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Billet de blog 25 février 2015

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Glenn ou Barbara

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les noms et les prénoms sont parfois lourds de signification, en ce qu’ils sont porteurs d’un univers, d’un espace sémiotique qui leur est propre. Les marchands le savent bien, qui appellent une poupée « Ken » ou « Barbie » ou qui renomment tel ou tel « artiste » pour mieux le vendre, pour mieux toucher une cible ou une autre. Parallèlement, le succès des sites en ligne qui nous donnent le sens et les caractères associés aux différents prénoms montre l’importance que prend la dénomination dans notre société. On ne peut plus dire que le petit a juste le prénom de son grand-père ou de son parrain, et que la dernière s’appelle Léonie à cause de Tante Léonie, justement… Non, aujourd’hui les prénoms prennent du sens, et c’est heureux, car un rien peut faire basculer une vie, que dis-je, bien plus qu’une vie, une conception de la vie et de la société.

Prenez, au hasard, un même nom de famille, disons Gould. Et bien, imaginez que vous ayez une fille et que vous l’appeliez Barbara. Oui, Barbara Gould. Par l’effet de son prénom, elle deviendra rapidement l’incarnation moderne de la femme qui prend soin de son apparence tout en restant naturelle, à la fois épouse, mère, travailleuse, indépendante, symbole de la réussite sociale et personnelle. Et derrière le maquillage, l’hyperconsommation, l’acte d’achat répondant non pas à un besoin mais à une impulsion. De la consommation psychologique, pathologique, comme une réponse à la nécessité de se conformer à l’apparence socialement reconnue comme étant celle d’une femme équilibrée, épanouie, bref heureuse. Et importe le flacon, puisque c’est lui qui procure l’ivresse !

Imaginez maintenant que vous ayez un garçon et que vous optiez pour Glenn. Glenn Gould. On risque vite de le prendre pour un original, un être baroque, certains même irait jusqu’à le qualifier d’autiste, comme le pianiste canadien : excentrique, monomaniaque, perfectionniste. L’inverse même de Barbara : toujours les mêmes vêtements, gants et couvre-chef, emportant partout sa chaise pliante fétiche, aux pieds sciés, déjeunant d’un même repas chaque jour et refusant tout les concerts à seulement 32 ans pour se consacrer à l’enregistrement presque unique d’un seul compositeur, Bach. 1 même nom mais 2 prénoms pour incarner deux définitions de la beauté, de l’accomplissement individuel et de l’apport au monde. D’un côté, le plein : de produits, d’images, de mots, d’étiquettes, un plein cachant le vide. Et de l’autre, le vide : vide de look, vide de foule, vide comme le silence qui s’impose entre chaque note. Un vide qui laisse toute sa place au sens, à l’intelligence individuelle et à la beauté.

 Alors, Glenn ou Barbara ? Aujourd’hui, notre société est désormais comme un parent qui doit choisir le nom de son prochain enfant. Avouons-le, nous en avons déjà plusieurs et les avons tous appelé Barbara, tous brillants acteurs d’une société de concurrence et de consommation, d’une société d’incertitude identitaire et de violence collective ou individuelle, physique ou symbolique. D’ailleurs, Barbare, n’est-ce pas le masculin de Barbara ?

 A défaut de tous les débaptiser, nous pourrions au moins appeler le prochain Glenn, pour changer…

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