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Billet de blog 13 avril 2022

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La gauche au deuxième tour, le vote de survie(s)

La gauche sort une nouvelle fois sonnée du premier tour de l'élection presidentielle. Un moment de flottement en résulte durant lequel les deux finalistes tentent de nombreuses avances à un électorat vu comme faiseur de rois. Un piège semble plus dangereux que tout autre. Celui que tend l'extrême droite que Mr Mélenchon a recommandé quatre fois à ses électeurs d'éviter dimanche soir.

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Tout les cinq ans, les deux tiers des français sont laissés à leur frustration au soir du premier tour de l'élection présidentielle. Je suis une nouvelle fois de ceux là, ayant le malheur d'être de gauche au début du XXIème siècle. Une satisfaction tout de même, je suis loin de me sentir seul. Mon camp aura fait son meilleur score depuis que je suis né. Nous sommes sept millions sept cents mille et nous "ferons mieux". Si nous continuons à faire les bons choix.

Oui, nous sommes nombreux à avoir cru en la candidature de Jean-Luc Mélenchon, et cela conduit à une grande diversité de réactions face à cette défaite aux arrières goûts de victoire, et aussi à de nombreuses réponses différentes sur ce que nous devrions faire maintenant au moment où s'ouvre la consultation sur la plateforme numérique de l'Union Populaire en vue du second tour. Car ce mode électoral absurde, non content de nous frustrer, nous demande en plus de choisir entre ceux qui nous font horreur, ceux que nous condamnons, ceux qui nous blessent dans notre chair et dans notre cœur.

Nous hésitons, nous les électeurs de gauche. Il est difficile de se rendre à l'appel du barrage républicain après cinq ans de violences policières, de contrôle social des pauvres, de monarchie présidentielle absolue, de ministres accusés de viol trouvant Mme Le Pen trop "molle", de lois cachant mal leur esprit islamophobe sous couvert de lutte contre le "séparatisme". Le Front National était-il au pouvoir ces cinq dernières années? Non. Mais sa politique a été banalisée par le gouvernement en place. Le premier responsable de la présence de l'extrême droite au second tour de cette élection, c'est Emmanuel Macron. Il lui a pavé la voie en reprenant ses thèmes, et il a créé des outils répressifs qu'elle même ne renierait pas.

Alors, quelles sont les bonnes raisons de voter contre l'extrême-droite avec un choix pareil? Je propose de faire une analyse du programme et du contexte. Je sais bien que les appels à la morale ne serviront à rien, je m'adresserai donc à vos cerveaux.

Nous allons immédiatement évacuer la prétendue fibre sociale de Mme Le Pen. Lorsque l'on décide de transférer l'argent des cotisations patronales sur le salaire net, on n'augmente le salaire de personne. Outre le fait que cette mesure se fera au bon vouloir du patronat, elle se contente juste de rendre aux gens leur propre argent qui était mis à contribution pour le système de solidarité publique, dont toute personne ne faisant pas partie des plus privilégiés pourrait avoir besoin un jour dans sa vie. Le seul effet que cette mesure aura sera de saccager notre système de santé public pour finalement avoir recours à des mutuelles privées plus chères et pas plus efficaces. Quant à l'âge de départ à la retraite, la candidate d'extrême droite est floue et change d'avis au gré des vents. Mme Le Pen parle énormément de fraude sociale depuis 15 ans pour servir son agenda et très peu de fraude fiscale, un marqueur qui révèle toujours la couleur des politiciens sur le plan économique. Quel est l'intérêt de contrer Macron sur son programme anti-pauvres si c'est pour se diriger vers ce que propose la candidate d'extrême-droite? Aucun.

Ce rappel étant fait, concentrons nous sur le centre de son projet. Bien entendu l'immigration. Car Mme Le Pen a pour intention de créer une distinction de droit entre les êtres humains sur le sol français, selon que vous ayez ou non un papier d'identité certifiant de votre francité. Pour ce faire, le projet est d'inscrire le principe profondément discriminatoire, contraire au principe d'égalité devant les droits fondamentaux, de "préférence nationale" dans la constitution. C'est une vision profondément xénophobe. Cela violera également tout une batterie de traités que la France a signé, et aura pour effet de couper toutes les aides et un grand nombre d'opportunités du jour au lendemain à des centaines de milliers de personnes. Personnes qui seront condamnées à errer pour survivre, car les migrations sont pas le fruit de la recherche d'un système social généreux. Les gens pauvres migrent car ils n'ont pas le choix, les études sur le sujet convergent en ce sens. C'est parfois, souvent, une question de vie ou de mort que de fuir son pays.

