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Billet de blog 10 avril 2014

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Quelques questions tactiques et stratégiques pour la gauche anticapitaliste aujourd’hui.

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La gauche révolutionnaire et anticapitaliste est aujourd’hui confrontée à une question stratégique. Comment en finir avec cette société ? La question, beaucoup trop large, n’a pas de réponse précise ou en a beaucoup trop. Longtemps, c’est l'unique grève générale qui a porté cet espoir. Elle devait paralyser le pays créant une crise politique majeure qui permettrait au prolétariat de prendre le pouvoir par une révolution.

La chute du mur de Berlin a changé la donne. Quel horizon politique a-t-on puisque le « communisme » (ou plutôt sa caricature stalinienne) a échoué ? De plus, qui dit horizon politique différent dit stratégie différente. C’est à ce débat que je souhaite contribuer. Je considère toujours la grève comme utile et indispensable (de préférence générale). Mais comment penser qu'une telle explosion sociale est envisageable à l’heure où les syndicats et les partis politiques de la gauche radicale se défont ? Comment miser sur une grève générale quand nous ne parvenons même pas à faire deux jours de grèves de suite alors que notre système de retraite est attaqué ? Il est certes aisé de me répondre que la vie sociale et politique est faite de rythmes divergents, de flux et de reflux discordants. Il est vrai également qu'il n'est pas possible de prévoir ou ne pas prévoir une révolution. Elle arrive ou n'arrive pas et nous n'y pouvons (presque) rien. L'utilisation de « presque » entre parenthèse n'est pas anodine. Elle est même le fruit de l'essentiel de mon billet. Je n'invente rien en écrivant qu'une révolution ne se décrète pas et je n'invente rien, non plus, en disant qu'elle se provoque. Non comme la cause logique d'une stratégie parfaite mais comme le résultat logique de phénomènes sociaux et politiques sur lesquels il est possible d'influer sans connaître l'exactitude de l'équation dans laquelle nous sommes nous-mêmes engagés. Je ne dis pas qu’il ne faut plus compter sur la grève générale. Je dis qu’il ne faut pas l’attendre, passivement, et ne miser que sur elle. 

Il est temps, à mon sens, d’amorcer des bases politiques et idéologiques afin d'agir concrètement dans la sphère matérielle qui nous entoure et nous forme. Revenir aux fondamentaux afin de redonner espoir et de guider la colère légitime et massive des peuples vers le chemin d’une révolution basée sur les valeurs de solidarité, de partage, d’égalité et de respect de l’environnement. Oui, retrouver les fondamentaux de l'engagement pour la lutte contre l'injustice qui commence souvent par un sentiment subjectif de mal-être.

Comme l'écrivait Daniel Bensaïd : « L'indignation est un commencement. Une manière de se lever et de se mettre en route. On s'indigne, on s'insurge, et puis on voit. On s'indigne passionnément avant même de trouver les raisons de cette passion. On pose les principes avant de connaître la règle à calculer les intérêts et les opportunités ». C’est ce que, modestement, je tente de prolonger avec ce texte.

Élections et suffrage universel

Sans doute l’attente de la grève générale et du grand soir a perdu beaucoup de militants révolutionnaires dans une critique primaire des élections « qui ne peuvent rien changer ». En fait, on y participe mais on sait que même si l’on gagne, ça ne changera rien. Même si cela est un peu vrai, je reviendrais sur cette affirmation dans un autre temps de mon texte pour expliquer justement en quoi cette orientation d'ensemble me semble ridicule.

