« Ne pas rire, ne pas s’indigner, ne pas pleurer, mais comprendre. » Spinoza.
C’est par millions que des personnes sont descendues dans la rue depuis l’attentat orchestré contre le journal satirique Charlie Hebdo. Cet acte ignoble, barbare, a instinctivement poussé des masses de gens à montrer leur indignation et leur solidarité, derrière le slogan « Je suis Charlie ».
J’ai moi-même participé à deux rassemblements à Poitiers, le premier, dès le mercredi soir, mouvement totalement spontané et plein d’émotion. Le second, samedi, où près de 10.000 personnes ont répondu présentes.
Cette réaction est positive. Elle prouve que non, tout ne peut pas se passer, qu’une réaction populaire est possible, que les actes les plus sombres peuvent être dénoncés. Cela est touchant et rassurant.
Depuis l’attentat, se met aussi en place une sorte d’union nationale, l’alliance de la chèvre et du chou, derrière l’idée « nous sommes tous français, défendons nos valeurs ». On commence donc à sortir du cadre de départ… Hollande, Valls, Sarkozy, Dupont-Aignant, Bayrou, Cosse, Laurent, Mélenchon… tous ont défilé et, surtout, signés le même appel à manifester. Comme si, dans le fond, celles et ceux qui subissent ont les mêmes valeurs que ceux qui font subir. Comme si les responsabilités étaient les mêmes pour toutes et tous. Comme si celles et ceux qui mènent des politiques racistes au pouvoir avaient à voir avec celles et ceux qui en sont les victimes.
De plus, Hollande n’a rien trouvé de mieux que d’inviter les différents chefs d’Etats européens à la manifestation parisienne de dimanche, ceux-là même qui mènent les pires politiques d’austérité et qui tentent d’imposer aux grecs leur choix lors des prochaines élections. Mais étaient invités aussi des dictateurs, et des personnes qui écrasent sans problème la liberté d’expression, comme Orban le hongrois, les amis de Poutine, de Erdogan (le premier ministre turc qui empêche aux kurdes de se réfugier en Turquie alors que ces derniers se font massacrer et luttent héroïquement contre DAESH). Le premier ministre israélien Netanyahou était là, lui aussi, responsable de la mort de plus de 2000 palestiniens cet été. Et la liste est encore longue.
Entendons-nous bien. Il ne s’agit pas là de dénigrer les citoyens participants à cette marche. Je ne sous-entend à aucun moment que les manifestants partagent ce que cette « Internationale des salauds » véhiculent. Je souhaite simplement montrer du doigt les manoeuvres en cours et ainsi viser celles et ceux qui sont aussi responsables de ce qui s’est passé et se passe partout dans le monde.
Il ne faut pas oublier que ces crapules sont de vrais pompiers pyromanes.
Quid des guerres impérialistes au proche et moyen-orient ? La France et l’OTAN ne cessent, depuis 30 ans, au nom de la « liberté » de faire la guerre. Un coup contre les dictateurs, un coup contre l’islamisme. Dans le même temps, ces pays ont laissé seul le peuple syrien face au dictateur Assad qui les massacre, alors que les combattants (aujourd’hui écrasés par DAESH) réclamaient des armes.
L’ingérence des puissances impérialistes a créé le chaos dans nombre de pays, aujourd’hui sans Etats et propices à l’épanouissement des obscurantismes. Cela, toujours au détriment des peuples car se sont les civils, majoritairement musulmans, les premières victimes.
En France, Hollande, Valls et Cazeneuve, nouveaux grands défenseurs de la « liberté d’expression » ont pourtant interdit plusieurs manifestations en soutien à la Palestine cet été, et mon camarade Alain Pojolat est victime de l’acharnement de la justice de ce gouvernement qui souhaite le juger pour avoir maintenu la manifestation interdite.
Il est vrai que les proportions sont différentes, et qu’il n’y a pas eu 17 morts à ce moment-là, mais entendre ces gens défendre « les valeurs de liberté d’expression » est assez agaçant.
Et que dire de la politique raciste que mène ce gouvernement (et le précédent avec Sarkozy) ? Les musulmans, comme les rroms, sont sans cesse stigmatisés, contrôlés, comme si leurs origines ou leur religion les rendaient potentiellement coupables de quelque chose de mal.
C’est pour cela que je ne crie pas que je suis Charlie. Parce qu’eux le crient et que je n’ai rien à voir avec eux. Ou alors, ils ne sont pas Charlie et n’ont rien à faire là. Mais il faut choisir.
L’identité française est un leurre. La culture française a un sens, mais qu’est-ce que « nos » valeurs ? Cela est intrinsèque à notre « race » ? Arrêtons ! Si, en France, il y a certaines avancées démocratiques, c’est parce que les classes populaires, les jeunes, le mouvement ouvrier a imposé cela aux puissants qui sont pourtant, eux aussi, « français ». Des types comme Sarkozy rêvent que nous ayons moins de libertés, pareil pour Le Pen, et pourtant, ils manifestent et se posent en défenseurs de la liberté d’expression.
A Poitiers, par deux fois déjà la Mosquée a été victime d’agressions racistes. Un tag et un incendie volontaire. L’extrême-droite se croit le droit de vivre sa connerie au grand jour. Partout en France, des actes islamophobes pleuvent.
Le mouvement populaire, les 3,7 millions de citoyens qui ont déferlé dans les rues sont-ils prêts, dès maintenant, à la reprendre, contre le racisme, contre l’amalgame, contre l’extrême-droite, contre les obscurantismes, contre l’antisémitisme et contre les puissants de ce monde qui ne méritent rien d’autres que du mépris et nos luttes, indépendantes ?
Organisons-nous et marchons, luttons, bloquons pour la solidarité, la diversité, la liberté, la démocratie, le partage. Certains nous inviterons plutôt à faire la guerre, à punir plus fortement, à fermer nos frontières, à chasser l’ennemi intérieur. Ne tombons pas dans ce piège. L’heure est arrivée de la réflexion, l’émotion a réveillé les esprits, que la suite soit belle, qu’elle soit démocratique, qu’elle soit populaire et antiraciste.