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Billet de blog 17 août 2025

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Retraites : le trou que l’intelligence artificielle pourrait creuser

La cause semble entendue : si le problème des retraites tient au papy-boom, c’est pourtant l’IA qui menace désormais de faire disparaître les cotisants avant même la grande faucheuse. Sans qu’aucun rapport officiel ne paraisse vouloir en prendre la mesure.

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Le modèle français de retraite par répartition, adossé au salariat comme source première de richesse et condition de la solidarité intergénérationnelle, repose sur l’idée longtemps jugée indépassable qu’il y aurait toujours assez d’actifs pour assurer, mois après mois, le financement des pensions des inactifs. Cette évidence, déjà fragilisée par le vieillissement démographique et les déséquilibres budgétaires chroniques, se voit désormais confrontée à une menace d’un tout autre ordre, plus profonde que les ajustements financiers sur lesquels se concentre l’essentiel du débat public. En effet, le risque n’est plus seulement que le nombre de cotisants décroisse du fait d’une démographie défavorable, mais que la base même de la contribution s’évapore sous l’effet de l’automatisation massive du travail humain par les agents d’intelligence artificielle.

Ces systèmes, qui se substituent déjà dans de nombreux cas à l’activité humaine, font disparaître la relation salariale qui constitue l’assise financière du système. Or, c’est précisément cette disparition insidieuse qui n’est prise en compte par aucune des grandes institutions chargées de penser l’avenir des retraites.

Ce qui frappe, en observant les discours et rapports officiels, c’est l’ampleur du déni politique. Ni le dernier rapport annuel du Conseil d’orientation des retraites publié en juin 2024, ni la communication de la Cour des comptes au Premier ministre en avril 2025 sur « les effets économiques et sociaux de la réforme des retraites », ni même le rapport de la Commission européenne sur l’adéquation des pensions de 2024 ne consacrent le moindre propos significatif sur l’impact de l’automatisation du travail sur la base contributive. Tout se passe comme si la question de l’intelligence artificielle demeurait traitée comme un épiphénomène technologique n’ayant pas vocation à bouleverser l’équilibre général du système social.

Il serait injuste de dire qu’aucune voix politique ne s’est élevée pour soulever cette question, mais ces voix demeurent confinées aux marges des débats parlementaires. En 2019 déjà, la délégation à la prospective du Sénat avait publié un rapport intitulé « Demain, les robots », évoquant explicitement la possibilité d’une taxation des machines afin de compenser le déséquilibre croissant entre le capital et le travail. L’idée, jugée prématurée, fut classée sans suite.

Lorsqu’en février 2023, un groupe de députés écologistes membres de la NUPES, parmi lesquels Sandrine Rousseau et Sébastien Peytavie, proposa d’instaurer une « cotisation robot » équivalant à trois pour cent de la valeur brute produite par chaque caisse automatique, contribution plafonnée à cent trois euros par machine et affectée directement à la Caisse nationale d’assurance vieillesse, l’argumentation, avait le mérite de visibiliser le problème. Dans l’exposé sommaire, les parlementaires rappelaient que « la richesse produite par les robots est une chance et doit être mise au service de l’ensemble de la population », ajoutant qu’il était « légitime qu’une petite partie de la richesse produite en économisant sur le coût du travail soit reversée ». La proposition fut balayée sans ménagement, la majorité expliquant qu’elle risquait d’alourdir les charges des commerces et de se répercuter sur les prix ou de freiner la modernisation productive. Mais la discussion ne s’est pas limitée au camp écologiste. Le député vosgien Stéphane Viry, membre des Républicains, reconnaissait lui-même qu’« on ne peut pas durablement faire l’impasse de cette réflexion pour le financement de la protection sociale »

Chez les sénateurs, la piste n’a pas été totalement ignorée. En mars 2023, le sénateur écologiste Thomas Dossus proposait de « taxer (...) les robots » afin de soulager ceux qui « triment », tandis que sa collègue Marie-Claude Varaillas (Parti communiste) rappelait qu’en quarante ans près de 10 % de la valeur ajoutée produite en France — soit l’équivalent de 250 milliards d’euros — avaient glissé du travail vers le capital, sans jamais être réintégrés dans la solidarité collective. Ces interventions, isolées mais persistantes, s’inscrivent dans le sillage d’une idée qui avait fait sourire il y a quelques années : celle de Benoît Hamon, candidat socialiste à la présidentielle de 2017, qui proposait de taxer les robots pour financer un revenu universel. Alors classée parmi les lubies technophiles, cette hypothèse, à l’aune des mutations actuelles du travail, apparaît comme un débat dont il serait urgent de reprendre le fil.

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