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Billet de blog 2 février 2022

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Lettre au Président

Monsieur le Président, votre gestion de cette épidémie aura eu pour conséquence de renforcer l’immunité et les chances des plus forts, de fragiliser encore un peu plus les personnes déjà faibles, de confondre habilement égalité et équité pour mettre en pièce nos principes de fraternité et de solidarité, tout en sacrifiant la liberté sur l’autel de la sécurité.

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Lettre au Président en ces temps de pandémie

Février 2022

Monsieur le Président de la République Française,

Je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps et puisque les devoirs priment dorénavant sur les droits, je me dois de vous dire ceci.

Depuis maintenant 2 ans, je vis dans la peur constante que le Coronavirus emporte une personne de mon entourage, un ami, un membre de ma famille, un collègue. Cette peur m’incite à agir en personne responsable et à suivre les recommandations sanitaires en vigueur dans mon pays. Je pense pouvoir dire que moi et une très large majorité de mes concitoyens avons suivi vos consignes pour nous protéger et protéger les autres. Je rappelle pour la postérité quelles sont ces consignes que vous nous avez demandé de suivre depuis le début de cette pandémie :

  • Confinement avec interdiction de circuler à plus de 1 kilomètre du domicile, 10 km ou 100 km.
  • Port du masque obligatoire en intérieur et en extérieur parfois.
  • Lavage des mains et désinfection régulières de celles-ci dans les lieux publics.
  • Distanciation sociale et limitation des rendez-vous privés entre amis ou en famille.
  • Télétravail imposé tout ou partie de la semaine si l’activité le permet.
  • Dépistage régulier par test naso pharyngé.
  • Vaccination à trois doses.
  • La soumission à un pass sanitaire, puis vaccinal contrôlant la dangerosité potentielle de chaque citoyen dans les lieux publics, les lieux de rassemblement et les transports inter régionaux.

Ces mesures étant souvent cumulatives.

Ces consignes sont très contraignantes, très lourdes et ont des conséquences non négligeables sur ma vie, celle de mon entourage et pour tous les citoyens de ce pays. Compte-tenu du caractère généralisé de ces mesures et de leur large application par mes concitoyens je pense pouvoir affirmer que nous avons tous payé très cher par rapport à notre vie d’avant notre engagement et notre civisme en étant à vos côtés. Nous l’avons fait avec la Foi dans un monde meilleur où nous ne nous transmettrions plus le virus et où nous pourrions enfin arrêter de compter les morts par centaines chaque jour. Aujourd’hui et malgré les circonstances, je suis fier de voir cet engagement, cette énergie et les efforts que nous avons consentis collectivement pour le bien de tous. Si cela était à refaire avec l’espoir que mon sacrifice individuel eut servi à quelque chose, je le referai.

Mais aujourd’hui je me pose la question. En ce début février 2022, sous les attaques du quatrième variant appelé Omicron et alors que les contaminations et les morts à l'hôpital ou en EHPAD repartent à la hausse avec des contaminations jamais vues auparavant et des décès à des niveaux proches de ceux de l’année 2021, que puis-je encore faire pour sauver mon pays et les gens que j’aime ? Mais aussi, sommes-nous sur la bonne voie ?

Plus globalement que pouvez-vous encore faire, monsieur le Président, pour nous sauver à la veille d’une élection majeure pour notre pays et pour notre démocratie ?

Parce qu’en effet, ces deux dernières années, j’ai renié un grand nombre de mes valeurs et de mes idéaux pour sauver mes proches. J’ai délégué mon sens critique à la politique sanitaire de mon gouvernement. J’ai arrêté toute forme de rassemblement (festif, politique, intellectuel, …) pour limiter les contaminations. J’ai soutenu la politique sanitaire auprès de mon entourage et même sur les réseaux sociaux. J’ai tout fait pour mériter le respect et la dignité qu’un citoyen français qui croit en son pays mérite d’avoir.

Aujourd’hui, je suis rivé sur mon smartphone et sur mon écran de télévision attendant résigné la nouvelle consigne sanitaire qui doit me permettre de sauver les autres et retrouver un jour une vie normale.

Je vois les milliards d’euros dépensés chaque semaine pour traquer le virus partout où il se trouve auprès de tout le monde, dans les écoles, au bureau, dans les transports ou jusqu’à chez moi. Je vois avec quelle énergie mes concitoyens puisent dans leurs dernières ressources pour enfin éradiquer ce virus.

Pourtant aujourd’hui le constat est cruel. Malgré tous nos efforts, le virus n’a jamais autant circulé et n’a jamais été autant actif. Il n’a jamais touché autant de gens, il n’a jamais autant désorganisé la société et il tue toujours près de 300 personnes par jour. Alors je me demande où est le problème ? Qu’ai-je fait de mal ? Pourquoi ne sortons-nous pas de cette épidémie ? Que devons-nous faire encore ?

Nous avons mis en place toutes les armes disponibles souvent à la limite de nos droits et au mépris de nos libertés. Devons-nous encore restreindre nos droits pour limiter la propagation du virus ? Devons-nous comprendre que la démocratie est un danger pour nous-même en cette période ? Devons-nous faire le sacrifice ultime de vous confier tous les pouvoirs pour sauver des vies ?

