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Billet de blog 9 mars 2023

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Il n'y a pas d'extractivisme responsable

En janvier dernier, militantes et militants écologistes ont protesté à Lützerath, en Allemagne, contre l'extension d'une gargantuesque mine de charbon. Alors que l'ère est aux énergies renouvelables, pourquoi la coalition au pouvoir a-t-elle décidé d'encourager l'exploitation d'un combustible figurant parmi les plus polluants au monde ? Comment justifier un tel extractivisme ?

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Illustration 1

Le 14 janvier dernier, une grande manifestation est organisée dans le désormais tristement célèbre village de Lützerath, située dans l’ouest de l’Allemagne, en réponse à la destruction programmée des lieux dans le cadre de l’exploitation de la mine de Garzweiler II. D’une surface de 50 km2 et d’une profondeur de 400 mètres, cette immense exploitation à ciel ouvert et aux allures de paysage postapocalyptique suscite les convoitises des grandes compagnies énergétiques en raison de l’or noir qu’on y extrait depuis 2006 : la lignite, un charbon particulièrement polluant car riche en sulfures.

Chaque année, ce sont 30 millions de tonnes de ce combustible qui sont extraits des entrailles de la terre par les immenses excavatrices qui ont fait la une des journaux ces derniers mois[1]. Une quantité énorme, mais une goutte d’eau en comparaison de la production totale de lignite outre-Rhin, qui dépassait les 170 millions de tonnes en 2016[2].

Cette aberration environnementale, loin de s’essouffler, a bénéficié d’une extension du projet d’exploitation suite à un accord, fin 2022, entre le gouvernement d’Olaf Scholz et la RWE, la compagnie en charge de la mine – et, accessoirement, le conglomérat du secteur énergétique le plus polluant d’Europe[3]. Cet accord, qui a suscité à juste titre l’ire des associations écologistes en Allemagne, pose un certain nombre de questions : Comment les Verts allemands, membre de premier plan de l’actuelle coalition au pouvoir, ont-ils pu accepter un tel accord ? Et, plus globalement, comment comprendre une telle décision alors que l’Allemagne tend à se présenter comme un acteur de premier plan dans la lutte de réchauffement climatique ? Et surtout : comment une telle décision est-elle encore possible à l’heure de l’Anthropocène et de la catastrophe climatique ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les Grünen ont publiquement assumé leur soutien à l’extension de la mine : ainsi, Ricarda Lang, la co-présidente du parti, a réaffirmé au cours d’un débat télévisuel que « RWE a un droit légal à exploiter Lützerath ». De son côté, Robert Habeck, ténor du parti écologiste, vice-chancelier et ministre fédéral de l’Économie, a justifié l’exploitation de la mine par le contexte géopolitique particulièrement délicat pour l’Allemagne, la guerre en Ukraine ayant définitivement fermé les vannes des gazoducs russes[4].

Cet argument d’un sacrifice douloureux mais provisoire n’a pas vraiment convaincu les activistes écologistes : ainsi, le 12 janvier, les militants d’Ende Gelände, une association écologiste prônant la désobéissance, ont vandalisé la permanence du ministre, un acte loin d’être isolé puisque de nombreuses antennes des Verts ont connu le même sort dans tout le pays[5]. De fait, les Verts, au nom d’un pacte faustien avec les géants de l’extractivisme, préfèrent grever le présent au bénéfice de l’avenir.

Mais le calcul est-il vraiment judicieux, au moment où les émissions de gaz à effet de serre atteignent leur plus haut niveau depuis près de 2 millions d’années ? Au moment où les températures ne cessent d’atteindre de nouveaux records, entraînant leur lot de catastrophes climatiques ? La collaboration des Grünen au régime extractiviste sonne plutôt comme une capitulation devant le Carbocène et ses thuriféraires.

L’argument est d’autant plus pernicieux lorsqu’il est mis au service des impératifs écologiques, comme en témoigne le projet d’ouverture de la future plus grande mine de lithium d’Europe à Échassières, dans l’Allier. Ressource essentielle dans le cadre de la transition énergétique tant promise, le lithium est un métal utilisé dans la fabrication de piles et batteries rechargeables ; un matériau crucial, donc, pour le secteur de la voiture électrique. Une aubaine, à l’heure du « Green Deal » européen qui motive de nombreux projets miniers aux quatre coins du Vieux Continent.

Et, pour faire face aux futures critiques, l’entreprise Imerys, en charge du projet, concentre tout son argumentaire autour du concept de « mine responsable » : en bref, un extractivisme qui se ferait en synergie avec les impératifs environnementaux[6].

