les meilleurs. Il n’est qu’à voir l’émoi suscité par l’annonce d’une taxe à 75% sur les très très hauts revenus, touchant nos sportifs de haut niveau, ou l’annonce d’un « fair play » financier dans le football européen. On dénonce, on invective, on en appelle à la liberté. On pointe du doigt le déclin européen et on se réfère à l’exemple américain. On rappelle que  même dans certains villages au cœur du Limousin, on commence d’ailleurs à préférer les Spurs ou les Lakers au mythique Cercle Saint-Pierre ! Le basket-ball, la NBA, voilà un modèle à suivre, sans ces entraves, ces grèves, ces impositions qui rendent la vie impossible. Si seulement toute notre économie fonctionnait de cette manière ! Alors soit, importons donc ce modèle, si pertinent, si efficace, si efficient, et traduisons l’américan dream en français. Au travail ! On commencerait donc par protéger les perdants et défavoriser les gagnants. Oui, oui, vous avez bien compris. Au pays du libéralisme triomphant, Il n’y a pas de descente en division inférieure et les clubs les moins bien classés sont privilégiés pour recruter les meilleurs joueurs l’année suivante, par un astucieux système de recrutement annuel défini en commun. Un peu comme si les entreprises les moins performantes pouvaient recruter en priorité les meilleurs élèves des écoles de commerce ou les meilleurs universitaires. Curieux système libéral qui a permis à Michael Jordan de rejoindre une équipe des Chicago bulls mal classée et lui faire gagner 6 titres de champion…

Ensuite, on encadrerait les salaires. Exactement ! Avec un salaire minimum et un salaire maximum, et des règles fixant des bonus selon l’ancienneté. Puis on respecterait la durée des contrats, c'est-à-dire que lorsque le patron d’une équipe veut se séparer d’un joueur, il doit lui payer en indemnité la totalité du salaire qu’il aurait touché jusqu’à la fin de son contrat. Tiens, je vois déjà les donneurs de leçons ultralibérales blêmir… Le tout dans une masse salariale globale à ne pas dépasser, sous peine d’une luxury tax : 1 dollar payé par dollar dépassant le salary cap. Donc, fini les écarts de salaires de 1 à 1000 dans une entreprises, et bienvenue à la taxe à 100% en cas de dépassement ! L’annonce présidentielle du Bourget débordée par la gauche…

Enfin, tout cela est défini par le Collective Bargaining Agreement, un accord entre le syndicat des joueurs et la ligue, renégocié régulièrement. Et en cas de problème de négociation, les joueurs n’hésitent pas à faire grève, les patrons non plus d’ailleurs. En 1998-1999, le lockout a duré 200 jours et entrainé l’annulation de 494 matchs, tout cela pour régler la question de la répartition des revenus générés par la NBA. Vous imaginez ça, des accords de branches qui définissent la répartition des profits entre actionnaires et salariés ? La NBA, un bel exemple de mythologie libérale, qui permet de mesurer l’écart entre la réalité et l'apologue, entre le réel et la chimère que tentent de nous vendre certains économistes. Ceux-là n’y connaissent d’ailleurs rien, en basket : comment jouerait-on convenablement au basket avec une tête de lion, un ventre de chèvre et une queue de serpent ?

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