Restons pour le moment sur l’idée de la démocratie. Quelle démocratie voulons-nous ? Une démocratie réelle et directe, où les travailleurs s’auto-organiseront dans les entreprises, où les habitants d’un quartier géreront eux-mêmes les questions de leur quartier. Le socialisme en gros. C’est notre horizon. Des richesses partagées, une nature respectée, une démocratie réelle et vivante… Mais quoi d’autre ? Pense-t-on sincèrement qu’il ne faudra plus d’élections ? Plus de représentants élus ? Pourtant, le suffrage universel est une revendication historique du mouvement ouvrier. D’ailleurs, ne défendons-nous pas le droit de vote des étrangers à toutes les élections ou encore le droit de vote dès 16 ans ? Il s’agit pourtant d’une extension du suffrage universel fort légitime. Disons-le tout net : oui, il y aura des élus dans une société anticapitaliste. Lutter contre le capitalisme ne nécessite pas de jeter le bébé avec l’eau du bain. Notre société et ses habitants, l’ensemble des travailleurs, sont nourris depuis l’enfance au biberon de la « démocratie ». Il n’est donc pas aisé de dire « nous nous fichons de cette question ce qui compte pour nous, c’est la démocratie réelle ». Mais les élections font parties du projet de démocratie réelle que nous défendons. Nous l’avons bien vu au moment du débat sur la 6ème République : notre argumentaire était fragile et peu audible. Non, nous ne voulons pas une 6ème République dans la continuité légaliste des autres républiques racistes, coloniales et démocratiques. Nous voulons engager une rupture révolutionnaire pour donner place à une république des "99%", anticapitaliste et écologiste. Mais sur le contenu propre, nous avions de nombreux points d’accords avec les textes du Front de Gauche. Nous portons la révocabilité des élus qui ne respecteraient pas leurs mandats, l’interdiction de tous les cumuls de mandats, l’instauration d’un revenu de l’élu équivalent au salaire moyen de la population, la proportionnelle intégrale, etc etc…

Tout cela pour dire qu’il ne faut pas mépriser le vote et les élections y compris dans le cadre des institutions bourgeoises. Elles sont en effet, pour une grande partie des travailleurs et des jeunes, l’expression de leur liberté. Nous avons tous déjà entendu la phrase « nos anciens se sont battus pour le droit de vote » ou encore « c’est la seule liberté qu’il nous reste ». C'est pour cela que les hauts chiffres de l'abstention ne sont pas, je crois, un rejet des institutions mais plutôt un rejet des hommes politiques, des "affaires", de la connivence entre les "républicains" actuels, du PS à l'UMP, en passant par le centre, qui mènent peu ou prou la même politique. Il faudrait néanmoins analyser plus profondément l'abstention qui grandie en parallèle du vote FN. S'agit-il d'une dépolitisation ou d'une radicalisation ? L'abstention est-elle un acte militant ou une preuve de dégoût de la question politique ? L'abstention est-elle un réservoir de voix pour le FN ou une puissante poche révolutionnaire prête à exploser ? Ou peut-être s'agit-il d'une masse inconsciente et hermétique à la participation démocratique. Pourtant, cette masse, quoi qu'elle fasse et/ou soit, est victime des politiques économiques en place et fait donc entièrement partie de la vie politique. Elle est à prendre en compte.  

L’hégémonie politique et la pratique politique

Pour couper court, de suite, à des interprétations diverses et variées, je précise que non, je ne pense pas que les élections puissent permettre de créer une société anticapitaliste. Plus exactement, je considère que la victoire électorale n'est pas synonyme de prise du pouvoir ou autrement dit de révolution. Néanmoins, quels sont les deux ingrédients principaux pour y arriver ? Ceux que je pense nécessaires sont les suivants : l'hégémonie idéologique (être politiquement majoritaire dans la population), c'est la forme de soutien populaire. Puis, la crise révolutionnaire, l'affrontement avec les puissants, avec l’État, qui passeront à l'offensive lorsqu'ils sentiront que le désordre prend place et que leur pouvoir est menacé.