L’idée est séduisante, mais pas assez pour rassurer une partie des riverains. Et on les comprend : Imerys, gigantesque multinationale du minerai, présente dans 50 pays et employant 16 000 employés avec un chiffre d’affaires de 3,7 milliards d’euros en 2020, n'est pas exempte de critiques : une des exploitations de kaolin et d’aluminium du groupe située au Brésil a gravement pollué les cours d’eau de la région, entraînant la condamnation de l’entreprise par la justice brésilienne[7]. Un bilan inquiétant, mais visiblement négligeable aux yeux du président Macron, qui souhaite que la France atteigne une capacité de production de 2 millions de voitures électriques d’ici 2030[8].

Jusqu’ici, tout porte à croire que la même catastrophe est amené à se reproduire à Échassières. Lors d’une première réunion publique entre les représentants d’Imerys et les riverains, l’entreprise s’est révélée incapable de répondre aux multiples questions des habitants concernant le bilan environnemental de leur future exploitation[9].

Certes, le projet d’une mine souterraine et non à ciel ouvert limitera l’ampleur du désastre ; reste que l’exploitation du lithium est dévastatrice pour l’environnement. Particulièrement énergivore, consommatrice d’eau en quantités monstrueuses, requérant l’utilisation d’acide sulfurique, l’or blanc n’est pas aussi vertueux que veulent bien le prétendre les défenseurs du tout-électrique[10].

Et ce constat ne se limite pas qu’au lithium. Bien au contraire, il concerne l’ensemble des activités issues de l’extractivisme : il n’existe pas de mine « vertes », « sûres » ou « responsables ». L’exploitation de la terre, sous quelque forme que ce soit, entraîne des dégradations environnementales : tel est le constat dressé par le rapport sur une stratégie européenne par les matières premières critiques au nom de la Commission de l’industrie, de la recherche et de l’énergie en 2021[11]. La mine déforme les paysages, favorise les glissements de terrain, contamine et assèche les nappes phréatiques, empoisonne la faune et la flore : elle est, par essence, une exploitation écocidaire.  

L’opposition à ces projets est donc tout à fait louable ; elle ne doit cependant pas prendre la forme d’un rejet de type « NIMBY », un acronyme d’origine américaine signifiant Not In My Backyard, ou « Pas dans mon jardin » en français[12]. Ce terme traduit l’opposition localisée de riverains face à des projets porteurs de nuisances, qu’elles soient environnementales, sociales ou autres.

Le problème, c’est qu’une telle réaction, lorsqu’elle est victorieuse, fait que le projet non désiré « ici » se retrouvera « ailleurs » : en somme, on éloigne le problème au lieu de le régler. Aussi le retour sur la table d’un projet de mine de lithium en Serbie, pour le moment abandonné par les pouvoirs publics serbes face aux pressions de la population, ne fournit en rien une solution au problème écologique. Il serait inacceptable d’exporter la question des matières premières dans les périphéries marginalisées des Balkans en échange d’une promesse d’adhésion à la communauté européenne[13]. De même, on ne peut que regretter le contraste entre la médiatisation des conflits que suscite les projets miniers en Europe et le silence qui pèse sur les mêmes projets dans les pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique Latine.

Force est de constater que l’extractivisme est intimement lié à la question coloniale : preuve en est que l’intégration des colonies et anciennes colonies au sein de l’économie-monde capitaliste passe avant tout par l’exploitation de leurs ressources naturelles au profit des métropoles[14]. Le sort des ex-colonies françaises constituent ici un exemple frappant de cette indifférence à l’égard des mines en contexte post-colonial.

Ainsi, l’abandon de 20 millions de tonnes de déchets radioactifs au Niger par la Cominak – filiale du géant français du nucléaire français Orano (ex-Areva) – suite à l’exploitation de la mine d’uranium d’Akouta, fermée en 2021, constitue encore aujourd’hui un non-sujet en France où les hérauts du nucléaire se félicitent – et ce dans la plus complète ignorance – de l’innocuité de l’atome civil[15]. De même, peu nombreux sont ceux à s’émouvoir de la récente déclaration du ministre Darmanin concernant la relance de la filière du nickel en Nouvelle-Calédonie, activité héritée de la colonisation de Kanaky au bilan environnemental épouvantable[16].

Bref, tout se passe comme si, au nom de la souveraineté minière que le pouvoir macroniste ne cesse de rabâcher, on était disposé à cacher sous le tapis les désastres écologiques et sociaux de l’extractivisme. Pire, certains s’illusionnent quant à un possible extractivisme « vert » que les faits ne cessent pourtant de contredire. De tels discours illustrent à quel point l’idée de « transition écologique » est stupide, sinon dangereuse : il ne peut y avoir de verdissement des pratiques écocidaires.