Aujourd’hui, monsieur le Président je doute. Je doute, car plus nous restreignons nos libertés pour mettre des mesures barrières et plus le virus circule. Plus nous mettons en place des mesures de protection et moins j’ai le sentiment de me protéger et de protéger les autres. J’ai l’impression de m’enfoncer dans un tunnel sans fin en mettant en suspend ma vie sociale, ma vie citoyenne, ma vie éthique, ma vie d’Etre Humain.

Car je me mets à soupçonner mon voisin de ne pas être vacciné. Je le soupçonne de ne pas bien porter le masque. Je le soupçonne de ne pas vacciner ses enfants. Je le soupçonne de ne pas s’investir autant que moi pour libérer ce pays du virus. Que dois-je faire ? Lui demander son QR Code ? Le surveiller plus étroitement pour m’assurer de son civisme sanitaire ? Dois-je le dénoncer comme un traître à ma patrie ?

Et puis je vois la dette qui continue de s’envoler, cette dette que je vais léguer à mes enfants.

La dette financière qui était déjà énorme, mais qui devient gigantesque avec les mesures économiques salutaires à court terme pour soutenir nos entreprises, mais dont nous devrons payer un jour les conséquences.

Je vois la dette auprès de notre hôpital public qui, malgré les maigres efforts des politiques publiques, se vide de ses soignants épuisés et désabusés par cette machine infernale qu’est l’épidémie et ses vagues de décès, mais aussi par manque d’ambition dans notre modèle de soin.

Je vois la dette sociale avec ces millions de jeunes à qui nous avons demandé de mettre leur jeunesse entre parenthèses pour sauver nos vieux. Ces jeunes dont de plus en plus pensent au suicide. La jeunesse n’arrive qu’une fois et nous la leur gâchons. L’amour d’une rencontre au détour d’un café ou d’un verre de vin n’arrive pas si souvent et nous leur demandons d’attendre, mais d’attendre quoi ?

Je vois la dette démocratique à chaque fois que je sors mon pass pour entrer dans un lieu public ou pour prendre le train. Je me tourne et je vois tous ces exclus qui, soit par choix, soit parce qu’ils ne peuvent pas accéder aux soins, ne pas avoir les mêmes droits que moi.

Je voudrais parfois en emmerder certains, mais que puis-je dire à cette vieille dame qui a vécu la guerre, l’occupation, qui ne peut plus marcher et qui attend que la mort vienne la prendre dans son salon ?

Que puis-je dire à mon voisin qui me dit que la liberté n’a pas de prix et qu’en 1968, la jeunesse criait qu’il est « interdit d’interdire » ?

Que puis-je dire à mon enfant qui me dit qu’il n’a qu’une vie pour apprendre, pour flirter, pour jouer, pour rêver ?

Qui suis-je pour demander au monde d’arrêter de vivre pour ne pas mourir ?

Monsieur le Président, à l’aube d’une élection majeure, il est temps de reconsidérer l’état de la guerre que nous menons depuis maintenant deux ans face au virus. Car pour gagner, nous avons tout perdu : notre liberté, notre santé, notre dignité, notre respect des autres et notre honneur de citoyen. Et aujourd’hui nous perdons encore et toujours du terrain, alors que le virus lui en gagne. Devons-nous mourir pour le voir disparaître ?

Ou va-t-on enfin décider de prendre en charge et d’accompagner les millions de personnes âgées qui ne sont toujours pas vaccinées et qui ne bénéficient d’aucun suivi médical digne d’un pays civilisé ?

Va-t-on enfin s’occuper des personnes fragiles obèses, diabétiques, ayant des insuffisances rénales chroniques dialysées, ayant des maladies cardiovasculaires, respiratoires, celles et ceux qui ont un cancer, une cirrhose, une immunodéficience, une drépanocytose ou encore une sclérose en plaque ?

Car oui, aujourd’hui la politique sanitaire aide les personnes qui n’en ont statistiquement pas besoin et oublie tous les gens fragiles de notre société. Nous ne sommes pas égaux devant la maladie, mais pour garantir une égalité des chances de survie, il faut garantir une équité sociale et sanitaire.

J’ai donc le sentiment d’un immense gâchis qui pèsera sur les générations futures pour des dizaines d’années tout en ayant laissé crever toutes les personnes qui avaient réellement besoin d’aide.

Le même sentiment m’anime quand je vois le destin que l’on réserve à l’hôpital public qui ne voit aucun programme d’investissement d’ampleur arriver. Ce qui veut dire que, non seulement, nous ne sommes pas prêts à faire face à une prochaine épidémie (et elle arrivera), mais qu’en l’état nous ne sommes toujours pas capables de faire face à une nouvelle vague. Nous avons tellement déshabillé l’hôpital public, que nous sommes allés jusqu’à remettre en cause sa raison d’être, c’est à dire de garantir l’accès aux soins pour tous et de manière indifférenciée. Et la santé n’est pas un cas isolé dans le service public.

Finalement, Monsieur le Président, la gestion de cette épidémie aura eu pour conséquence de renforcer l’immunité et les chances des plus forts, de fragiliser encore un peu plus les personnes déjà faibles, de confondre égalité et équité pour mettre en pièce nos principes de fraternité et de solidarité, tout en sacrifiant la liberté sur l’autel de la sécurité.

Monsieur le Président, qu’avez-vous à répondre à cela ?

Un citoyen français

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