Alexandre Raguet. (avatar)

Alexandre Raguet.

Abonné·e de Mediapart

96 Billets

1 Éditions

Billet de blog 26 juin 2018

Alexandre Raguet. (avatar)

Alexandre Raguet.

Abonné·e de Mediapart

Unique rencontre rimbaldienne

Voici une tentative amateure de «littérature». J'ai voulu ici redonner vie à un morceau de texte écrit il y a plusieurs mois, et auquel je tiens. J'ai décidé de le partager. Bonne lecture.

Alexandre Raguet. (avatar)

Alexandre Raguet.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je n’ai jamais vraiment pu regarder quelqu’un dans les yeux. A peine une seconde, seulement. Une seconde durant laquelle un gène me fait baisser les yeux. J’ai peur qu’on puisse lire en moi, mais sans doute aussi ai-je peur de lire dans les autres. Cette timidité physique n’a rien à voir avec de la honte. C’est surtout une manière de ne pas s’imposer, de ne rien imposer, de laisser venir les choses en fermant les yeux. Un moyen de regarder ailleurs en pensant à l’instant. D’attendre que l’autre fasse ce que l’on n’a pas le courage de faire soi. J’écoute. J’attends.

C’est d’ici que je parle. Je ne connais d’elle que des instants furtifs. Je ne la connais pas, je la vois, je la ressens. Ses cheveux embrasés parviennent alors. Entrelacés, vifs. Ses boucles, comme des flammes oranges, crépitent. Les braises qui volent de ses cheveux viennent délicatement bruler son nez et ses contours, formant de douces tâches marrons claires. Par dessus, son regard fige le mien. Elle a deux grands yeux bleus, avec des reliefs plus foncés, allant sur un vert noir. Ils sont directement reliés à son sourire qui, de joie de vivre en tendresse, harmonise son visage. Elle sourit, je le fais. Elle plisse les yeux, je les ouvre. Elle cherche pour que je trouve et elle trouve pour que je cherche.

L’énergie qu’elle dégage marche comme un aimant. Ma poitrine est comprimée, comme si tout le métal en moi voulait sortir. 
Puis elle s’éloigne.
 Alors, je ne sens plus la même chose. La chaleur du feu orange partant, mes mains tremblent. Il fait froid.

Les rues sont bondées et les sons si nombreux que je ne les distinguent pas. Si les jeunes se relient entre eux, en s’entrecroisant les bras, c’est parce qu’en face, des hommes armés les défient. Les odeurs piquantes m’empêchent à la fois de respirer et de contempler. Je ne vois plus rien, et encore moins cette femme qui m’a troublé.

Illustration 1
Les trois âges de la femme © Gustav Klimt

La foule se met alors en mouvement, des choses volent dans le ciel bleu puis s’écrasent et explosent. Les explosions apportent au brouhaha un long bruit strident aggravant l’idée de surdité. Je suis perdu, totalement. Je perçois, de ci, de là, des gens en pleurs. Où est-elle ? Les heures passent comme des jours et je sens mon corps ne plus supporter l’atmosphère.

Lorsque je me réveille, mes yeux donnent directement sur une hirondelle volant très bas dans le ciel. Les odeurs horribles, et les sons violents, ont laissé champ libre aux chants des oiseaux et aux odeurs de printemps. Même le trottoir est confortable. Je prends alors la direction du parc, situé à quelques pas d’ici. Des nuages gris approchent, au loin.

A peine y suis-je que, dans l’herbe allongée, je la vois. Ses cheveux sont toujours si beaux, si chauds. Elle semble dormir, comme diraient des enfants, sous un saule qui, bien que pleureur, est heureux. Les nuages se sont rapprochés très vite, le vent est levé et le tonnerre gronde pour la première fois.

Plus je m’approche, plus je palpite, mon ventre noué ne trouvant plus la force de maintenir mes jambes bien fortes. C’est alors que j’arrive à elle, et m’agenouille. Elle dort allongée sur le ventre, un peu de biais. Un vent léger s’engouffre dans ses boucles quand je pose ma main sur son épaule. Je la secoue tendrement, c’est une tentative. Il n’y a aucune réaction autre qu’une résistance lourde. Je la retourne alors sur le dos. Son visage frêle et rond ne laisse plus ses yeux allumer le monde, ils sont fermés. Son sourire absent est effacé par des lèvres foncées et fines qui forment une courte ligne droite. Si ses cheveux, de loin, semblaient si beau, la pluie tombante d'un coup, alors que l’orage est là, fait se réduire les flammes et pâlir leur couleur. Je la lâche, me relève et la regarde. « Elle a deux trous rouges au côté droit. ».

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.