La question de l’hégémonie politique est l’enjeu des communistes ou anticapitalistes démocratiques. Pas au sens bourgeois mais au sens réel du terme. Cela pour dire qu’il est juste tactiquement de répondre à des questions morales dans la prise de pouvoir. En effet, avoir le soutien de la majorité de la population permet de prendre le pouvoir mais permet aussi de le conserver. Cette hégémonie n’est effectivement pas le simple fruit de campagnes électorales, et ce n’est pas ce que je veux défendre ici. Je pense même qu’il est quasiment obligatoire de passer par la phase des luttes pour commencer à refuser ensemble l’injustice puis, toujours ensemble, chercher des solutions d’organisations pour lutter afin de faire  - également - des propositions politiques. Enfin, c’est l’aboutissement du front unique : offrir un autre monde possible. Le parti politique (le NPA, pour moi, en l’occurrence) ne disparait pas. Il a un rôle crucial. Il organise « démocratiquemement » ceux qui veulent une société écologique, socialiste, démocratique, féministe… mais il lutte également, dans le jeu du rapport de force interne au mouvement social et politique, contre les formes possibles de bureaucratisation, d’opportunisme, de nationalisme… Ce travail est transversal dans toutes actions politiques, syndicales, associatives du quotidien. Le parti n’est pas un donneur d’ordre, il regroupe simplement ceux qui veulent lutter dans un cadre définit collectivement. Chacun apporte au tout et le tout apporte à chacun. 

C’est de cette manière que l’on doit envisager l’action politique. Rassembler large pour agir largement avec tous. Le tout de manière organisée. 

De fait, le rôle du parti est d’orienter, sous la coupelle du centralisme démocratique, les militants vers une perspective et une stratégie politique. Cela est décidé par les militants lors des Congrès puis par la direction qui met en place les décisions du Congrès et qui a été élue par ce Congrès. 

Dans le même temps le parti organise, via un socle commun, toutes les personnes qui souhaitent se rassembler. Il est un lieu de discussions, d’élaborations, d’actions… mais aussi un moyen très pratique de militer, les cotisations permettant de payer les tracts, les déplacements pour manifester, les élections, etc… 

En une phrase, le parti est indispensable dans la lutte révolutionnaire. 

Crise politique : les élections comme possible tactique. 

La prise du pouvoir révolutionnaire est difficilement définissable. Il n’y a pas de plan établi. L’objet de ce texte est plutôt de définir une stratégie nous permettant de briser les premières barrières du pouvoir en place. De mettre un coup dans l’édifice, ce qui ne veut pas nécessairement dire s’en accaparer. 

Pour ce faire je crois aux « armes institutionnelles », même si leur force est différente selon de laquelle il s’agit. Mais les élections, elles, peuvent permettre cela. Tâchons d’expliquer pourquoi. 

Imaginons une victoire électorale du NPA. Le programme que nous portons, anticapitaliste, implique un affrontement avec le patronat et ses représentants et défenseurs. Notre programme a pour but de défendre clairement la classe ouvrière dans son ensemble, des ouvriers aux cadres, sans doute possible. Imaginons que nous souhaitons, pour mettre en place notre programme, passer par la voie légale. Alors nous serions engager dans un combat contre l’oligarchie et les forces réactionnaires. Le NPA en a conscience et c’est pour cette raison que nous disons qu’il n’est pas possible de changer le monde par les élections. L’analyse est donc en partie juste, mais c’est aussi en cela qu’elle est ridicule. En effet, il y a ici une question qui est posée, c’est celle des temps politiques. 

Souvent, nous confondons cohérence avec incantation, au détriment de l’efficacité pour une piteuse jouissance auto-centrée de l’affirmation. N’oublions jamais que notre objectif prioritaire est bien de changer de système, de mieux-vivre, de répartir les richesses entre tous, de vivre dans un monde éco-socialiste. En ce sens, les différents niveaux politiques, entre le court et long terme, entre le micro et le macro, etc…, peuvent paraitre éloignés, différents, mais sont intimement liés. Défendre le peuple palestinien ne nécessite aucune discussion. Nous sommes contre la colonisation israélienne, pour l’auto-détermination de tous les peuples, mais dans le même temps, au sein du peuple palestinien, comme au sein de tous les peuples du monde, nous défendons la classe ouvrière face au patronat, les femmes face aux sexistes, les LGBTI face aux homophobes. Nous voyons bien ici les différences de niveau, qui ne sont que des données objectives et absolument pas des classifications qualitatives.  