Le deuxième grand axe de la politique de Mme Le Pen se concentrera sur la "lutte contre l'idéologie islamiste", sans que celle ci ne soit définie d'aucune manière. Un peu comme le séparatisme de la grande loi sécuritaire du quinquennat de Mr Macron qui a déjà servi à harceler de simples kebabs ou des barbiers, ou à dissoudre dernièrement un groupe antifasciste, le GALE. Pensons à la panique sur l'islamo-gauchisme qui a visé les universitaires et voyez jusqu'où la lutte de Mme Le Pen contre cet "islamisme" indéfini et fantasmé peut aller. Les outils de répression, la loi sur le séparatisme ainsi que l'état d'urgence permanent, sont déjà là à sa disposition. Pensons également à sa volonté d'interdire le hijab dans l'espace public ou bien les "barbes islamiques", encore une fois sans préciser ce que serait une barbe non-islamique bien sûr.

Elle dit ne pas avoir de soucis avec l'islam et vouloir en assurer la liberté de culte, mais Mme Le Pen a une vision coloniale de l'islam français. Elle ne tolère les cultures autres que la sienne que si elles restent invisibles et soumises à ses conceptions, et si elles finissent par se révolter, elle enclenchera son arsenal de répression. Car elle n'a que de la répression à offrir, même son programme sur la lutte contre les violences faites aux femmes ne comporte que ça. Rien dans la prévention et seulement des mesures policières et judiciaires qui dissimulent une nouvelle fois bien mal sa xénophobie, et n'empêchent pas les violences d'être commises. Le Rassemblement National est tout ce que nous, citoyens de gauche, ne sommes pas. Tout ce que nous combattons. Il est édifiant de voir que l'extrême-droite est banalisée au point qu'il faille rappeler que les fondements de son programme sont le racisme, l'autoritarisme et l'exclusion et les derniers quinquennats sont responsables de cette confusion ambiante.

Mr Mélenchon et l'Union Populaire ont bâti une force de gauche puissante, moderne, radicale, écoutant la jeunesse et ses luttes. Nous avons, malgré la défaite, un vrai horizon devant nous pour grandir encore et peser sur la société. L'extrême droite déteste ça même si elle essaye de nous berner pour avoir nos voix aujourd'hui. Car si demain elle est au pouvoir, elle ne cherchera qu'à nous faire disparaître. Savez vous quel est le modèle politique revendiqué de Mme Le Pen?

C'est Mr Orban. À ceux qui se revendiquent de gauche et pensent sincèrement que l'extrême droite peut être un moindre mal, je les renvoie aux multiples offensives qu'il a mené contre les médias, contre les universités qu'il privatise pour ensuite les mettre entre les mains de ses riches amis réactionnaires. Ce qui a pour effet de tuer la vie intellectuelle et la diffusion de l'esprit critique dans la société qui sont des fondements des luttes de la gauche. Mr Orban va même encore plus loin et endoctrine les enfants dès l'âge de trois ans en leur apprenant à la maternelle des valeurs réactionnaires et intolérantes pour lutter contre une idéologie occidentale supposément décadente. Le parti de Mr Orban fait aujourd'hui des scores très élevés et la gauche a disparu en Hongrie. 

Un autre modèle un peu plus inavoué désormais de Mme Le Pen, c'est bien sûr Mr Poutine. Les errements de Mme Le Pen envers le chef du Kremlin ne se limitent pas à des conceptions géopolitiques, il s'agit pour elle d'admirer un mode de gouvernance et de société. J'aimerais maintenant m'adresser à ceux qui ne voient pas le fascisme parce qu'ils ne voient pas les bottes, et leur rappeler qu'il s'écoule plus de vingt ans entre l'arrivée au pouvoir de ce dictateur et la promulgation de sa constitution réactionnaire et révisionniste, plus de vingt ans entre son arrivée au pouvoir et sa tentative d'invasion de l'Ukraine. Aujourd'hui, toute contestation est violemment réprimée voire simplement assassinée en Russie, et l'espoir d'y voir une force radicale de gauche émerger est proche du néant.