La solution est simple : il ne s’agit pas de miner ailleurs, ou de miner mieux, mais simplement de ne pas miner du tout. Il serait bon que les écologistes français ne tombent pas dans le même piège que leurs voisins d’outre-Rhin, alors même que certains élus EELV défendent le projet minier d’Échassières[17]. Et si malgré ces avertissements, politiques et entreprises s’emploient à réveiller les monstres qui sommeillent sous terre, il faudra s’opposer à eux par la force.

[1] Garzweiler mine, site internet de la RWE, URL : https://www.rwe.com/en/the-group/countries-and-locations/garzweiler-mine-site/

[2] Bundesanstalt für Geowissenschaften und Rohstoffe, BGR Energy Study 2017 – Data and Developments Concerning German and Global Energy Supplies, Hanovre, décembre 2017, URL : https://www.bgr.bund.de/EN/Themen/Energie/Downloads/energiestudie_2017_en.pdf?__blob=publicationFile&v=2

[3] Europe Beyond Coal, Last Gasp. The coal companies making Europe sick, Novembre 2018, URL : https://beyond-coal.eu/last-gasp/

[4] Violette Bonnebas, « ZAD de Lützerath : la "traîtrise" des Verts allemands », Reporterre, 23 janvier 2023, URL : https://reporterre.net/Zad-de-Lutzerath-la-traitrise-des-Verts-allemands

[5] Laurenz Gehrke, Oliver Klasen, Philipp Saul et Leonard Scharfenberg, « Aktivisten besetzen Habeck-Büro in Flensburg », Süddeutsche Zeitung, 12 janvier 2023, URL : https://www.sueddeutsche.de/politik/aktuell-luetzerath-polizei-aktivisten-gebaeude-1.5730694

[6] Peggy Corlin, « Comment l’Europe compte retourner à la mine », Slate, 15 février 2023, URL : https://www.slate.fr/story/241147/relance-mines-union-europeenne-decouverte-gisements-terres-rares-suede-materiaux-lithium-industrie-opposition-ecologistes-population

[7] Diana Aguiar, Alessandra Cardoso, and Marcela Vecchione, « “Where you least expect it”. Living with the aluminum and kaolin industry in the Brazilian Amazon », Uneven Earth, 9 octobre 2015, URL : http://unevenearth.org/2015/10/where-you-least-expect-it/

[8] Joann Mathias et Irène Inchauspé, « Lithium : pourquoi la France commence à creuser », l’Opinion, 26 octobre 2022, URL : https://www.lopinion.fr/economie/lithium-pourquoi-la-france-commence-a-creuser

[9] Emmanuel Clévenot, « Mine de lithium dans l’Allier, les habitants en colère », Reporterre, 1er décembre 2022, URL : https://reporterre.net/Mine-de-lithium-dans-l-Allier-les-habitants-en-colere

[10] « L'extraction de lithium : une technique gourmande en énergie et en eau », La Tribune, 25 octobre 2022, URL : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/lithium-une-extraction-nefaste-pour-l-environnement-gourmande-en-energie-et-en-eau-938067.html

[11] Parlement Européen, Rapport sur une stratégie européenne pour les matières premières critiques
(2021/2011(INI)), 12 octobre 2021, URL : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-9-2021-0280_FR.html

[12] Nicolas Marchetti, Les conflits de localisation : le syndrome NIMBY, Montréal, Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), 2005.

[13] Saša Dragojlo et Ivica Mladenović, « Convoitise européenne sur le lithium serbe », Le Monde Diplomatique, n°822, septembre 2022, URL : https://www.monde-diplomatique.fr/2022/09/DRAGOJLO/65034

[14] « L’extraction minière : entre greffe et rejet », Cahiers des Amériques latines, n°82, 2016.

[15] Julie Pietri, « Au Niger, une entreprise française a laissé 20 millions de tonnes de déchets radioactifs à l'air libre », France Inter, 23 janvier 2023, URL : https://www.radiofrance.fr/franceinter/au-niger-les-centrales-francaises-ont-laisse-20-millions-de-tonnes-de-dechets-radioactifs-a-l-air-libre-2593286

[16] Maugan Rambour, « Nouvelle-Calédonie : Gérald Darmanin plaide pour une remise à plat de la filière de nickel », Le Journal du Dimanche, 4 mars 2023, URL : https://www.lejdd.fr/economie/nouvelle-caledonie-gerald-darmanin-plaide-pour-une-remise-plat-de-la-filiere-de-nickel-133272

[17] Nicolas Cheviron, « Lithium : dans l’Allier, la promesse d’une mine "propre" ne convainc pas grand monde  », Mediapart, 20 décembre 2022, URL :  https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/201222/lithium-dans-l-allier-la-promesse-d-une-mine-propre-ne-convainc-pas-grand-monde

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