Tout cela pour dire qu’il n’y a pas à mettre d’un côté les luttes et d’un côté les élections. Les deux, là encore, se recoupent. Beaucoup voient dans les luttes « le moyen de prendre le pouvoir » et dans les élections « la possibilité de faire connaître notre programme ». Il s’agirait de la frontière stratégique indépassable entre révolutionnaires et réformistes. En fait, dans les deux cas, nous faisons connaître notre programme, nous popularisons nos idées d’un autre monde, nos mesures d’urgence, nous le faisons d’ailleurs également au quotidien, sur nos lieux de travail, dans la rue… Et, nous « postulons » au pouvoir, pour défendre ce programme des classes populaires, avec elles et en s’appuyant sur leurs mobilisations. 

Concrètement, aujourd’hui, d’un point de vu objectif, une victoire politique du NPA par le biais électoral n’est pas possible. Notre organisation est trop petite, elle manque d’implantation et de crédibilité. En revanche, nous représentons un élément indispensable de la gauche radicale. D’abord par notre activité militante sur le terrain, dans les syndicats, les associations, les collectifs… Par notre présence aux élections, qui montre malgré tout que nous existons. Grâce à nos portes-paroles qui restent très populaires, tout comme notre programme (qui l’est également - nos idées sont plutôt bien accueillies par la population). Nous représentons également un courant de pensée unique (avec des camarades d’Ensemble!) sur l’internationalisme et l’éco-socialisme. Nous gardons une véritable indépendance organisationnelle et politique. Nous ne dépendons que des cotisations des militants et des dons obtenus pendant les souscriptions.

Le premier choix politique que nous pouvons faire est donc de nous renforcer. Effectivement, il est primordial de faire venir de nouveaux militants, largement, pour amplifier le poids du NPA et ainsi nous rendre d’autant plus crédibles et d’autant plus indépendants. Il faut également renforcer notre champ sympathisant est tout faire pour qu’il soit plus actif. Venir derrière les banderoles du NPA durant les manifestations, faire des dons pour la souscription, participer aux formations, actions et réunions publiques que nous organisons, acheter notre journal… 

Le deuxième choix politique, dans la situation actuelle, est de se battre pour l’unité de notre camp social. Aujourd’hui, cela veut dire défendre un front social et politique avec le Front de Gauche, Lutte Ouvrière, Alternative Libertaire, les courants de l’écologie radicale… pour améliorer le rapport de force social et le rendre favorable à la gauche qui se situe à la gauche du PS, contre le gouvernement, et en opposition à la droite et l’extrême-droite. C’est la seule manière d’y parvenir. La manifestation du 12 avril « Maintenant, ça suffit » peut être le commencement de cela. Il faut également parvenir à rassembler cette gauche, qui bien que divisée sur la stratégie globale (et l’unité ne gomme pas les divergences entre tous), peut et doit se retrouver pour maintenir l’espoir dans la course de vitesse engagée avec l’extrême-droite. Les échéances électorales futures doivent être l’objet de cette unité. Sans unité préalable et sans un inversement rapide du rapport de force avec l’extrême-droite, dans la rue et les urnes, les questions stratégiques de prise de pouvoir pourraient bien ne jamais se présenter à nous. « L'ancien monde se meurt, le nouveau ne parvient pas à voir le jour et dans ce clair-obscur surgissent les monstres. » écrivait Antonio Gramsci. Pas besoin de plus de mots pour comprendre l’urgence de la situation et la rapidité avec laquelle nous devons nous mettre à la tâche. 

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