Nouvelle constitution, lutte contre des idéologies mal définies pour ne pas dire fantasmées... Cela ne nous rappelle rien? Mme Le Pen a ses modèles, Mme Le Pen a annoncé ses outils. Ce sont des dangers mortels pour tout ceux qui rentrent pas dans ses lubies identitaires, et également pour les militants de gauche. Le néo-fascisme ne fait pas tant de bruit que ça, il s'habille en costume et il fait disparaître l'opposition avec des lois, réprime la jeunesse, exclue tout ce qui sort de ses fantasmes, dans le silence le plus total, avec le concours des gens de bien qui n'agissent pas, et parfois même se trompent.

C'est pour cette raison que j'appelle mes concitoyens de gauche au sursaut, il y a bien trop de bonnes raisons de ne pas laisser Mme Le Pen s'emparer du pouvoir. D'abord pour ne pas laisser ceux des nôtres qui sont les plus vulnérables face au fascisme en pâture à l'extrême-droite pour le simple plaisir de voir Mr Macron perdre une élection. Cette position peut découler d'angles morts et de privilèges inconscients. Et il sera important de regarder ses propres privilèges sociaux avant de prendre une décision. Je pense, sur mes différents réseaux, toucher majoritairement des sympathisants de gauche blancs, et ce point doit être mentionné.

Je ne peux pas faire semblant de ne pas voir les milices d'extrême droite dans nos rues, les agressions islamophobes qui n'en finiront pas d'augmenter. N'oublions pas que ces gens agissent déjà en quasi impunité avec un pouvoir qui n'est pas encore d'extrême-droite. Un pouvoir qui, je le rappelle, peut déjà dissoudre les groupes antifascistes à sa guise en surfant sur une rhétorique mensongère reprise par tout les médias réactionnaires que comporte ce pays. Si Mme Le Pen passe, les français racisés seront toujours plus violentés, puis viendra le tour des militants de gauche à qui l'on enjoindra de rester silencieux. Tout en les écrasant sous un propagande massive qui a déjà largement progressé lors de ces cinq dernières années.

Mr Macron nous fait horreur pour de nombreuses raisons que j'ai déjà évoquées. Cela dit, il ne projette pas -encore, du moins- d'inscrire l'inégalité dans la constitution, ou d'écrire des lois pour combattre des idéologies non définies. Souvenons nous comment "islamisme" peut se décliner en "islamo-gauchisme" avec le concours de médias d'extrême-droite qui seront encore plus hégémoniques puisque le Rassemblement National prévoit de privatiser le service public de l'audiovisuel -je vous renvoie à la façon dont les privatisations se déroulent chez son modèle hongrois-. Mr Macron n'a jamais été non plus l'ami, la vitrine politique revendiquée, des pires xénophobes de ce pays

Pour ces raisons, pour tout ce que j'ai évoqué plus tôt à propos du programme de Mme Le Pen et du contexte dans lequel nous vivons, on peut considérer que si Mr Macron est une maladie en stade avancé, Marine Le Pen n'est rien d'autre que la mort. Je ne parle pas d'un vote utile, je parle d'un vote de survie. Je parle de la survie des nôtres, de la survie de ceux qui seront les premiers visés par l'extrême-droite, de la survie de nos idées.

Le fascisme n'est rien d'autre que le stade final du libéralisme malade et défaillant. Mais comme dit l'adage, tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir. Et de l'espoir nous en avons. Notre mouvement est en train de conquérir la jeunesse, les villes, les quartiers populaires. Nous devons continuer plus avant ce mouvement, et nous y travaillerons dès la fin de ce difficile second tour pour envoyer le plus de représentants possible à l'assemblée nationale. Ensuite, nous pourrons peut-être construire ce grand parti de masse qui accompagnera les luttes pour les égalités, les luttes de terrain, se composera d'une diversité de tendances gravitant autour des thèmes qui nous sont chers et des solutions que nous défendons. Ce grand parti dont nous voulons qu'il prenne un jour le pouvoir pour changer le monde.

Mais pour réaliser ceci, il faut garder le peu d'espace que le pouvoir nous a laissé. Et ce peu d'espace, ce trou de souris, c'est Mr Macron qui nous le laissera. Avec celui là nous avons un dernier souffle, avec Mme Le Pen nous allons tous étouffer.

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