Il y a quelque chose de tragique, presque comique dans son absurdité, à voir une nation se poser en arbitre universel des droits humains tout en menaçant de sanctionner l’institution même censée les défendre à l’échelle internationale. Les États-Unis, ce phare autoproclamé de la démocratie, envisagent sérieusement de sévir contre la Cour pénale internationale (CPI). Oui, vous avez bien lu : la CPI, cette cour créée par le Statut de Rome en 1998 pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les génocides, pourrait se retrouver dans le collimateur de Washington, pour peu qu’elle ose poursuivre des citoyens américains.
La CPI : un miroir déformant pour les puissants
L’ironie est cinglante. Vladimir Poutine, grand amateur d’annexions en territoire étranger et de dissidents évaporés, ne reconnaît pas non plus la CPI. Cela ne l’a pas empêché de trembler à l’idée d’un voyage en Afrique du Sud en août dernier, lors du sommet des BRICS. La question était sur toutes les lèvres : Pretoria allait-elle l’arrêter ? Rien n’est moins sûr. Ce serait risquer l'ire du Kremlin. Mais au moins, la question fut posée.
Contrastons cela avec le traitement réservé à Benjamin Netanyahu. À Paris, aucune spéculation, aucun débat : on l’accueille comme un chef d’État respectable, malgré les multiples rapports d’ONG dénonçant des crimes de guerre à Gaza et en Cisjordanie. La France, pays des droits de l’homme, semble bien à l’aise avec cette amnésie sélective.
Deux poids, deux mesures : une diplomatie de l’incohérence
Cette schizophrénie morale n’est pas sans conséquence. C’est ce deux-poids deux-mesures qui alimente la colère des peuples du Sud global. Ces nations qui voient, années après années, un Occident prêcher la démocratie et les droits de l’homme d’un côté, tout en bafouant ces principes de l’autre.
Les textes ne manquent pas pour mettre en lumière cette hypocrisie. L’article 27 du Statut de Rome stipule que la fonction officielle d’un individu – chef d’État ou autre – n’exonère pas de poursuites pour crimes graves. Mais cet article, sacro-saint en théorie, devient soudainement invisible lorsqu’il s’agit d’un allié stratégique ou d’un partenaire économique puissant. L’Occident, gardien autoproclamé de l’éthique mondiale, applique ses valeurs comme on distribue des visas : avec parcimonie, et surtout, avec intérêt.
La fin d’un empire moral
Ces contradictions ont tué l’idée même d’un Occident porteur de valeurs universelles. Les bombes humanitaires en Irak, les sanctions aveugles contre des nations affamées, les silences assourdissants face aux atrocités commises par des alliés, ont effacé ce qu’il pouvait rester de crédibilité. En refusant la CPI ou en la sapant, en embrassant des despotes amis tout en pourfendant ceux d’ailleurs, l’Occident a perdu la boussole de ses propres principes.
Vers un nouvel équilibre ?
Face à ce désarroi, l’émergence de l’Empire du Milieu n’est pas sans charme. La Chine, avec son discours pacifiste (certes intéressé), incarne pour beaucoup une alternative à ce désordre occidental. Le cynisme peut y être le même, mais il a le mérite de ne pas prétendre à une supériorité morale. Là où l’Occident semble préparer méthodiquement un Harmagedon nucléaire, Pékin parle d’interconnexions, de routes de la soie et d’alliances économiques. Peut-être y a-t-il là un espoir – ou du moins, une autre forme de pragmatisme.
La CPI : dernier rempart ou chimère ?
Reste à savoir ce que deviendra la CPI dans ce monde de cynisme exacerbé. Peut-être finira-t-elle comme les vieilles résolutions de l’ONU : archivées dans les rayons d’une bibliothèque que plus personne ne consulte. Ou peut-être, un jour, ses principes renaîtront dans un monde enfin égalitaire. Mais pour cela, il faudra que les grandes puissances, anciennes ou nouvelles, abandonnent leur arrogance. Et ça, c’est une autre histoire.
Par Alexandre Thomas
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